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Starbucks va tenter le coup au pays de l’espresso

Le géant américain du café a annoncé qu'il ouvrirait son premier établissement en Italie, à Milan, début 2017. Au royaume du ristretto les réactions sont mitigées.
Un panneau Starbucks à New York, 16 juin 2014. Photo par Justin Lane / EPA

Le géant américain du café a annoncé la semaine dernière qu'il ouvrirait son premier établissement à Milan début 2017. La nouvelle a fait beaucoup réagir en Italie, mais elle ne réjouit pas tout le monde. Certains ne voient pas d'un bon œil la colonisation du continent par les marques américaines comme Starbucks, qui possède aujourd'hui 24 000 points de vente dans le monde.

« Je n'aime vraiment pas la marque Starbucks à cause de leur politique de croissance, qui est, à mon avis, trop agressive, » explique Federica Cherubini, une journaliste et chercheuse italienne de 32 ans qui vit aujourd'hui à Londres.

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Lorsque le quotidien italien Corriere della Sera a relayé la nouvelle, certains lecteurs n'ont pas caché leurs sentiments.

« Si Mr. [Schultz] pense que les Italiens aiment ce que lui appelle le café, je pense qu'il se trompe », a écrit un lecteur, au sujet du directeur général du group Starbucks, Howard Schultz.

« Il y a peu de boissons au monde qui sont pires que le café Starbucks », a écrit un autre lecteur. « Il est vraiment imbuvable. »

Dans ses entretiens avec plusieurs médias italiens, Schultz a pris soin de dire qu'il ne débarquerait pas à Milan avec l'intention de coloniser le marché italien. La chaîne ne prévoit pas non plus d'offrir aux clients italiens les mêmes produits proposés par n'importe quel Starbucks. L'entreprise, a dit Schultz, s'implanterait dans au royaume de l'espresso avec "humilité et respect."

C'est grâce à l'Italie que l'Europe occidentale a découvert le café au XVIème siècle. Le breuvage était déjà consommé en Afrique et au Moyen-Orient — où la chaîne Starbucks est aujourd'hui implantée.

Schultz aime raconter que c'est lors d'une visite à Milan en 1983 qu'il a découvert le concept du café comme rituel social. Après avoir construit un empire de 19 milliards de dollars sur cette idée, Schultz souhaite aujourd'hui revenir aux racines de son projet.

Le géant reste néanmoins prudent : Starbucks va installer sa marque sous licence via le groupe Percassi, une entreprise italienne qui déjà pris sous son aile les marques Victoria's Secret et Zara.

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82 pour cent des cafés Starbucks d'Europe, du Moyen-Orient et d'Afrique appartiennent à Starbucks.

D'après un entretien avec le Corriere della Sera, Schultz a annoncé que la chaîne inaugurerait également des cafés à Vérone et à Venise.

Mais l'Italie est-elle vraiment prête pour le Venti, le Grande Latte et le Frappuccino? Le géant n'a pas encore décidé s'il garderait ses noms de boisson à l'accent italien pour ses points de vente en Italie. L'entreprise a également annoncé que sa croissance en Italie se ferait "avec le temps," ce qui laisse penser que la compagnie entend perdre de l'argent dans un premier temps.

Le projet d'expansion de Starbucks en Italie semble être une démarche pour le moins audacieuse. Selon des données publiées par la fédération italienne FIPE, face au café de Starbucks, on compte 172 000 cafés italiens traditionnels.

Concurrencer les petits cafés de quartier où la personne derrière le comptoir connaît le nom de ses clients et peut converser des heures durant du match de la veille, cela va être un sacré défi au pays du calcio.

Linda Mills, une porte-parole de Starbucks, a dit dans un mail que l'entreprise prévoyait "une offre unique pour le consommateur italien: un troisième endroit, entre la maison et le travail, où [il pourra] prendre le temps de déguster une tasse de café parfaite." Elle a également ajouté que la chaîne "adapterait [ses] produits au client italien."

