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Crime

Un mémo confidentiel révèle que l’ONU n’a pas de plan pour prévenir un possible génocide au Burundi

VICE News a obtenu un mémo confidentiel du Département des opérations de maintien de la paix des Nations unies qui révèle que l'organisation n'est pas préparée pour éviter un bain de sang au Burundi.
Des Casques bleus sud-africains à Goma, en RDC en 2012. (Photo par Dai Kurokawa/EPA)

Les Nations unies ne sont absolument pas préparées à la possibilité d'une aggravation de la situation au Burundi, d'après un mémo confidentiel de son Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), un texte que VICE News a pu consulter.

Ce mémo fait partie d'un dossier de planification des urgences réalisé par l'ONU et l'Union africaine (UA) en vue de futures opérations au Burundi. Il a été envoyé aux membres du Conseil de sécurité la semaine dernière. Signé par Hervé Ladsous, le chef du DOMP, le mémo prévoit plusieurs scénarios pour le Burundi, allant des violences sporadiques aux situations de génocide, en passant par le déploiement de casques bleus dans le pays.

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Aucun des scénarios de déploiement de troupes de l'ONU ne semble en mesure de protéger la plupart des Burundais, en cas de guerre ouverte ou de tueries de masse. « Et surtout, » écrit le DOMP, « Les missions de maintien de la paix des Nations unies sont limitées dans leur capacité à gérer les violences de masse contre les civils, les violences comparables à un génocide. Notamment parce qu'il manque un cadre politique et le consentement du pays hôte et/ou des principaux partis du conflit. »

Dix ans après la fin de la guerre civile, la crainte que des violences d'une envergure semblable frappent à nouveau le Burundi se fait de plus en plus grande, depuis près d'un an. L'inquiétude est encore montée d'un cran le mois dernier quand au moins 80 personnes ont été tuées en l'espace de quelques jours. Le matin du 11 décembre, des hommes armés ont attaqué trois bases militaires dans la capitale Bujumbura et ses environs. Suite à cette triple attaque, les forces de sécurité burundaises ont pénétré dans des quartiers connus pour être des fiefs de l'opposition. D'après des enquêteurs de la Fédération internationale des Droits de l'Homme, plus de 150 civils ont été tués — et presque autant ont disparu.

Le lendemain l'ambassadrice américaine aux Nations unies, Samantha Power, avait envoyé un e-mail sombre aux diplomates français et britanniques, expliquant notamment que le pays « retournait en enfer ». Dans ce court mail que nous avions lu, Power se montrait frustrée par la session d'urgence du Conseil de sécurité de la veille. « Pas de planification des urgences, pas de présence onusienne, pas de dialogue… » écrivait-elle. Comme le prouve le document du DOMP un mois plus tard, la planification des urgences de l'ONU reste bloquée, à cause du manque de ressources. Et même si des casques bleus étaient déployés, ils ne sont majoritairement pas préparés à la prévention de crimes de masse.

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Le 17 décembre, l'UA a approuvé son propre plan de maintien de la paix pour le Burundi, consistant en l'envoi de 5 000 soldats dans le pays. S'appuyant sur une clause de la charte de l'UA qui n'avait jamais été utilisée, le Conseil de paix et de sécurité de l'organisation annonçait vouloir envoyer le contingent (surnommé MAPROBU pour Mission africaine de prévention et de protection au Burundi) avec ou sans le consentement du gouvernement burundais. Pierre Nkurunziza, le président burundais contesté, a rejeté d'un revers de la main l'ultimatum de 4 jours de l'UA pour accepter le déploiement de la MAPROBU. Il a aussi prévenu que toute intervention sur le territoire burundais serait combattue.

C'est la décision de Nkurunziza en avril dernier de briguer un troisième mandat litigieux qui a relancé les violences. Des hommes politiques et militants de l'opposition, citant la constitution burundaise, ont déclaré que le président était limité à deux mandats et ont pris la décision de manifester leur désaccord. Nkurunziza, ancien leader de la plus grande force rebelle Hutu du pays lors de la guerre civile qui a pris fin en 2005, estimait de son côté être dans son droit parce qu'il avait été nommé (et non élu) lors de son premier mandat. Malgré la controverse, les autorités du pays lui ont donné raison et il a été réélu en juillet.

Depuis avril dernier, l'ONU estime qu'au moins 400 personnes ont été tuées — dont la moitié au cours des deux derniers mois. Dans son évaluation, le DOMP note que les « Imbonerakure », des membres de la jeune garde du CNDD-FDD (le parti au pouvoir), « continue[nt] de cibler des membres de l'opposition politique et de la société civile ». Pendant ce temps, au moins deux groupes rebelles ont émergé. Le 23 décembre dernier, l'ancien colonel de l'armée Edward Nshirimirana a annoncé devant les médias qu'un nouveau groupe, les Forces républicaines du Burundi, a été créé avec l'objectif assumé de renverser Nkurunziza. Le deuxième groupe rebelle est connu sous le nom de Résistance pour l'État de droit, d'après le DOMP.

