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Un ambassadeur gay au Vatican ? La France et le Saint-Siège dans l’impasse diplomatique

Depuis plus de trois mois, le Saint-Siège semble bloquer la nomination du nouvel ambassadeur français, apparemment en raison de son homosexualité. Ces derniers jours, Paris persiste et la situation est bloquée.
Photo via AFP/Getty

Ce lundi, le Vatican n'a toujours pas approuvé la nomination du nouvel ambassadeur français sur son sol. Un silence qui équivaut à un refus, car tout ambassadeur doit être agréé par son « pays d'accueil » — comme l'indique le site du Quai d'Orsay — et parce que ce silence dure depuis plus de trois mois, un délai inhabituellement long. Laurent Stefanini, l'actuel chef du protocole au ministère des Affaires étrangères, a été choisi par le gouvernement le 5 janvier dernier pour être l'ambassadeur de la France auprès du Saint-Siège. Il n'est donc toujours pas entré dans ses fonctions.

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Mercredi 15 avril, le porte-parole du gouvernement français, Stéphane Le Foll, a réaffirmé après le Conseil des ministres ce choix de Laurent Stefanini. Le ministère des Affaires étrangères a fait de même, vendredi, lors de son point presse quotidien. Les autorités françaises sont donc décidées à ce que cet ambassadeur soit M. Stefanini et la seule chose qui puisse expliquer le refus du Saint-Siège, comme le rapportent les médias, semble être l'homosexualité supposée de ce candidat.

Contactée par VICE News ce lundi matin, la représentation du Saint-Siège en France ne souhaite faire aucun commentaire sur ce silence de trois mois. Selon le quotidien catholique La Croix, la procédure de nomination « prend en général trois ou quatre semaines ».

Lors de son échange de mercredi avec la presse, Stéphane Le Foll a été interrogé pour savoir si l'homosexualité supposée de M. Stefanini était la cause du blocage. Il a simplement répondu que la France attend la réponse du Vatican et que « la position de la France ne change pas ». Le ministère des Affaires étrangères français, contacté également ce lundi par VICE News, ne souhaite pas faire de déclaration supplémentaire et n'évoque pas directement la sexualité de son candidat au poste d'ambassadeur : « Nous appelons au respect de sa vie privée, » dit le communiqué du Quai d'Orsay.

Laurent Stefanini, décrit dans un portrait de 2010 comme un catholique pratiquant est officiellement célibataire et sans enfant. Il a déjà travaillé comme numéro deux de l'ambassade de France au Vatican, entre 2001 et 2005. Si son homosexualité n'est que supposée, c'est parce que M. Stefanini est discret sur sa vie privée. Ses compétences ont été plusieurs fois saluées. « C'est un excellent professionnel, » lit-on dans le communiqué du Quai d'Orsay. « Il possède des compétences et des qualités humaines exceptionnelles. » La Croix mentionne également une « conversation privée » qu'aurait eue le président de la République François Hollande à propos de M. Stefanini, considérant ce dernier comme « un de nos meilleurs diplomates et qui a toutes les qualités requises pour le poste. »

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La raison exacte du refus du Saint-Siège n'est pas connue. L'homosexualité supposée de M. Stefanini revient régulièrement dans la presse, mais le blog spécialisé sur le Vatican, « Vatican Insider », du journal italien La Stampa évoque une piste quelque peu différente. Selon le blog, cité par L'Express, des sources de la « Curie » estiment que c'est le « soutien public » de M. Stefanini au mariage homosexuel voté en France en 2013 — et qui a fait grand débat — qui aurait provoqué le refus.

Àlire : Pourquoi le pape a choisi d'aborder la question du génocide arménien

Le silence du Vatican « risque de durer », estime François Mabille, chercheur au Groupe sociétés, religions et laïcités (GSRL) du CNRS et spécialiste de la politique étrangère du Saint-Siège. Contacté par VICE News ce lundi matin, il pointe aussi le « risque d'intransigeance côté français ». La situation pourrait s'enliser encore longtemps si les deux camps campent sur leurs positions. Il exclut cependant toute rupture des relations diplomatiques : « C'est impensable, » dit-il. « Plus de 170 pays ont une représentation au Vatican. »

Selon M. Mabille, c'est un « jeu donnant-donnant » qui se joue entre Paris et le Saint-Siège : « Cela veut dire qu'il y a des possibilités de rétorsion de la part de la France. On peut penser à la dotation de l'État pour les écoles privées catholiques, ou à l'aide demandée par le Vatican concernant les chrétiens menacés au Proche-Orient. »

Une situation semblable a eu lieu en 2007, lorsque la France a voulu nommer un autre ambassadeur homosexuel au Vatican. Le Saint-Siège n'avait pas non plus répondu. Mais, souligne François Mabille, « le contexte était différent ». Le candidat de 2007, Jean-Loup Kuhn-Delforge, avait été refusé pour « facteurs personnels ». Il était pacsé avec un compagnon, ouvertement homossexuel. « Le contexte pontifical était également différent », poursuit M. Mabille. « Pour le pape François [NDLR, élu en 2013], c'est embarrassant, car cela entre en contradiction avec sa volonté de ne pas juger les homosexuels. Il en va de son crédit. »

Les questions de politiques étrangères — dont cet agrément donné aux nouveaux ambassadeurs — dépendent d'une administration particulière au Vatican, le sous-secrétariat aux relations avec les États. Pourtant, le pape dispose d'un « pouvoir discrétionnaire » sur ces questions, estime François Mabille. Un pouvoir que confirme l'ambassade de France au Vatican. Contactés par VICE News ce lundi, les services diplomatiques français expliquent que la décision de donner ou non un agrément à un ambassadeur se fait « en accord notamment avec le pontife ».

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