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Charlie Hebdo

Comme tous les mercredis, Charlie Hebdo est sorti

Ce matin place de la République comme dans toute la France les kiosques ont été dévalisés par les lecteurs du nouveau numéro du journal satirique.
VICE News / Etienne Rouillon

Il y a ceux qui le planquent fissa dans un sac en plastique opaque, d'autres qui le brandissent devant l'un des kiosques de la place de la République à Paris, lieu des rassemblements en mémoire des différentes attaques qui ont soufflé la France, lieu d'où le cortège républicain s'est ébranlé dimanche. Les kiosques de la place de la République ont beau être les plus proches du lieu de production du magazine, à deux pas d'ici dans les locaux de l'accueillant quotidien Libération, la pénurie est aussi décevante qu'ailleurs pour ceux qui ne sont pas les premiers placés dans les queues qui se dessinent devant les boutiques. On a compté jusqu'à 80 personnes à 7h30 du matin. Ouvert à 7h00 du matin, le premier kiosque n'a pas été livré, les lecteurs se rabattent sur un second qui nous dit en avoir reçu 40, il est en rupture de stock au bout de 5 minutes.

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 Place de la République

Nombreux sont ceux qui convergent vers la place, faute d'avoir trouvé avant. « J'arrive de Barbès, je me suis levé à 5h30 ce matin » raconte un homme tout sourire. Laurent, qui travaille dans une galerie d'art, arrive d'Oberkampf. En chemin, la même scène : des kiosquiers qui ouvrent, une queue qui se rabat sur le kiosque suivant dès que le dernier numéro est parti.

 Photo par John Beck

Devant un troisième kiosque sur la place de la République, Régis, la vingtaine, a bon espoir, il est le onzième dans la file. Il travaille dans la restauration, c'est son jour de repos, il n'a pas franchement l'habitude de se lever aussi tôt, « Je suis pas un grand fan de Charlie Hebdo, je l'achète de temps en temps, là c'était important de l'acheter. » La kiosquière n'a même pas le temps de sortir les numéros du carton, chacun tend la main pour avoir son exemplaire. Charlie Hebdo n'est pas le seul à partir, on achète aussi le Canard enchaîné qui titre « Allez les gars, ne vous laissez pas abattre ! », et Libération, qui titre « Je suis en kiosque » avec une couverture tapissée de miniatures de celles de Charlie Hebdo.

Rupture de Charlie hebdo partout! Alors d abord merci et rassurez vous on va réimprimer er re distribuer ! — Patrick Pelloux (@PatrickPelloux)14 Janvier 2015

Il y a finalement 16 pages, huit avaient été annoncées, dont cette couverture « Tout est pardonné » sur laquelle on trouve une caricature du prophète Mahomet qui tient une pancarte « Je suis Charlie », le mot d'ordre qui s'est imposé lors du premier hommage place de la République, il y a une semaine, juste après l'attaque dans les locaux du journal.

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À l'intérieur on trouve une double d'ouverture avec des caricatures, certaines des mains de ceux qui sont morts, où toutes les religions (catholique et musulmane devant) en prennent pour leur grade. Au centre un édito, dont l'idée centrale tient en une phrase : « [Ceux] qui ont proclamé « Je suis Charlie » doivent savoir que ça veut aussi dire « Je suis la laïcité ». »

Viennent ensuite des articles dans la veine et le ton habituel du journal satirique. Si ce n'est les hommages, et une thématique unique, le journal ressemble à ses numéros précédents. On trouve notamment un texte sur les théories du complot (qui ont fleuri sur Internet dès le dernier mercredi soir), un autre sur les failles de la politique anti terroriste. Suit un reportage en dessins sur la manifestation, avec les plus et les moins des derniers jours par Luz qui se met en scène avec libido en berne et poignée de main difficile à Manuel Valls. Il y a une blague sur la culotte de Merkel, la chronique de "La vie secrète des jeunes" de Riad Sattouf revient pour l'occasion.

