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Crime

Un Américain raconte sa détention en Corée du Nord

Kenneth Bae est désormais libre, après 735 jours enfermé dans un camp réservé aux étrangers, pour avoir « essayé de renverser le gouvernement ».
VICE News

Un missionnaire américain qui a passé près de deux ans dans un camp de travail nord-coréen révèle que ses trente gardiens s'intéressaient de très près aux États-Unis.

Alors que Kenneth Bae trimait dix heures par jour, ses geôliers lui demandaient par exemple combien coûtait une maison ou encore si tous les Américains avaient leurs propres maisons et voitures.

Aujourd'hui, Bae est libre, après 735 jours enfermé dans un camp réservé aux étrangers pour avoir « essayé de renverser le gouvernement ». Il fait actuellement la promotion d'un nouveau livre dans lequel il raconte sa détention, et il en profite pour faire campagne afin de demander la libération d'un pasteur canadien qui vit la même chose que lui.

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Hyeon Soo Lim, un pasteur de 62 ans de la communauté de Mississauga dans l'Ontario (Canada), est en détention depuis février dernier. Il a été condamné à la prison à vie et au travail forcé pour « crimes commis contre l'État ». Les procureurs nord-coréens affirment que le pasteur est entré dans l'État ermite plus d'une centaine de fois sous le prétexte de mener des missions humanitaires, alors qu'il essayait de renverser le régime par le biais de la religion.

Emprisonné lors de sa 18e visite en Corée du Nord — après avoir accidentellement emporté un disque dur contenant des rapports de mission et des clips vidéo sur la Corée du Nord produits par des médias occidentaux — Bae a été emmené par deux agents depuis son hôtel vers la campagne. Il y a été interrogé et a été contraint d'écrire ses aveux. Il détaille toute cette expérience dans son livre Not Forgotten : The True Story of My Imprisonment in North Korea (que l'on peut traduire par "Pas oublié : L'histoire vraie de mon emprisonnement en Corée du Nord").

« Ils voulaient savoir pourquoi j'avais amené des contenus si sensibles et dérangeants dans le pays, » explique Bae à VICE News.

Mais les gardes n'étaient jamais satisfaits par ses réponses. Après 4 semaines d'interrogatoire et 300 pages d'aveux écrits, Bae a finalement admis qu'il était un missionnaire.

Pendant les deux années qui ont suivi, Bae a travaillé 6 jours par semaine, se levant à 6h00 du matin, priant pendant une heure, avant de se rendre au champ, où il trimait de 8 heures à 18 heures. Pendant son incarcération, il a été hospitalisé plusieurs fois et a perdu presque 30 kilos. Bae brûlait bien plus de calories qu'il en consommait, se nourrissant uniquement de maigres repas à base de soupe, riz et quelques légumes.

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Malgré tout, sa détention était apparemment un peu plus confortable que celle des Nord-Coréens, d'après ses geôliers. Il bénéficiait d'une chambre pour lui seul, avec des toilettes et un lit.

« Leur situation ne faisait pas envie, » a dit Bae, se rappelant que certains vivaient près du camp de travail, marchant plusieurs kilomètres chaque jour. « C'était leur quotidien. »

« Au début c'était difficile, mais puisque je parlais la langue, j'ai été capable de communiquer, » explique Bae. « Ils étaient curieux parce que selon leurs médias, 1 pour cent des Américains sont riches, mais le reste est pauvre. Ils pensent alors que la plupart des Américains vivent dans la rue, et qu'ils n'ont pas de maison ni de voiture. »

« Je leur ai dit que cela n'était pas vrai, » dit-il. « Ils voulaient savoir combien d'argent il faut pour s'occuper d'une famille de 4 personnes, ou des choses du genre. Je leur ai dit que la plupart des gens sont propriétaires d'une maison et d'une voiture. Ce à quoi ils ont répondu "Ce n'est pas possible."»

Bae est rentré aux États-Unis à la fin de l'année 2014, grâce à l'aide de Barack Obama et du directeur du renseignement américain James Clapper qui s'était rendu en Corée du Nord pour s'assurer de la libération de Bae. S'il ne connaît pas les détails des arrangements diplomatiques qui ont mené à sa libération, Bae croit savoir comment le gouvernement canadien peut faire libérer Lim — qui serait enfermé au même endroit que le missionnaire américain.

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Parmi les crimes commis par Lim, selon les autorités nord-coréennes, on retrouve la mise en péril de la dignité du commandement suprême, la volonté d'utiliser la religion pour détruire le système nord-coréen, la dissémination de propagande négative aux Coréens résidant à l'étranger, l'aide apporté aux autorités américaines et sud-coréennes pour attirer et enlever des citoyens nord-coréens, et de venir en aide à ceux qui font défection.

D'après la famille de Lim, le pasteur a été emprisonné au cours d'une mission humanitaire autorisée, pendant laquelle il s'est occupé d'un centre de soins, d'un orphelinat, d'une nurserie, en plus d'autres projets.

Quand le ministère des Affaires étrangères canadien s'est exprimé sur « la peine excessivement sévère » imposée à Lim (une déclaration doublée des commentaires de Justin Trudeau sur « les problèmes bien connus des Nord-Coréens en matière de gouvernance et de système judiciaire), l'État ermite a dénoncé des « propos diffamatoires ». Les autorités nord-coréennes ont aussi remis à sa place le gouvernement canadien en regrettant qu'il « cherche la petite bête sur cette décision de justice juste et équitable ».

« Là, il faut arrêter de se demander si Lim est innocent ou non, et demander au gouvernement nord-coréen de libérer le pasteur Lim pour des raisons humanitaires — comme des problèmes de santé et aussi parce que c'est trop dur pour lui à supporter — ou comme un geste d'ouverture. Je pense qu'il faut se concentrer là-dessus, » explique Bae.

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Bae pense aussi que l'interview réalisée par CNN avec Lim en janvier, avant son incarcération, montre que la Corée du Nord est prête à négocier.

Le ministère des Affaires étrangères canadien ne souhaite pas communiquer sur les démarches entreprises pour faire libérer Kim. Certains leur reprochent justement de ne pas assez se faire entendre sur le sujet. Le Canada mène une « politique d'engagement restreint » avec la Corée du Nord.

L'ancien ministre, Stockwell Day, qui est impliqué dans la libération de Lim, à la demande de sa famille, explique à VICE News que les efforts du gouvernement canadien sont « sincères » et qu'il pourrait y avoir « un manque de compréhension de la mentalité nord-coréenne. »

« Mes contacts en Corée du Nord se demandent à quel point notre gouvernement est sérieux en comparaison aux cas impliquant des Américains, » dit-il.

Day explique qu'il est en contact avec des officiels canadiens, directement impliqués dans le dossier de Lim. Selon lui, il n'y a pas d'avancée majeure sur le sujet. Il est aussi en contact avec la famille de Lim, qui a choisi de rester dans l'ombre pour ne pas être vue en train de critiquer le gouvernement nord-coréen. « Ils sont vraiment, vraiment effondrés, » explique Day.

« Il faudrait un message clair, concis et direct de la part de notre Premier ministre adressé à leur leader, pour réclamer la libération de Lim, » dit-il. « Faire d'autres déclarations sur leur gouvernement et la manière dont ils devraient gouverner ne sert à rien. Il faut garder ça pour plus tard. Il ne faut rien attacher à cette requête, » estime Bae.

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Regardez notre reportage, Les ballons de la propagande volent de la Corée du Sud vers la Corée du Nord


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