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Plutôt que de concurrencer le "caffè" traditionnel, Starbucks pourrait attirer les buveurs de café qui ne sont pas forcément à la recherche d'un espresso — le genre de consommateur qui préfère par exemple l'americano, un café allongé, moins fort, qui est peu servi dans les cafés classiques.

« Vous ne trouverez pas un bon americano dans un bar italien, parce que c'est plus un moins un café normal auquel on ajoute de l'eau", explique Andrea Cova, fondateur et propriétaire de Soul Kitchen, un traiteur haut-de-gamme. « Le café américain à emporter sera toujours leur produit principal. »

Le grand concurrent de Starbucks risque d'être la minichaîne italienne Arnold Coffee, qui possède déjà trois magasins à Milan et un à Florence. Sur son site Internet, la chaîne promet d'offrir à ses clients « L'Expérience du Café Américain », et de les « transporter outre-Atlantique » grâce à ses boissons. L'enseigne de l'entreprise reprend également la même police de caractères que Starbucks. À en juger par la foule de clients qui vient y chercher son café matinal, les affaires sont plutôt bonnes pour Arnold Coffee. « À 7 heures du matin, il y a plus de monde là que dans les bars traditionnels », note Cova.

Ce petit goût d'exotisme américain pourrait bien aider le géant américain à vendre son café en Italie.

« La marque est déjà connue », explique Irene Pozzebon, 21 ans, qui étudie les sciences de la nutrition à l'Université de Pavia. « Les jeunes vont à Starbucks tout simplement parce que c'est Starbucks. »

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Mais au-delà de cette clientèle jeune, le café américain ne trouvera peut-être pas preneur. Il est rare de voir un Italien se balader avec un énorme gobelet en carton rempli de liquide brûlant destiné à être siroté pendant une demi-heure — à moins d'être en voyage aux États-Unis, où le Starbucks se visite au même titre que le Grand Canyon ou qu'un musée à Manhattan.

Les Italiens ne se ramènent généralement pas non plus à un rendez-vous professionnel avec café en main — une pratique que certains trouvent étrange, voire grossière. En Italie, la pause-café n'a rien à voir avec le même rituel aux États-Unis. Il n'est pas rare, par exemple, de voir des fonctionnaires s'attabler autour d'un cappuccino à 11h du matin. Un café à midi, par contre, serait considéré comme un véritable faux-pas — équivalent aux chaussettes/Birkenstock du touriste allemand.

Quant à ramener une tasse de café à emporter au bureau, voilà un autre concept que les amateurs de café italiens auraient du mal à digérer.

Le prix du café Starbucks risque également de leur rester en travers de la gorge.

En Italie, un espresso coûte en moyenne 0.94 euros. Le cappuccino, lui, se vend généralement aux alentours de 1.27 euros.

Même si Starbucks n'a pas encore révélé ses prix en Italie, une étude du Wall Street Journal publiée en 2013 montre que le prix des breuvages Starbucks sont particulièrement élevés en Europe.

« J'ai essayé Starbucks en Suède. Comparés au coût des boissons dans un caffè traditionnel, les prix sont bien trop élevés », explique Pozzebon, qui pense que les Américains auront du mal à concurrencer les cafés italiens.

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Reste que certains consommateurs italiens — en particulier, les jeunes citadins — ne se laisseront peut-être pas décourager par les prix. "Bien sûr, le vrai café italien c'est une autre histoire," explique Mauro Crippa, 23 ans, qui étudie l'économie et la finance à l'Universite Statale, à Milan. Pour lui, l'ouverture d'un Starbucks dans la ville "pourrait être une bonne chose."

« C'est tellement différent de notre tradition que ça lui donnera peut-être une forme nouvelle et intéressante. »


Suivre Alberto Riva sur Twitter: @AlbertoRiva

Valerio Bassan et Matteo Civillini, de VICE News, ont contribué à cette article. 

Cet article est d'abord paru sur la version anglophone de VICE News.