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VICE News

Qu'est-ce qui pousse des jeunes à rejoindre des groupes armés ?

Une étude menée en Afghanistan, en Somalie et en Colombie s’intéresse à ce qui fait que des adolescents décident de verser dans l’action violente.

Idéologues et chefs de groupes armés cherchent partout dans le monde des jeunes à embrigader. L'idée communément répandue est qu'ils trouveront leurs recrues de préférence dans des bassins de pauvreté, de non-emploi. Mais une étude suggère que c'est davantage la colère, plus que la faim, qui est le premier moteur de la radicalisation.

La radicalisation des jeunes marginalisés à travers le monde — en Afghanistan, en Colombie, en passant par Paris et Minneapolis — est passée au-dessus de la pile des dossiers sécuritaires de nombreux pays.

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Mercredi 25 février, des responsables internationaux se sont rencontrés à Washington pour parler, une fois encore, des stratégies efficaces pour contrer le recrutement des groupes militants autour du globe. Parmi les défis à relever il y a : gagner la guerre sur les réseaux sociaux, construire des partenariats avec des leaders religieux. Voilà les pistes retenues par le sommet contre les extrémismes violents qui s'est tenu à la Maison Blanche de lutte contre l'extrémisme violent.

Mais un rapport publié le 12 février par l'organisation humanitaire Mercy Corps suggère que les gouvernements et les analystes n'ont pas tout à fait identifié les moteurs principaux qui poussent des jeunes du monde entier à rejoindre les insurrections armées et les groupes terroristes. Ce rapport indique également que c'est l'expérience de l'injustice, de la corruption, de l'humiliation et de la violence qui leur fait prendre les armes, devant la pauvreté et le chômage.

« Pendant longtemps, on a tenu le discours de l'"économie du terrorisme" qui suggère que les jeunes rejoignent les groupes terroristes parce qu'ils n'ont pas d'emploi, parce qu'ils manquent d'opportunités, et qu'ils sont ainsi des viviers de recrues pour Al-Qaida, » explique à VICE News Keith Proctor, l'auteur du rapport. « Ce récit revenait à dire que le terrorisme était une recherche d'emploi, dissimulée sous un autre nom. On pense que ce n'est pas juste. »

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Son organisation a mis à l'épreuve ce discours de l'"économie du terrorisme" avec une méthode quantitative, et à travers des sondages portant sur la jeunesse de trois pays embourbés dans des conflits. En Afghanistan, en Somalie et en Colombie, les chercheurs ont trouvé que « l'argument du job » ne tenait pas, note Proctor.

« Ce que l'on a trouvé, c'est que le statut de chômeur n'est pas un bon indicateur pour estimer si quelqu'un va rejoindre ou non un groupe insurrectionnel, » a-t-il ajouté. « Un bien meilleur indice, c'est celui de l'expérience de l'injustice, de la discrimination, de la marginalisation. C'est faire les frais de la corruption, l'expérience d'abus policiers, de ceux des forces de sécurité, ou encore lorsqu'un membre de sa famille est assassiné. Ça ne veut bien sûr pas dire que personne n'a jamais rejoint une organisation terroriste parce qu'elle avait faim, mais ce n'est généralement pas le cas. »

« Si la pauvreté et le chômage étaient les motivations principales du terrorisme, il y aurait beaucoup plus de terrorisme, » dit encore Proctor. « Il y a des millions de personnes qui vivent dans la pauvreté, pourquoi ne rejoignent-ils pas les mouvements armés ? Le fait est que la plupart des jeunes sont pacifiques. Ils veulent un futur, et ils sont souvent optimistes malgré les circonstances. »

Photo de Miguel Samper/ Mercy Corps

De la dignité et pas des dollars

La théorie qui fait le lien entre les sociétés où la jeunesse est en pleine explosion démographique et les sociétés les plus enclines à la violence, aux conflits et au terrorisme a longtemps été mise en avant par les experts et les autorités, notamment aux États-Unis. Cette jeunesse, souvent décrite comme une « bombe à retardement », sur le point de se radicaliser, a dirigé des politiques éducatives pénales et de sécurité nationale.

