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VICE News

Condamné après avoir rejoint la Légion, un soldat américain dit qu'il voulait vivre à la dure

L’ancien élève de l’académie militaire de West Point a expliqué son geste par une volonté de vouloir expérimenter des conditions de vie très difficiles dans ce corps mythique.
Photo via Flickr / Jean-Louis Zimmermann

Lawrence J. Franks Jr, un jeune officier américain et ancien élève de l'académie militaire de West Point a été condamné à quatre ans de prison par une cour martiale américaine pour avoir déserté son poste dans l'armée américaine en 2009. Il avait rejoint la Légion étrangère française sous le nom d'emprunt de Christopher Flaherty.

Corps d'élite mythique, la Légion étrangère française est connue pour deux particularités : on peut y refaire sa vie anonymement; le groupe recrute des étrangers du monde entier qui se battent pour la France.

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Dans un article paru le 16 décembre, le New York Times rapporte que l'officier, aujourd'hui âgé de 28 ans, a affirmé aux juges du tribunal militaire avoir été sujet à des pulsions suicidaires et avoir ressenti le besoin pressant de changer de vie. Avant le procès, il déclare au New York Times : « J'avais besoin d'être mouillé et d'avoir froid et faim », et ajoute : « J'avais besoin de la vie exténuante que je n'ai pu trouver que dans un endroit comme la Légion. »

Lawrence était sorti quasi major de sa promotion en 2008 de l'école militaire prestigieuse de West Point. Après une affectation dans un bataillon médical, il a décidé de disparaître en 2009, d'un coup d'un seul. Il est parti à Paris pour rejoindre la Légion. Pendant cinq ans il a servi en République Centrafricaine ou au Mali pendant l'opération française contre les djihadistes dans le nord du pays précise le New York Times. Ce n'est que cette année, à 28 ans, qu'il s'est rendu à l'armée et que sa famille a découvert la vérité. Lundi, un tribunal militaire l'a condamné pour désertion à quatre ans de prison.

VICE News a contacté le général de division Jean-Claude Allard, également directeur de recherche à l'IRIS. Pour le général, l'origine du concept d'une armée composée d'étrangers remonte en France à l'Ancien Régime. Les rois de France avaient notamment l'habitude d'employer des gardes suisses - toujours employés de nos jours par le Vatican- réputés pour leur habileté au combat. La Légion étrangère en tant que telle a été créée en 1831 par le roi Louis-Philippe, pour servir pendant la conquête d'Algérie.

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Le chercheur ajoute que la Légion étrangère a longtemps été le noyau dur de l'armée française du temps où celle-ci fonctionnait par conscription. Par la rigueur de son entraînement, ce corps d'élite était alors « utilisé pour toutes les opérations demandant rapidité et efficacité. »

Pour Jean-Claude Allard, les légionnaires - ou « képis blancs » comme ils sont surnommés dans l'armée française en référence à leur chapeau - forment une communauté à part et très soudée. Il explique : « La devise de la Légion, c'est Legio Patria Nostra (Notre patrie c'est la Légion). Noël approche, et je peux vous dire que la fête de Noël, c'est une tradition pour eux, il la fêtent avec leurs chefs, c'est une famille, » avant d'ajouter « La Légion, c'est une vie en soi. »

VICE News s'est entretenu avec une des personnes en charge du recrutement de la Légion qui a tenu à conserver l'anonymat. Le militaire explique que la Légion fait passer des tests d'admission très sélectifs. Après avoir passé des épreuves physiques - course, corde, tractions - les candidats doivent passer des tests psychologiques. À l'issue de ces tests, environ huit pour-cent des candidats sont sélectionnés. Ils ont alors le droit de s'engager sous une « identité déclarée », un nom d'emprunt qui leur garantit l'anonymat et leur permet de faire table rase de leur passé.

