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FRANCE

Si vous n’avez rien suivi de l’affaire Jacqueline Sauvage, en prison pour le meurtre d’un mari qui la battait

Condamnée en appel à 10 ans de prison en décembre dernier pour le meurtre de son mari violent et alcoolique, cette femme de 66 ans n’a plus qu’une seule solution pour échapper à sa peine : la grâce présidentielle.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via ?Wikimedia Commons / tiegeltuf

L'été touche à sa fin ce lundi 10 septembre 2012, quand trois coups de fusil successifs viennent troubler la quiétude du quartier résidentiel de La Selle-sur-le-Bied, une petite commune d'un millier d'âmes, posée au milieu du Loiret. Sur la terrasse d'un pavillon de deux étages aux murs blancs et bordé de cyprès, Jacqueline Sauvage vient d'abattre son mari de trois balles dans le dos. Norbert Marot était assis sur une chaise de jardin en plastique, occupé à décuver ses trois whiskys quotidiens.

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Sauvage vient de mettre fin à 47 longues années de calvaire. Depuis sa rencontre avec son mari — alors qu'elle était encore adolescente — il l'a battue et humiliée de manière quasi-quotidienne, sans qu'elle n'alerte jamais les autorités. Leurs quatre enfants ont eux aussi souffert de ce père violent et alcoolique, qui a violé ses filles et battait son fils.

Condamnée en appel à 10 ans de prison en décembre dernier pour meurtre sans préméditation, Jacqueline Sauvage n'a aujourd'hui plus qu'une seule solution pour échapper à sa peine : la grâce présidentielle, que ses trois filles et ses avocates cherchent à obtenir ce vendredi après-midi, lors d'une rencontre avec François Hollande à l'Élysée.

Leur demande est appuyée par nombre de personnalités politiques de tous bords, et par une pétition en ligne qui récoltait ce vendredi plus de 400 000 signatures. Au cours de son mandat, François Hollande n'a eu recours qu'une seule fois à son droit de grâce. En janvier 2014, il a gracié Philippe El Shennawy, le plus ancien détenu de France — emprisonné pendant 38 ans pour vol à main armée, prise d'otage et deux évasions.

L'espoir d'une grâce

« La grâce présidentielle ne fait pas disparaître la condamnation comme dans le cas d'une amnistie. Elle supprime simplement la sanction — partiellement ou totalement, » explique ce vendredi à VICE News, Pauline Türk, professeur de droit public à l'Université de Nice Sophia Antipolis.

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La grâce présidentielle répond à « des circonstances exceptionnelles » rappelle-t-on ce vendredi dans l'entourage de François Hollande. Cet outil n'est effectivement que peu utilisé, même s'il y a une « opacité autour du nombre de cas » explique Türk.

Plusieurs cas emblématiques ont en revanche marqué l'histoire en France, notamment la grâce d'Omar Raddad par le président Jacques Chirac en 1996. Raddad avait été condamné en 1994 à 18 ans de prison pour le meurtre de Ghislaine Marchal dans sa cave, où elle avait écrit en lettre de sang « Omar m'a tuer ».

« Le cas de Raddad et celui de Sauvage sont bien différents. Raddad a été gracié à raison d'un doute, alors que dans le cas de Sauvage, il ne s'agirait pas de remettre en cause la décision de justice, ni de réparer une erreur judiciaire, » précise la spécialiste.

Türk avance ainsi deux raisons qui pourraient inviter le président à gracier cette femme de près de 70 ans. « Cette condamnation est socialement inutile et moralement intenable, quand on s'appuie sur les témoignages entendus lors du procès, » pour la professeur de droit public.

Tout au long de son procès, les voisins et filles de Sauvage vont dresser le même portrait de Norbert Marot — une voisine allant même jusqu'à la remercier pour son geste, « Je vous remercie, vous nous avez rendu service. On est tranquilles. »

La question de la légitime défense

S'il y a peu de doute à avoir sur le profil violent et dangereux de Norbert Marot, la justice française a tout de même condamné Jacqueline Sauvage, notamment parce qu'elle n'a pas pu faire valoir la légitime défense. Cette notion est fondée en droit français sur sur la « concomitance de l'acte et de l'agression », ainsi que sur la « proportionnalité de la riposte ». Valérie Boyer, une député (Les Républicains) qui soutient Sauvage, est actuellement en train d'essayer de faire reconnaitre le concept de légitime défense « différée ».

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Ce 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage a tiré sur son mari, plusieurs minutes après qu'il est venu la violenter dans sa chambre alors qu'elle se reposait. Si Jacqueline Sauvage a vécu toute sa vie en craignant les coups de son mari, elle n'était pas en danger précisément au moment où elle a tiré sur lui, ce ne serait pas à proprement parler de la légitime défense, telle que la conçoit la justice française.

Après cette énième agression et armée d'un fusil, elle rejoint alors son mari sur la terrasse, qui lui tourne le dos. Elle fait feu trois fois, en fermant les yeux d'après son témoignage. Marot meurt sur le coup. « Je me suis rendu compte de mon geste ensuite, et j'ai appelé le 18, » expliquait Sauvage.

Quand elle arrive en garde à vue, Jacqueline Sauvage apprend que son fils, Pascal, s'est suicidé la veille. Pascal venait de quitter la compagnie familiale — une société de transports —, où il travaillait avec son père, sa mère (et ses soeurs par intermittence). Il avait lui aussi subit la violence de son père. Comme sa mère et ses soeurs, il n'avait jamais rien dit à la police.

Pourquoi n'avoir rien dit ?

Ce qui ressort des témoignages des filles Marot et de Jacqueline Sauvage, lors de son premier procès en 2014, c'est justement cette incapacité de se défaire du père Marot. Alors que tout le monde dans la salle d'audience du tribunal d'Orléans se demande pourquoi Sauvage n'a rien dit, pourquoi elle a n'a pas prévenu la justice, elle explique laconiquement que « C'était quelqu'un de très agressif… On avait peur de lui. On attendait et espérait que ça ne recommence pas. »

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C'est sans doute Fabienne, une des filles Marot, qui a été le plus près de faire tomber son père, avant de se rétracter comme elle l'expliquait en 2014. Âgée d'à peine de 16 ans, Fabienne est violée par son père et ne sachant pas comment réagir elle décide de ne rien dire et de fuguer. Finalement, elle se résout à aller porter plainte, mais après avoir raconté les faits aux gendarmes elle récupère sa déposition et la brûle aux toilettes.

La psychologue chargée de faire le profil de la famille Marot lors du procès, décrivait à l'époque le rapport à la loi particulier de la famille. « Il est probable que la justice n'a jamais été vécue comme quelqu'un qui pouvait aider, mais comme quelqu'un qui pouvait sanctionner, » expliquait la psychologue. Dans cette famille, « c'est comme s'il y avait quelque chose de l'ordre du « De toute façon, ça ne peut pas être autrement, » disait la psychologue.

Si le président de la République refuse de gracier Jacqueline Sauvage, elle pourrait alors compter sur un éventuel « relèvement de sûreté » et d'une réduction de sa peine. Elle pourrait alors sortir de prison dans un peu plus d'un an.


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