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Crime

Un ancien otage du groupe Abou Sayyaf aux Philippines nous raconte son calvaire

Warren Rodwell a passé 472 jours prisonnier dans la jungle, aux mains du groupe Abou Sayyaf
Photo de Warren Rodwell lorsqu'il était otage.

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Vêtu seulement d'un short, Warren Rodwell est debout devant la maison presque finie où il vit avec sa femme, au sud des Philippines. Nous sommes en décembre 2011, il est 18h, et le soleil est en train de se coucher.

Cet Australien, entend soudain un bruit. Deux hommes surgissent, vêtus d'uniformes de police. Ils ont à la main des fusils d'assaut — dont l'un est recouvert de sigles de la police.

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« Police ! Police ! » hurlent les hommes. L'un d'eux tire sur Rodwell, qui est blessé à la main droite. Rodwell insulte l'assaillant. Les hommes lui passent les menottes.

« Ils m'ont traîné à travers des rizières pendant environ 20 minutes, et puis [mis] sur un bateau et ensuite, à la mer, » se souvient-il. « Voilà, ça c'est passé comme ça. »

Ce fut le début d'un calvaire de 472 jours pour l'ancien militaire, fait prisonnier dans la jungle il y a cinq ans par Abou Sayyaf — un groupe extrémiste qui a fait les unes internationales ces derniers mois après l'enlèvement et l'assassinat brutal de deux otages canadiens.

Les cicatrices de Rodwell sont visibles et invisibles — il lui manque un doigt à la main droite et il souffre aujourd'hui de Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT).

Au cours d'une série d'interviews depuis sa maison à Brisbane, Rodwell nous a raconté son expérience aux mains de ce groupe connu pour ses enlèvements contre rançon.

Il y a quelques jours, Abou Sayya a diffusé une vidéo montrant la décapitation de l'un des Canadiens, Robert Hall, un ancien acteur et soudeur qui avait acheté un bateau et traversé l'océan pour commencer une nouvelle vie aux Philippines. Son exécution la semaine dernière survient environ deux mois après l'assassinat le 25 avril d'un autre otage canadien, John Ridsdel, un consultant minier qui venait d'acheter un bateau et comptait naviguer vers l'Indonésie.

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Après l'annonce de sa mort, la famille de Hall s'est souvenue de lui comme d'un rêveur. « Mais plus que cela, c'était quelqu'un d'accompli », a écrit la famille dans un communiqué. « Il ne se contentait pas de rêver de faire le tour du monde en bateau — il le faisait vraiment. »

Les deux Canadiens ont été enlevés dans la marina du complexe touristique Holiday Oceanview. La compagne philippine de Hall, Marites Flor, et le Norvégien Kjartan Sekkingstad, ont également été enlevés.

Dans des vidéos diffusées pour prouver que les otages étaient encore en vie, les membres d'Abou Sayyaf se tiennent debout derrière les otages, armés jusqu'aux dents. Debout devant un drapeau de l'organisation terroriste État Islamique, les membres du groupe réclament leur rançon.

Le groupe cherche à établir un état islamique au sud de Mindanao, là où le groupe jouit du soutien d'une partie de la population à majorité musulmane.

Le témoignage de Rodwell, qui a été recueilli dans un livre, montre un autre visage du groupe.

À l'époque de son enlèvement, Abou Sayyaf était un groupe affilié à l'organisation terroriste Al-Qaïda. Mais les jeunes ravisseurs de Rodwell, eux, semblaient plus intéressés par l'argent que par l'idéologie extrémiste, explique Rodwell.

Les gardes de Rodwell étaient surtout des jeunes habitants de la région, sans entraînement militaire quelconque. On leur avait ordonné de s'occuper du prisonnier et de le maintenir en vie. Ils n'avaient qu'un faible niveau d'Anglais et la plupart avaient arrêté l'école après le CM2.

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« Ils m'ont dit qu'ils avaient d'abord besoin d'argent pour pouvoir acheter un fusil pour se protéger, et ensuite pour payer la dot pour épouser une fille musulmane. »

Du haut de leurs 19 ou 20 ans, ses gardes étaient de jeunes hommes pleins de testostérone. "Ils m'ont dit qu'ils aimaient les filles chrétiennes, parce qu'elles sont faciles. Ils fricotaient."

Au cours de ses 16 mois de captivité, ses geôliers ont changé 28 fois de cachette pour échapper à la police, aux habitants et à d'autres groupes en quête d'otages. Ils se déplaçaient la nuit, pour éviter l'armée, passant d'une île à une autre en bateau.

Abou Sayyaf a un avantage sur l'armée parce que les membres de l'organisation connaissent bien la jungle, et ils ne restent jamais longtemps au même endroit, explique Rodwell.

« Lorsqu'ils étaient en bateau sur l'eau, ils étaient chargés de munitions et de mitrailleuses, de grosses ceintures de munitions, de lance-roquettes et de lance-grenades, » se souvient Rodwell.

Il se baissait dans le bateau pour être en sécurité et pour se protéger des embruns. « Ils essayent de s'occuper de vous. Vous êtes de la marchandise humaine et vous avez de la valeur », nous dit l'ancien otage.

Entouré d'eau sur des kilomètres et des kilomètres, Rodwell n'avait aucun moyen d'échapper à ses ravisseurs. Entre chaque déplacement, l'otage et ses gardes vivaient cachés dans la jungle profonde.