Plus de cent cinquante nationalités sont représentées dans la légion. Une fois engagés, les aspirants légionnaires suivent quatre mois et demi de préparation psychique et de formation au maniement des armes et une période d'essai de six mois. Ensuite, ils suivent des « stages commando » de plusieurs semaines, durant lesquels on « pousse un peu le bouchon à l'entraînement » selon les termes de notre source. Les légionnaires apprennent à survivre dans tous les milieux, de la forêt guyanaise aux déserts des Émirats en passant par les montagnes enneigées.

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Jacques Bessy est colonel de gendarmerie et président de l'Association de défense des droits des militaires (ADEFDROMIL). Pour lui, le climat intensif de l'entraînement des légionnaires a parfois conduit à des abus.

« Le problème c'est qu'il y a de l'entraînement réglementaire et de l'entraînement non réglementaire. » dit-il. « Ce n'est pas tant la dureté de l'entraînement qui est particulière à la Légion, mais plutôt les exercices non prévus, par exemple être réveillé en pleine nuit pour se jeter dans la boue, ou faire des exercices qui comportent des risques. » Jacques Bessy cite l'exemple d'un légionnaire ayant échappé de peu à la mort lors d'une sortie en montagne, décidée alors même que le risque d'avalanche était maximum, ou encore le décès en 2008 d'un légionnaire slovaque à Djibouti causé par un « coup de chaud ». Il ajoute que certaines normes ne sont pas respectées, parce que les légionnaires se considèrent parfois comme « des surhommes ».

En 2009, le vice-président de l'association ADEFDROMIL avait donné une interview au journal Le Figaro, défonçant les conditions d'entraînement de la Légion et affirmant avoir vu des photos de « légionnaires en train de ramper en slip et en rangers la nuit, avec à côté, un gradé qui tient un grand bâton et une bière. » L'association venait de sortir un rapport sur les droits de l'homme dans l'armée française.

Mais, prévient Jacques Bessy, l'extrême majorité des légionnaires ont des motivations bien différentes de celles de Lawrence J. Franks Jr, qui indique avoir rejoint la légion pour trouver un exutoire et se détourner de pulsions suicidaires. Les individus attirés par la « légende de la Légion », bâtie sur « le baroud » ne représentent qu'une minorité du corps légionnaire, tout comme les quelques individus qui viennent de la délinquance organisée ou du trafic de narcotiques et qui voient dans la Légion une manière de repartir à zéro. Il explique : « Sur les quelque 800 légionnaires recrutés chaque année, 90 pour-cent sont des réfugiés économiques. Ils espèrent obtenir un titre de séjour [en France] au bout du contrat de cinq ans. »

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Jacques Bessy dénonce le fait que les légionnaires dont la patrie d'origine ne fait pas partie de l'Union européenne sont très dépendants durant leur service de la promesse d'un certificat de bonne conduite donné à l'issue des cinq ans. Certificat qui conditionne l'obtention d'un titre de séjour.

« Le certificat de bonne conduite, c'est un sésame pour obtenir un titre de séjour, c'est un moyen de pression donné au commandement de la Légion, une épée de Damoclès. Pas de certificat, et on peut se retrouver SDF après les cinq ans de service. » Il ajoute que la non-obtention de ce certificat peut être décidée pour « des histoires de retards, d'alcool, de bagarres, qui sont plutôt habituelles dans la vie d'un légionnaire ».

Un rapport gouvernemental présenté en 2010 par la députée et ancienne ministre de la Justice Marylise Lebranchu avait appelé à « réécrire les droits du légionnaire ».

Contacté par VICE News à ce propos, le service de presse de la Légion étrangère nous a dit que « la Légion s'adapte continuellement », mais a indiqué ne pas souhaiter commenter dans l'immédiat ni sur le jugement et l'expérience de Lawrence J. Franks Jr ni sur le statut et l'entraînement des légionnaires.

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Photo via Flickr / Jean-Louis Zimmermann