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Dans une région confrontée depuis 50 ans aux massacres ethniques (le Burundi et le Rwanda ont vécu des génocides dans les années 1990), les analystes ont pris soin de caractériser les violences actuelles comme des actions motivées par des raisons politiques. En effet, nombre des opposants les plus ardents de Nkurunziza sont membres des Hutus, majoritaires dans le pays.

Cependant, au cours du dernier mois, plusieurs responsables de l'ONU ont déclaré publiquement leur inquiétude quant à des divisions ethniques grandissantes. Le 17 décembre, le responsable des Droits de l'Homme à l'ONU, Zeid Ra'ad al Hussein, a adressé un message d'alerte : « Un peuple effrayé, non-informé, nourri par la paranoia et les discours haineux, peut facilement être recruté pour s'engager sur le chemin de la violence, et ce, des deux côtés. » Les conséquences d'une telle mobilisation seraient « catastrophiques — surtout à cause de l'historique du pays en matière de [conflit ethnique]. » Le Burundi était « sur le point de tomber dans la guerre civile » pour Al Hussein.

Les accusations répétées de Nkurunziza contre le Rwanda, qu'il accuse de jouer un rôle dans l'armement et l'entraînement des groupes d'opposition, se sont ajoutées aux tensions déjà existantes. Un rapport diffusé en décembre par Refugees International documente les efforts de recrutements impliquant des officiels rwandais dans des camps de réfugiés au Rwanda, où près de 75 000 Burundais ont fui. Le rapport cite aussi des témoins qui expliquent que des recrues ont été emmenées en République démocratique du Congo pour retourner ensuite au Burundi.

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Plusieurs diplomates et des sources proches de l'ONU ont confirmé à VICE News que les enquêteurs des Nations unies ont aussi été témoins de ce genre d'activités, mais n'ont pas encore rendu publiques leurs observations. Le président rwandais, Paul Kagame, qui a accédé au pouvoir après avoir été à la tête d'un groupe rebelle à majorité Tutsi dans les années 1990, a nié toute implication dans la constitution d'une insurrection au Burundi.

Le cadre politique qui serait nécessaire selon le DOMP pour maintenir la paix ou pour envisager un déploiement de soldats de l'ONU ou de l'UA n'existe pas pour le moment. La semaine dernière, le gouvernement a annoncé qu'il ne prendrait pas part aux négociations qui auront lieu en Tanzanie, estimant que les individus invités aux discussions étaient responsables de l'armement de rebelles.

Alors que l'incertitude continue de planer au-dessus du Burundi, l'ONU soutient les efforts fournis pour envisager le déploiement de la MAPROBU. Dans la lettre obtenue par VICE News, le DOMP dit que l'UA envisage la mission comme un « déploiement progressif », en commençant par l'arrivée d'observateurs civils et militaires, ainsi qu'une « petite force de protection ». Seulement, dans un deuxième temps, et avec le consentement du gouvernement burundais, l'infanterie et des unités de police arriveraient dans le pays. Une troisième phase commencerait « une fois que le dialogue politique est parvenu à faire émerger un accord. La force serait alors configurée pour soutenir la mise en place dudit accord. »

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Mais dans sa planification d'urgences, le DOMP prévoit aussi des scénarios qui surpassent les capacités de réaction de la MAPROBU ou des Casques bleus. Certains semblent de plus en plus probables. Le premier scénario décrit dans le mémo est plus ou moins ce que le pays vit actuellement, « une continuité des violences sporadiques d'une relative faible intensité ». Le second scénario est bien plus inquiétant : « une escalade de la violence organisée, plongeant le pays dans une situation de guerre civile. » Le troisième scénario est celui du pire des cas : « des violations des droits de l'homme systématiques et généralisées, menant potentiellement à un génocide. »

Pour les deux derniers scénarios, l'ONU prédit que les violences au Burundi pourraient déborder en RDC et au Rwanda, affectant ainsi des millions de personnes. Le troisième scénario prédit aussi un débordement des tensions ethniques aux pays voisins. Dans les deux cas, les soldats de maintien de la paix « devraient être déployés de manière urgente pour protéger les civils, éviter des violations des droits de l'homme systématiques et généralisées, sécuriser les axes routiers importants, » protéger l'aéroport de Bujumbura, et assurer la sécurité de l'assistance humanitaire.