Rodwell explique que le groupe lui avait assigné un garde, qui changeait toutes les 7 à 10 semaines. Le garde jouait le rôle de « nounou », lui préparant ses repas, faisant son linge et l'aidant à se nettoyer.

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« Si j'avais besoin de quoi que ce soit je n'avais qu'à lever la main, faire un signe, et il arrivait. Si j'avais besoin d'aller aux toilettes ou autre […] il m'accompagnait quelque part et creusait un trou dans le sable et versait de l'eau sur mon derrière pour que je puisse me nettoyer. »

Les dirigeants d'Abu Sayyaf Khaddafi Janjalani, 2ème en partant de la gauche au premier rang, et Radulan Sahiron, 2ème en partant de la droite au premier rang avec le foulard, aux côtés d'autres rebelles d'Abou Sayyaf dans la jungle dans la province de Sulu au sud des Philippines, le 16 juillet 2000. (AP/STR)

De toutes ses « nounous », c'est avec un homme de 40 ans surnommé « Oncle » que Rodwell s'entendait le mieux. « C'est comme cela que les autres l'appelaient, parce que c'était l'oncle de quelqu'un d'autre." Oncle s'est occupé de lui pendant 11 semaines — plus longtemps que tous les autres.

Un jour, Oncle a surpris Rodwell en lui donnant le nom du chef d'Abou Sayyaf. « C'était très secret », se souvient-il. « Il a commencé à me donner les noms des dirigeants du groupe du niveau supérieur. »

Le garde lui a donné 11 noms, dont il s'est souvenu. Oncle lui a révélé plus tard qu'il lui avait donné les noms parce que sa propre tante avait été enlevée et tuée par Abou Sayyaf.

« Même les gardes et ceux qui travaillaient pour Abou Sayyaf me disaient, 'Ne leur fais pas confiance, ils sont mauvais'."

Rodwell a vécu les trois premiers mois dans la peur d'être décapité.

D'un jour à l'autre, le camp se remplissait de nouveaux visages, qui se parlaient à voix basse. Ne sachant pas pourquoi les nouveaux-venus étaient là, il se les imaginait en train de couper sa tête avec un vieux couteau.

Rongé par la peur et le désespoir, Rodwell a envisagé de se suicider.

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Pour survivre et ne pas devenir fou, Rodwell a décidé d'attendre qu'on lui annonce la nouvelle de son exécution pour stresser.

« Si vous ruminez cela dans votre esprit, cela affecte également votre corps, et vous êtes affaibli. On arrive à un point où on met cela hors de son esprit. »

Pour passer le temps, Rodwell regardait le soleil dans le ciel, se souvenait de sa vie avant l'enlèvement, et comptait les jours. Dès qu'il y avait l'anniversaire d'un proche ou d'un ami, il passait la journée à penser à eux.

Trois fois, ses ravisseurs lui ont dit qu'il serait bientôt libre, et trois fois, ils sont revenus sur leurs promesses. Rodwell a décidé qu'il valait mieux perdre tout espoir que d'être à nouveau déçu.

En attendant, les négociations se sont avérées longues et difficiles. Comme pour les otages canadiens, le gouvernement australien a refusé de verser la rançon pour la libération de Rodwell. Mais en coulisses, le gouvernement apportait son aide au frère et à la sœur de Rodwell, qui menaient les négociations. Le gouvernement a par ailleurs ordonné un black-out médiatique, interdisant aux médias de diffuser certaines nouvelles.

La famille de Rodwell ne négociait jamais directement avec les membres du groupe, mais par le biais d'un gouverneur de la province qui avait gagné la confiance de la communauté musulmane. La femme philippine de Rodwell, ainsi que la police et l'armée, étaient tous au courant des négociations, explique Rodwell.

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Pour échapper à la surveillance des autorités, les négociateurs d'Abou Sayyaf ne passaient que très peu de temps sur leur portable, et changeaient régulièrement de carte SIM.

Certains des membres du groupe voulaient savoir si Rodwell avait des amis ou des proches fortunés qui pourraient leur verser encore plus d'argent, et les intermédiaires faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour toucher leur part.

Enfin, après de longues et complexes négociations, Rowell a été libéré le 23 mars 2013.

Au départ, le groupe avait réclamé environ 2 millions de dollars à sa famille, qui, au final, ne leur a versé 100 000 dollars pour « le gîte et le couvert ». Pour les deux otages canadiens, le groupe a réclamé 300 millions de pesos — soit environ 6,5 millions de dollars.

Warren Rodwell montre le doigt qu'il a dû faire amputer lorsqu'il est rentré chez lui. (Photo via Warren Rodwell)

Réagissant à la nouvelle de la mort des otages canadiens, Rodwell s'est dit déçu, et a adressé ses condoléances aux familles.

« Ce n'est pas possible de les consoler. Mais ils vont se faire à la réalité de la situation », dit-il.

Pour l'ancien otage, le refus du Premier ministre Justin Trudeau de payer la rançon c'est surtout une posture politique. Rodwell aimerait que le Canada lance une enquête sénatoriale sur les prises d'otage — comme l'a fait l'Australie avant son enlèvement.

« Il va falloir commencer à regarder vers futur parce que cela va à nouveau arriver quelque part dans le monde à des Canadiens. »


Suivre Hilary Beaumont sur Twitter : @hilarybeaumont

Cet article a d'abord été publié sur l'édition anglophone de VICE News