Une mention indique que ce numéro sera en vente pendant deux semaines. Le prochain Charlie Hebdo sortira le 28 janvier. Entre temps, les moyens mis en place pour la circulation de ce numéro sont considérables.

Photo par Etienne Rouillon.

Les chiffres annoncés par les Messageries lyonnaises de presse (MLP) — le distributeur du fanzine satirique — sont impressionnants. Trois millions d'exemplaires seront tirés et livrés progressivement pour les Français et le reste du monde au lieu des 50 000 habituels. Le titre est publié en 16 langues et près de 300 000 copies traverseront les frontières. Tous les rouages du monde de la presse — imprimeurs, distributeurs et kiosquiers — participent à l'effort.

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Dès le lendemain de la tuerie, « les professionnels du milieu ont annoncé vouloir renoncer à leur commission qu'ils touchaient pour la distribution du numéro encore en kiosque de Charlie Hebdo la semaine dernière, » confiait ce mardi à VICE News Dominique Gil, le président du Syndicat national des Distributeurs de Presse (SNDP). « Finalement, l'éditeur a décidé de produire un nouveau numéro, nous avons donc repoussé la mise en place du dispositif à ce mercredi. Les commissions prélevées sur les ventes du numéro seront intégralement reversées à Charlie Hebdo et aux familles des victimes, » précise le président de la SNDP.

En 2006, suite à la publication des premières caricatures de Mahomet — reproduites de la presse danoise — Charlie Hebdo n'avait pas fait l'unanimité. Jacques Chirac, président de la République de l'époque avait accusé le 4 feuillets double de « mettre de l'huile sur le feu. » « Déjà à l'époque les kiosquiers s'étaient montrés très solidaires avec la rédaction de Charlie Hebdo, » rappelle une porte-parole de l'Union Nationale des Distributeurs de Presse (UNDP) contactée ce mardi par VICE News. « Les marchands de journaux avaient mis en avant dans leur boutique le numéro controversé de Charlie en geste de soutien. »

La porte-parole de l'UNDP reçoit « des retours très positifs de la part des professionnels, qui sont très investis dans le dispositif mis en place. Certains kiosques arboreront une affiche en soutien de Charlie Hebdo et de la liberté de la presse rappelant qu'ils abandonnent leurs commissions. C'est déjà le cas par exemple pour la publication annuelle du livre de Reporters Sans Frontières (RSF). Ils ont un véritable rôle à jouer pour la liberté de la presse, » conclut la porte-parole du syndicat patronal des marchands de journaux.

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Simon tient un des kiosques situés Place de la République. Dimanche, avant la marche républicaine, il est resté ouvert jusqu'à 15H30, la foule compacte l'empêchant de fermer son kiosque à l'heure. Ce jour-là il a vendu 1 400 exemplaires du numéro spécial de Libération.

Mardi, Simon annonçait une journée particulière pour le lendemain : « La grande famille de la presse sera forcément mobilisée. C'est un jour important, pas spécialement pour les kiosquiers, mais pour tous ceux qui aiment la liberté. » Chaque semaine il peine pourtant à écouler les quelques Charlie Hebdo qui lui arrivent, « je dois en vendre deux ou trois. » Depuis le début de la semaine, il a déjà pris 150 réservations et espérait recevoir 400 Charlie Hebdo ce mercredi matin.

Mardi, au Daily Syrien — une sandwicherie-presse rue du Faubourg Saint Denis—, Basile Albatin vend chaque semaine pas loin de 50 exemplaires de Charlie Hebdo. Aussi aux manettes de la cuisine, Basile prend depuis 4 jours des réservations, « 200 personnes sont passées pour que je leur mette de côté un exemplaire. »

À l'initiative de la délégation bretonne de l'UNDP, des coupons de soutien à Charlie Hebdo (sous forme de promesses de don) sont mis à disposition de ceux qui ne pourraient pas se procurer un exemplaire de Charlie Hebdo. « Ils pourront alors faire un don à Charlie Hebdo et soutenir la liberté d'expression via le dispositif mis en place par l'association Presse et Pluralisme, » ajoute la porte-parole de l'UNDP.

