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Crime

Sur le campus des étudiants mexicains disparus

L'incapacité des autorités mexicaines à retrouver ces 43 étudiants a conduit à l'incendie de la mairie d'Iguala ce mercredi. VICE News a passé quelques jours sur le campus au début du mois.
Photo par Lenin Ocampo

Dès qu'ils ont appris que leur fils figurait parmi les étudiants normaliens qui pouvaient avoir été tués par la police, Manuel et Hilda González ont embarqué à bord d'un bus et fait neuf heures de route pour arriver ici, à l'École Normale Raul Isidro Burgos Ayotzinapa, dans l'État du Guerrero, au sud du Mexique.

Leur fils, César Manuel González Hernández, a 19 ans. Il est en deuxième année d'une formation d'enseignant à Ayotzinapa, un institut pédagogique rural datant de la Révolution, et qui est reconnu à travers le pays pour sa politique très marquée à gauche, qui fait partie intégrante des activités et du cursus des étudiants.

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César est l'un des 43 étudiants "normalistas", ou "normalien", portés disparus depuis le 26 septembre, en marge d'une série d'attaques brutales conduites par la police locale qui ont fait six morts dans la ville d'Iguala, dans l'État du Guerrero.

Ses parents, des paysans de l'État de Tlaxcala, nous ont dit avoir atterri sur le campus d'Ayotzinapa avec plus de crédit téléphonique que d'argent liquide, et presque rien d'autre dans les poches.

Ils ont été rejoints par des dizaines d'autres parents, également sous le choc ou en deuil. Ensemble, ils attendent des informations sur le sort de leurs enfants portés disparus.

C'était le dimanche 5 octobre. Depuis les autorités n'ont toujours pas été capables de retrouver les disparus, malgré la découverte de fosses communes, finalement sans lien apparent avec la disparition des étudiants. Une incapacité qui a conduit hier à des débordements à Iguala. La mairie a été incendiée.

Un véhicule de l'armée mexicaine affichant les visages et les noms des apprentis enseignants portés disparus à Iguala, dans l'État du Guerrero. (Photo par Lenin Ocampo)

« Nous sommes venus comme ça, sans rien », a témoigné Hilda, la mère de César, lors d'un entretien avec VICE News début octobre, à Ayotzinapa, où les murs sont noircis de slogans révolutionnaires et d'images d'Ernesto « Che » Guevara.

Toute sa famille, y compris ses deux filles, vit avec $50 par semaine, nous dit-elle. Les parents de César dorment dans l'école depuis plusieurs jours. L'un des camarades de classe de leur fils leur a offert son lit.

« Tous les soirs, je me dis, Pourquoi ne font-ils rien aux méchants? Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne soutient pas ces écoles pour les jeunes, qui sont les seuls à savoir s'exprimer », nous a-t-elle dit.

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Les officiers de la police locale, qui seraient de connivence avec un gang local connu sous le nom de Guerreros Unidos, sont suspectés d'être les responsables de la fusillade et de la disparition des étudiants, a indiqué le procureur de l'État du Guerrero, Iñaky Blanco Cabrera.

Deux des 22 officiers de police détenus dans le cadre de l'enquête ont déclaré aux enquêteurs qu'ils avaient été envoyés pour bloquer deux bus détournés par un groupe d'étudiants normalistas d'Ayotzinapa. Un leader des Guerreros Unidos surnommé « El Chucky » aurait donné l'ordre d'exécuter les étudiants capturés au cours de cette opération.

Les autorités ont également entrepris des recherches sur une propriété appartenant à José Luis Abarca, le maire d'Iguala qui est en fuite depuis les affrontements, et qui est recherché pour être interrogé sur son lien présumé avec les Guerreros Unidos. D'après la presse locale, la femme du maire est la soeur de l'un des chefs du cartel.

La police mexicaine accusée d'attaques flagrantes contre des bus transportant des étudiants et des joueurs de football. À lire ici (article en anglais).

Vue du campus de l'École Normale d'Ayotzinapa, où les murs sont ornés d'images de "Che" Guevara (Photo par Melissa del Pozo)

À l'Intérieur de l'École Normalista

Lorsque l'on visite l'École Normale d'Ayotzinapa, on a l'impression de remonter dans le temps ou bien d'être à Cuba. Les murs des salles de classe sont recouverts de portraits du Che, de Marx, de Lénine et d'Engels, ainsi que d'images du leader de la guérilla mexicaine de 1970, Lucio Cabañas. Environ 600 étudiants -tous des garçons- vivent sur le campus, réunis autour de slogans pour différentes causes sociales.

L'école se situe à environ 20 minutes de Chilpancingo, la capitale de l'État du Guerrero, au bout d'un chemin en terre battue. Une voûte en pierre accueille le visiteur. Le campus a l'allure d'une petite ville peuplée d'adolescents et de jeunes qui ont la vingtaine, même si la population compte aujourd'hui les familles des normalistas enlevés.

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Sur l'un des murs du bâtiment principal, on peut lire : « Si je vais de l'avant, suis-moi / Si je vais de l'avant, pousse-moi / S'ils me tuent, venge-moi / Si je te trahis, tue-moi ». Neuf bâtiments en tout servent de dortoirs, de salles de classe et de réfectoires. Au-dessus de l'entrée principale, un panneau indique: « Ayotzinapa, berceau de la conscience sociale. »

Des étudiants, souvent masqués, bloquent le passage aux bus avant de monter à bord et de faire descendre les passagers, afin d'utiliser les véhicules comme moyen de transport.