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Pour Proctor il est important de démêler le mythe de la réalité, parce que cela aide les gouvernements à mettre en place des politiques efficientes pour répondre à ces phénomènes, explique Proctor. Par exemple cela permet de trouver la manière la plus adéquate pour redistribuer les millions de dollars ou d'euros d'aides pour des initiatives et des programmes vis-à-vis des jeunesses. Si ces fonds ne sont pas correctement dirigés ils peuvent négliger les formes réelles de frustration, et contribuer à les exacerber dit Proctor.

« Ce n'est pas l'emploi, c'est l'injustice, » estime-t-il. « Les efforts futurs qui seront faits pour tenter de résoudre ce problème doivent commencer par un examen attentif de ce que nous finançons, pourquoi nous le finançons, et ce qui doit changer. »

Une partie du problème repose sur la structure de la plupart des agences d'aide qui mettent l'accent sur les taux de réussite à court terme. Beaucoup d'argent est dépensé en peu de temps, souvent sans que les habitants locaux, notamment des jeunes, soient consultés sur ce qui est vraiment nécessaire indique l'étude.

« La façon dont on distribue l'aide au développement peut avoir des avantages si on est malin et qu'elle est bien ciblée, mais elle peut aussi faire beaucoup de dégâts, » dit encore Proctor, qui ajoute qu'il faut avant tout s'assurer que « nos efforts sont éclairés par des jeunes, et menés par des jeunes, ne pas les traiter seulement comme les destinataires de l'aide, mais aussi comme nos partenaires dans le processus. »

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Il arrive que trop d'aide soit versée. En Afghanistan par exemple, des milliards d'aide ont parfois contribué à la corruption, aux abus, et l'illégitimité du gouvernement. Ce qui a alimenté la colère et le sentiment d'aliénation chez beaucoup de jeunes du pays, selon le rapport.

Corruption, népotisme et discrimination vont souvent ensemble, ils sont moteurs de violence, plus que le chômage et la pauvreté.

« Ce ne sont pas les choses auxquelles vous vous attaquez, » a déclaré un jeune afghan aux auteurs du rapport.

« Je n'ai pas rejoint les talibans parce que j'étais pauvre, » a dit un Taliban qui a rejoint le groupe à l'âge de 18 ans, après un bombardement de l'OTAN sur son école. « Je les ai rejoints parce que j'étais en colère. Parce qu'ils nous ont trompés. »

Photo de Miguel Samper/ Mercy Corps

Les circonstances, pas l'idéologie

L'idéologie, la doctrine, sont moins efficaces dans le processus de radicalisation que la simple exposition à la violence, disent les chercheurs.

Quand la jeunesse choisit de rejoindre un groupe armé plutôt qu'un autre, « la géographie et l'histoire personnelle sont ce qui compte le plus, » relève Proctor.

« En Colombie par exemple, on a compris que la raison pour laquelle les jeunes rejoignent un groupe plutôt qu'un autre n'est pas forcément lié à une idéologie, mais parce que ces groupes armés sont dans leur quartier, » explique-t-il.

Dans ce rapport c'est la colère qui est le facteur qui revient le plus souvent comme élément déclencheur qui a poussé les jeunes interrogés à rejoindre les groupes militants. Et, bien que l'étude de Mercy Corps se soit surtout centrée sur la jeunesse dans les zones de conflit, les mêmes facteurs psychologiques, en premier lieu le sentiment d'aliénation, pourraient s'appliquer pour les jeunes radicalisés en Europe et aux États-Unis.

Des milliers de jeunes hommes et femmes ont afflué vers la Syrie et l'Irak depuis l'Europe et l'Amérique du Nord pour rejoindre les rangs de l'EI ces derniers mois. Beaucoup d'entre eux sont des enfants d'immigrés, qui n'ont pas toujours le lien qu'avaient leurs parents à leur pays d'origine, et qui se trouvent en même temps marginalisés dans leur propre pays. La pauvreté est rarement le facteur déterminant dans le choix de partir.

« On peut faire des constats semblables en Occident, dans les pays développés, surtout parmi les groupes de gens qui sont marginalisés d'une manière ou d'une autre, ou qui se sentent déconnectés et aliénés dans la société qui les entoure, » dit Proctor. « On a besoin de trouver une façon significative d'impliquer les jeunes gens dans leur communauté, de leur donner le sentiment de faire partie de la société dans laquelle ils vivent, et on doit aussi trouver des réponses à leurs doléances, qui sont, pour beaucoup, légitimes. »

Suivez Alice Speri sur Twitter: @alicesperi