Dans le cas du premier scénario, le DOMP estime que le déploiement de la MAPROBU est une potentialité viable, arguant que l'ONU pourrait potentiellement lui offrir un « soutien » avec l'autorisation du Conseil de sécurité. Si le Conseil de sécurité votait le déploiement d'un contingent onusien dans le pays, le DOMP considérerait la « ré-affectation » de membres de la force de l'UA dans les rangs de l'ONU — faisant d'eux des Casques bleus. Mais pour qu'un déploiement d'une force onusienne soit possible, il faut remplir trois conditions (comme le note le mémo du DOMP) : un mandat du Conseil de sécurité sous le chapitre VII de la charte des Nations unies, un approvisionnement suffisant en troupes, et le consentement du gouvernement burundais. Aucune de ces trois conditions n'est pour l'instant garantie.

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Si l'on s'en tient au mémo, le DOMP a constitué deux plans pour une intervention de l'ONU au Burundi. Le premier plan prévoit une brigade 4 000 soldats récupérés à la MONUSCO (la mission de maintien de la paix de l'ONU en RDC). La mission serait composée de « jusqu'à 4 bataillons d'infanterie, des forces spéciales, des hélicoptères d'attaque et d'appui, une équipe d'ingénieurs, et jusqu'à deux escadrons de police et 50 officiers, en plus d'une petite capacité civile et d'un Directeur de Mission issu du civil. » Le DOMP estime qu'il lui faudrait 28 jours pour avoir ses troupes prêtes à être déployées au Burundi pour une durée maximale de 120 jours.

Cette manoeuvre n'est pas si simple que cela à mettre en place : il faudra convaincre les pays qui contribuent à la constitution des Casques bleus en RDC qu'ils seront redéployés au Burundi. D'après le mémo, l'ONU a pris contact avec les pays concernés — deux d'entre eux « ont répondu positivement » d'après le document du DOMP.

Mais même si cela se passe bien, le DOMP craint que faire partir des soldats de RDC pourrait créer de sérieux de problèmes de sécurité dans ce pays frontalier du Burundi — notamment parce que des élections qui font polémique doivent se dérouler en novembre en RDC. Puisque la mission temporaire serait liée à la MONUSCO, ce plan nécessiterait l'accord du gouvernement de Kinshasa.

« Combiné à la menace continuelle de groupes armée dans l'est de la RDC, le fait de retirer une brigade et deux unités de police de la MONUSCO pendant cette période va menacer la capacité de la mission à protéger les civils et à fournir la sécurité et la stabilité dans le pays, » avertit le DOMP.

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Dans les trois scénarios, le DOMP prévoit seulement le déploiement de l'ONU comme une « mesure de dernier recours dans le cas où le dialogue politique et les déploiements préventifs auraient échoué à prévenir un conflit généralisé et dans le cas où aucune nation ou coalition ne serait intervenue. »

L'option numéro 2 du DOMP prévoit l'envoi de 10 000 soldats au Burundi, ce qui requiert une préparation de 4 à 6 mois. « Même avec une planification avancée, le calendrier d'un tel déploiement ne risque pas de correspondre à une situation qui évolue sans cesse au Burundi, » peut-on lire dans le mémo du DOMP.

Après avoir décrit les possibles scénarios et réponses de l'ONU au Burundi, le DOMP précise que toutes les opérations de maintien de la paix présentées devant le Conseil de sécurité « ne laissent que peu de latitude » pour prévenir des atrocités à cause de complications logistiques. Pour chaque scénario, « ces options mettent aussi en lumière des vides stratégiques que l'ONU ne peut pas combler, » explique le document. Le DOMP ajoute que si l'ONU est en charge de la protection des civils, l'organisation n'est pas préparée à gérer des situations de type génocides.

Un tel développement de la situation serait terriblement gênant pour le Conseil de sécurité. Nombreux estiment que l'organisation a connu ses heures les plus sombres lors du génocide de 1994 au Rwanda. Comme le DOMP le note, il n'y a aujourd'hui pas de plan suffisant pour gérer ce type de violence — si une situation semblable devait survenir au Burundi.

« Le déploiement de dernier recours détaillé ici s'attachera à sauver le maximum de vies possible, mais le pire des scénarios créera un niveau de violence qui dépassera les capacités de l'ONU, si ces capacités ne sont pas renforcées » explique le DOMP.

Pour conclure le mémo, le DOMP note que le Conseil de sécurité devrait prendre les devants en essayant de planifier une visite au Burundi, qui ferait partie d'un effort plus large pour tenter de parvenir à une solution politique.

« Le nombre croissant de violations des droits humains et les inquiétudes grandissantes dans le pays, couplé avec son passé de violence et d'instabilité, nécessite une planification plus complète et aboutie afin de faire de la protection effective de civils la priorité principale pour le déploiement de personnel de l'ONU en uniforme, » note le DOMP.

Suivez Samuel Oakford sur Twitter : @samueloakford