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Contacté mardi par VICE News, Éric Desmarey, le directeur commercial des MLP (chargé de la distribution de Charlie Hebdo) avoue qu'il n'a jamais vu ça. « Nous sommes submergés par la demande de marchands de journaux, de kiosquiers, d'entreprises qu'ils veulent en offrir à leurs employés, ou même de particuliers. Le chiffre de 3 millions d'exemplaires a été annoncé, mais nous sommes préparés à aller au delà si l'éditeur nous demande de le faire. Tout le monde pourra avoir son Charlie Hebdo, il va juste falloir être un peu patient, » demande le directeur commercial.

Au lieu des 20 000 points de vente habituels, « Le numéro de demain sera disponible dans près de 25 000 boutiques » nous apprend l'UNDP. La distribution de ce numéro déjà historique va se faire en plusieurs salves « Une de 500 000 exemplaires dès demain, puis une autre de 500 000 jeudi » selon les informations de Dominique Gil. Desmarey confirme vouloir « morceler la distribution. Il faut être un peu patient, Charlie a bouclé tard, les imprimantes tournent à un rythme de 30 000 exemplaires par heure, les arrivages vont se faire continuellement jusqu'à la fin de la semaine. »

La directrice marketing et communication des MLP, Marie-Cécile Rigault estimait ce mardi avoir été un peu surprise par « l'afflux de demandes émanants de pays étrangers vers lesquels nous n'expédions généralement pas comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. » Habituellement, les MLP distribuent 4 000 exemplaires dans 11 pays étrangers (principalement francophones), 5 départements et 2 territoires d'outre-mer. « Demain 300 000 Charlie Hebdo partent à destination d'une trentaine de pays différents, » conclut Rigault.

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Les imprimeries du nouveau numéro situées en région parisienne ont été mises sous surveillance policière selon Desmarey. L'impression est répartie sur plusieurs sites « pour faire face à la quantité et pour des raisons de sécurité, » explique le directeur commercial des MLP. Desmarey et Rigault nous ont confié que le siège social du distributeur situé dans l'Isère est aussi surveillé par les forces de l'ordre. Joint par VICE News, la Préfecture de Police de Paris n'a « pas déployé de dispositif particulier pour protéger les kiosques et marchands de journaux parisiens. C'est impossible à mettre en place vu le nombre de points de vente installés dans la capitale. »

Mardi matin, suite à la révélation de la couverture, le Conseil français du culte musulman et l'UOIF ont appelé la communauté musulmane à « garder son calme en évitant les réactions émotives » dans un communiqué. Contacté par l'AFP, le CFCM par le biais d'Abdallah Zekri a annoncé que « par respect pour la mémoire des victimes de Charlie Hebdo, nous ne ferons pas de commentaire à cette provocation. Ils sont restés dans la ligne habituelle. »

Un autre kiosquier de la Place de la République jetait mardi après-midi un coup d'oeil à la Une du Monde qui publiait un dessin de Plantu reprenant la caricature du nouveau Charlie Hebdo, « c'est juste un dessin. J'ai un gosse de 7 ans qui pourrait faire la même chose. Ça ne me fait ni chaud ni froid en fait. » Les clients se succédaient pour réserver un exemplaire pour le lendemain. « Je ne prends pas de réservation, la plupart des gens qui passent ne connaissent même pas le jour de publication de Charlie Hebdo, » feignait de s'agacer le kiosquier.

John Beck a participé à la rédaction de cet article @Jm_Beck

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Etienne Rouillon sur Twitter @rouillonetienne