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FRANCE

#Stopdjihadisme : la vidéo de contrepropagande du gouvernement français

Une plateforme de prévention contre la radicalisation djihadiste a été dévoilée par le gouvernement ce mercredi. Nous avons interrogé son responsable.
Capture d'écran de stop-djihadisme.gouv.fr

Trois semaines après l'attentat contre Charlie Hebdo, le gouvernement français a dévoilé via son compte Twitter une plateforme qui entend contrer la propagande de l'organisation État islamique (EI), sur son terrain de prédilection, Internet. Le site est aussi une boîte à outils à disposition des familles et des proches des personnes en voie de « radicalisation violente ».

Christian Gravel, directeur du service d'information du gouvernement français, et directeur de la publication de ce site, stop-djihadisme.gouv.fr, a indiqué à VICE News que si le projet d'une telle plateforme était en discussion avec le ministère de l'Intérieur depuis quelques mois, « Les évènements tragiques qui ont eu lieu il y a trois semaines nous ont fait mettre l'accent sur les moyens déployés par l'État pour lutter contre les filières terroristes. » Il faut cependant rappeler que les terroristes responsables des récents attentats en région parisienne ne se sont pas radicalisés sur Internet.

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L'initiative est résumée ainsi sur le site : « Les discours des recruteurs djihadistes font chaque jour des victimes. Ensemble, agissons contre cette menace. » D'après des chiffres dernièrement cités par le Premier ministre Manuel Valls, près de 1 300 personnes de nationalité française sont impliquées dans les filières djihadistes à destination de la Syrie ou de l'Irak.

Lorsque l'on se connecte au site, une vidéo envahit l'écran. Interdite aux moins de 12 ans, d'une durée de deux minutes, elle reprend les codes des clips de propagande de l'EI avec une imagerie guerrière, une musique lancinante et les arguments mis en avant pour inciter au djihad.

La vidéo s'ouvre avec le compte d'un utilisateur Facebook, visiblement séduit par l'EI et ses publications. Il est ensuite contacté par quelqu'un qui lui propose de rentrer en contact avec des gens qui « se battent là bas ».

La vidéo présentée à l'arrivée sur le site stop-djihadisme.gouv.fr

L'objectif frontal du gouvernement français est de figurer l'écart entre le fantasme projeté sur le djihad en Irak et en Syrie, et ce qui se passe sur place. Chaque argument prêté aux recruteurs de l'EI pour convaincre le candidat au djihad est diffusé sur des images en couleur. Par exemple : « Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause ». Ces injonctions sont immédiatement remplacées par une phrase présentant la réalité du terrain, qui s'affiche cette fois sur des images en noir et blanc : « Tu découvriras l'enfer sur terre, et mourras seul, loin de chez toi. »

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Christian Gravel, a expliqué à VICE News que le gouvernement avait choisi une stratégie numérique pour viser un public jeune, qu'il estime plus sensible aux sirènes du djihadisme : « L'idée, avec cette vidéo, était de s'adresser aux jeunes en leur faisant comprendre ce qui se cache derrière des éléments grossiers, des éléments de manipulation. On a utilisé les principaux leviers de propagande pour réaliser cette vidéo […] On a tout misé sur le web et les réseaux sociaux, en utilisant les codes de cette jeunesse, » explique-t-il, se félicitant d'avoir déjà plus de 150 000 vues sur cette vidéo, quelques heures après sa publication.

Le site est composé de quatre volets : « Comprendre la menace terroriste », « L'action de l'État », « Décrypter la propagande djihadiste » et « Se mobiliser ensemble ». Des vidéos de responsables politiques ou de la société civile expliquent les stratégies à adopter en cas de radicalisation d'un proche. Un schéma présente les signes pouvant indiquer qu'un individu est en train de se radicaliser, et un formulaire propose à l'entourage de signaler un comportement inquiétant pour se faire aider. Un numéro vert, mis en place depuis le mois d'avril 2014 est également disponible.

Graphique relevant des signes possibles de radicalisation sur le site stop-djihadisme.gouv.fr

Mathieu Guidère, professeur à l'université de Toulouse-Jean-Jaurès et auteur du livre Nouveaux Terroristes a confié à VICE News qu'il ne pensait pas que cette stratégie de contrepropagande sur internet soit la plus à même de dissuader les jeunes de partir faire le djihad dans les rangs de l'EI. « C'est une communication institutionnelle visant des acteurs qui sont déjà acquis à la cause antidjihadiste, mais qui n'est pas destinée à la jeunesse voulant partir. »

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Pour l'universitaire, une bonne technique aurait été de « Faire parler les publics qui sont concernés, de prendre des jeunes "repentis", soit qui ont voulu partir, soit qui sont revenus, et qu'ils puissent raconter comment ils ont été embrigadés et dire à leur manière comment ils ont été manipulés […] Il n'y a rien qui fasse plus mal aux entreprises djihadistes que de voir un repenti qui décrypte lui-même l'intérieur de l'organisation. » Interrogé à ce sujet, Christian Gravel explique que c'est une piste qui a été envisagée par le gouvernement, mais que « ce n'est pas simple ».

Mathieu Guidère, qui a réalisé une carte de France de la radicalisation, mentionne le cas de Lunel, petite ville tranquille de 25 509 habitants, qui a récemment reçu une couverture médiatique internationale depuis qu'une vingtaine de personnes sont parties faire le djihad dans les rangs de l'EI, et dont six sont morts au combat en 2014.

« Le cas de Lunel est typique. Il n'y a strictement rien qui justifie le départ d'autant de gens de la même petite ville que le « copycat », c'est-à-dire le mimétisme, un effet d'entraînement entre bandes. Ces jeunes sont complètement ignorants en religion, ne parlent pas arabe. Cet effet du copycat nécessite une action spécifique, » explique le chercheur qui estime que l'initiative numérique du gouvernement n'est pas effective sur des cas comme ceux de Lunel.

La stratégie d'action du gouvernement sur les réseaux sociaux s'inscrit dans le cadre plus large d'une « responsabilisation des acteurs du Web », réclamée par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve le 20 janvier. Ce mardi, lors d'une commémoration des 70 ans de la libération du camp d'Auschwitz, le président François Hollande a déclaré vouloir « confier à l'autorité administrative la possibilité de bloquer les sites internet de haine raciste ou antisémite. » Il affirmé qu'il fallait notamment s'attaquer au problème des « thèses complotistes » qui ont fleuri sur les réseaux sociaux dès le jour des attentats de Charlie Hebdo.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @meloboucho

Toutes les images viennent de stop-djihadisme.gouv.fr