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NIGERIA

Un avion russe transportant des hélicoptères de l’armée française bloqué au Nigéria

La compagnie privée russe 224 Flight Unit était chargée de transporter deux hélicoptères Gazelle depuis la Centrafrique vers le Tchad.
Photo via Flickr

Un avion-cargo privé russe transportant deux hélicoptères de l'armée française ainsi que du matériel de maintenance militaire et deux officiers français a été retenu samedi par l'armée nigériane à son atterrissage en début d'après-midi, sur le tarmac de l'aéroport de Kano, au nord du Nigéria. Au moment où nous publions cet article, des informations contradictoires ne permettent pas d'affirmer que l'avion a pu repartir vers sa destination finale, N'Djamena, la capitale du Tchad voisin.

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France admits ownership of Russian cargo plane impounded in Kano — TODAY (@todayngr)8 Décembre 2014

L'ambassadeur de France au Nigéria, Jacques Champagne de Labriolle, a fait suivre à VICE News un communiqué dans lequel il indique que c'est bien la compagnie privée russe 224 Flight Unit qui était chargée de transporter deux hélicoptères Gazelle, des pièces détachées et du matériel de maintenance des appareils depuis Bangui, en Centrafrique (RCA), vers N'Djamena, au Tchad.

Ce transport de matériel de l'armée française intervient dans un contexte de redéploiement des forces du pays dans ses deux anciennes colonies qui ont obtenu leur indépendance de la France en 1960.

En RCA l'armée française a lancé il y a un an, quasiment jour pour jour, l'opération Sangaris, un déploiement militaire qui avait pour but de désarmer et neutraliser les velléités d'affrontements entre catholiques et musulmans, les anti-balakas et les Seleka. La France a annoncé avoir entamé un retrait de ses troupes de Sangaris fin novembre.

Le Tchad, lui est l'un des points d'appui de l'opération Barkhane, lancée cet été notamment par la France pour faire suite et prolonger une autre opération, « Serval », qui avait elle été lancée en janvier 2013 pour stopper la progression de djihadistes et reprendre le contrôle du nord du Mali, notamment de la ville de Gao, alors sous la coupe des islamistes.

Le rôle de Barkhane est de lutter contre le terrorisme dans tous les pays de la bande sahélo-saharienne : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso. Barkhane ne se restreint donc plus au seul Mali. En juillet, les États-Unis annonçaient le versement d'une aide de 10 millions de dollars à la France pour cette opération.

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Le transport bloqué ce week-end au Nigéria a donc pour but de transférer du matériel militaire français d'un théâtre d'opération africain à un autre. Toutefois, l'ambassade de France au Nigéria affirme qu'aucune arme ou munition ne se trouvait à bord. L'hélicoptère gazelle, trouvé à bord de l'Antonov russe, est polyvalent, son usage peut être offensif ou dévolu au seul transport.

D'après le communiqué de l'ambassade, l'Antonov 124 a dû changer son plan de vol à cause d'un trafic aérien trop important au-dessus de l'aéroport de N'Djamena. L'équipage russe a donc décidé de faire escale à Kano, au Nigéria, pour faire le plein avant de repartir pour N'Djamena. Selon l'ambassade de France, l'armée Nigériane serait alors intervenue pour inspecter l'avion, alertée par la nationalité de son équipage et la nature de la cargaison, dans le contexte tendu des exactions du groupe armé islamiste Boko Haram.

Lundi matin, le site d'information nigérian Daily Post a affirmé dans un article que les forces de sécurité nigérianes refusaient pour le moment de laisser repartir l'Antonov affrété par la France, en dépit des explications fournies par les ambassades russes et françaises. Cité par l'article, un responsable de la sécurité nigériane aurait déclaré que « Le Nigéria n'a aucune raison de relâcher l'avion et sa cargaison avant que l'enquête ne soit terminée. »

VICE News a contacté Philippe Migault, chercheur et spécialiste de la politique étrangère et de défense russe. Pour lui, le recours à un transport russe privé n'a rien d'exceptionnel. Les armées européennes ne peuvent tout simplement pas se passer de compagnies privées russes.

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« Il n'y a que deux pays capables de transporter du matériel lourd sur de longues distances : la Russie et les États-Unis, » dit-il. « Les Américains ne prêtent pas leur transport, donc les armées européennes sont obligées de louer les services d'entreprises russes, qui ont le monopole mondial pour transporter blindés, hélicoptères, et matériel lourd. »

Dans son communiqué, l'ambassadeur français confirme que le recours à des compagnies russes pour le transport est fréquent du coté de l'armée française.

Le chercheur explique que ce monopole des Russes est garanti par leur mainmise sur le plus gros avion du monde, le quadrimoteur Antonov 124 - 100. Cet avion gigantesque a été produit à très peu d'exemplaires à la fin de l'ère soviétique, sur des chaînes de montage qui sont aujourd'hui à l'arrêt. Après la chute du mur, des entreprises privées russes ont pu récupérer certains exemplaires de cet avion gigantesque pour tirer profit de ses capacités de transport hors-normes. Le seul avion de capacité équivalente est le Lockheed C-5 Galaxy, utilisé par l'armée américaine.

Les Antonovs utilisés par les compagnies privées russes sont capables de transporter jusqu'à 150 tonnes de matériel sur de longues distances. En comparaison, le tout dernier Airbus A400M entré en service dans l'armée française en 2013 n'en emporte que 30 tonnes. « Aucune armée autre qu'américaine n'a les moyens de transporter le type de matériel qu'un Antonov peut transporter, » ajoute Philippe Migault.

Le chercheur affirme par ailleurs que cette affaire n'est pas représentative de la présence russe en Afrique. Même si du temps de l'ère soviétique, l'URSS avait des ambitions stratégiques en Afrique, les relations de la Russie avec ce continent se résument aujourd'hui à des partenariats économiques et diplomatiques en Algérie, Afrique du Sud et Égypte. En termes d'armement, la Fédération de Russie ne vend aujourd'hui que quelques rares hélicoptères, avions et blindés aux pays africains.

Suivez Virgile dall'Armellina sur Twitter : @armellina

Photo via Flickr / John Murphy