Toutes les décisions sont prises de manière collective, y compris celles concernant le cursus scolaire. « Ici, c'est nous qui détenons le pouvoir," a déclaré un normalista répondant au pseudonyme de « Diego ».

Il n'est pas le seul à utiliser un faux-nom. Tous les étudiants de l'École Normale d'Ayotzinapa changent de nom lorsqu'ils franchissent le pas de la porte. Ils empruntent souvent un surnom qui fait référence à leur ville d'origine. Par exemple, l'étudiant porté disparu, César Manuel González Hernández, est ici mieux connu sous le nom de « El Tlaxcaltequita », en référence à son État d'origine du Tlaxcala.

« Notre école est au coeur de la lutte », nous a dit un étudiant répondant au nom d'Eduardo. Eduardo est à la tête du « comité de propagande », l'une des neuf organisations étudiantes. « Ici, ce n'est pas le professeur qui est en charge », nous a t-il dit.

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VICE News a passé cinq jours sur le campus transformé en quartier général pour l'organisation des blocus routiers manifestations dans les rues de Chilpancingo.

Lundi, l'école grouillait de reporters mexicains et étrangers. Pour répondre aux pressions des journalistes en quête d'information, les parents d'Ayotzinapa ont nommé un porte-parole en charge des relations avec la presse.

« [Le Gouverneur Aguirre] sait où ils sont, alors il doit nous les rendre. Nous ne fatiguons pas et notre colère ne fait qu'augmenter. Il est temps de mettre fin à cette situation », a déclaré Manuel Martínez, le porte-parole nommé par les familles.

Deux étudiants de l'École Normale, le visage couvert, durant un blocus de l'autoroute reliant Mexico à Chilpancingo, vendredi. (Photo par Melissa del Pozo)

Des bus détournés au nom du combat social

Les événements d'Iguala, lèvent le voile sur une série d'affrontements qui reflètent d'une certaine manière le réseau complexe des conflits sociaux et politiques qui durent depuis des années dans l'État du Guerrero.

D'après les entretiens avec les survivants de l'attaque d'Iguala, les étudiants revenaient d'une manifestation organisée pour perturber une apparition de María de los Ángeles Pineda, la femme du maire d'Iguala. Le groupe de normalistas s'était rendu à Iguala dans la journée dans le but de solliciter des fonds pour des fournitures scolaires. Pour rentrer à Ayotzinapa, les étudiants avaient détourné comme à leur habitude deux autobus.

Souvent masqués, les étudiants bloquent le passage aux bus avant de monter à bord et de faire descendre les passagers. Ils utilisent ensuite les véhicules pour leur propre transport. Leur argument est que le gouvernement lésine sur les ressources qu'il attribue aux écoles normales. Ces autobus commerciaux - ainsi que les camions de livraison des grandes entreprises alimentaires qui sont également confisqués et souvent dévalisés - représentent pour les étudiants la puissante corruption qui pèse sur les intérêts commerciaux au Mexique.

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Ces détournements non-violents de bus sont tellement communs que les chauffeurs de bus sont habitués à remettre leurs véhicules aux étudiants, qui ont pris l'habitude de les rémunérer pour la gêne occasionnée. L'école Ayotzinapa possède même un comité en charge de cette activité, appelée « lucha », ou « combat ».

La presse locale accuse souvent les normalistas, qui volent parfois de l'essence ou bien négocient avec les pompistes, d'être des voyous et des criminels.

Carlos, l'un des étudiants en charge des opérations de détournements de bus nous a expliqué pourquoi il considère que ces tactiques sont différentes du vol.

« Nous le faisons parce que [le gouvernement] ne nous donne pas assez de vivres », a-t-il déclaré. « Nous prenons seulement aux compagnies qui font partie du système, parce que nous sommes contre les grandes entreprises capitalistes comme Coca-Cola et Lala [un grand producteur de lait au Mexique]. »

En 2011, un affrontement avec la police sur une autoroute nationale de l'État du Guerrero avait causé la mort par balle de deux étudiants du campus d'Ayotzinapa. Tout le monde dans le Guerrero sait que les écoles normales ont eu des liens historiques avec les mouvements de guérilla nés dans cette région instable du sud du pays. Pourtant, les étudiants d'Ayotzinapa affirment n'avoir aucun aucun contact avec ces groupes aujourd'hui.

Iguala se situe à l'intersection des États du Guerrero, de Mexico, de Michoacán et de Morelos. La ville est à environ 35km de Taxco, une destination populaire pour les touristes du monde entier.

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L'un des ex-maires de la ville, Lázaro Mazón, nous a confié qu'au cours des dernières années, Iguala est devenu un point d'échange clé du trafic de drogue, ainsi qu'un champ de bataille pour deux groupes criminels : les Guerreros Unidos et Los Rojos.

Les habitants de cette région auparavant agricole ont plus ou moins cessé de cultiver le maïs, la pastèque, la courge et la cacahouète, parfois pressés par les cartels de travailler pour eux.

Entre avril et mai dernier, les soldats mexicains ont démantelé un laboratoire de production de methamphétamine et découvert un ensemble de charniers contenant 28 cadavres. À ce jour, les victimes n'ont toujours pas été identifiées.

« Je crois qu'il reviendra », nous a dit Hilda, la mère de César González. « Je serai ici à l'attendre. Je veux lui dire que je l'aime. C'est ça, ma priorité ».

Marisol Wences, et Alasdair Baverstock, journalistes pour VICE News, se sont rendus à Iguala afin d'enquêter sur ce sujet.