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FRANCE

Une « anomalie sérieuse » détectée au coeur de l’EPR de Flamanville

L’Autorité de Sûreté Nucléaire pointe du doigt un défaut dans la composition de l’acier de la cuve d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération, ce qui pourrait retarder sa mise en service.
Image via Wikimedia Commons / kallerna

L'EPR de Olkiluoto 3 lors de sa construction en Finlande en 2009.

Dans son rapport annuel sur « l'état de la sûreté et de la radioprotection en France », présenté ce mercredi, l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire), met en garde contre une « sérieuse » anomalie de fabrication de la cuve du réacteur nucléaire de l'EPR de Flamanville, dans la Manche, en cours de construction. L'ASN, l'autorité administrative indépendante française chargée de contrôler les installations nucléaires, avait déjà relevé des défauts sur cet élément du réacteur européen, censé être à la pointe de la sécurité en matière d'énergie nucléaire.

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Sebastien Balibar, physicien, membre de l'Académie des Sciences et directeur de recherche au CNRS explique à VICE News que les « EPR » (pour European Pressurized Reactor) marquent la « troisième génération » de réacteurs nucléaires, en raison d'un « certain nombre d'améliorations de sûreté ». Cependant l'ASN a remarqué des « anomalies de fabrication » dans le couvercle et le fond de la cuve du réacteur de Flamanville : les valeurs de résilience (la capacité du matériau à absorber un choc) ne sont pas suffisantes pour un équipement qui sera soumis à une pression nucléaire. La qualité de « résilience » de la cuve est un point crucial, parce qu'il faut que la centrale tienne plusieurs décennies. « S'il y a une petite fissure quelque part, il y a un risque de fuite à l'avenir. Il faut vérifier que dans cette cuve métallique très épaisse, il n'y a pas de petites amorces de fissures qui pourraient grandir, » détaille Sebastien Balibar.

L'accident nucléaire de Fukushima au Japon en 2011 a renforcé les exigences en matière de sûreté nucléaire. Le corium — le mélange liquide de combustibles nucléaires et d'acier qui résulte de la fusion dans le coeur des réacteurs nucléaires — risque de s'écouler hors du réacteur. « À la suite de Fukushima, l'ASN a exigé qu'EDF [NDLR, Électricité de France] renforce le plancher en béton [des cuves] de telle sorte qu'on soit absolument certain que même en cas d'accident très grave, cette matière radioactive ne traverse pas le plancher — le "radier" — pour atteindre la nappe phréatique en dessous, » explique Sebastien Balibar.

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« Si la gravité de ce problème se confirme, il va falloir faire une autre cuve, et la remplacer, ce qui pose des problèmes à la fois politiques, techniques et économiques, » conclut-il.

L'ASN, qui a des « exigences très fortes sur la qualité de ce matériau, » selon les termes de Pierre-Franck Chevet, son président, estime être encore au tout début du diagnostic. Pierre-Franck Chevet explique ce jeudi à VICE News qu'il faudra compter plusieurs mois pour établir le dossier avec la collaboration d'Areva, l'une des entreprises en charge de la construction du réacteur, parce que « cette anomalie est sérieuse, et qu'elle touche un composant crucial en matière de sûreté. » En d'autres termes, tant que cette question n'est pas réglée, la centrale n'existe pas.

La mise en place de l'EPR, initialement prévue pour 2012 a été reportée à 2017. Si la cuve ne passe pas les nouveaux tests et qu'il faut aller jusqu'à la retirer, les travaux pourraient être encore repoussés. « C'est compliqué de l'enlever, on l'a installée il n'y a pas longtemps, » explique à VICE News le président de l'ASN. Ce mercredi, l'ONG Greenpeace, qui combat le nucléaire, avait déclaré qu'une cuve était « a priori irremplaçable » une fois posée. De son côté le président de l'ASN nous explique qu'en dépit des difficultés matérielles à remplacer cette cuve, c'est une option réalisable, parce qu'elle n'a pas encore été irradiée, le réacteur n'étant pas en marche.

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C'est la première fois qu'un réacteur de ce type est construit, ce qui explique en partie les ratées à l'origine des retards de livraison, et du triplement des coûts — le budget initial de 3,3 milliards d'euros a grimpé à 8,5 milliards d'euros. « Un an de retard peut représenter 700 à 800 millions d'euros de plus, » selon un expert du secteur cité par Le Monde en novembre entier, alors qu'on annonçait déjà un retard sur les délais de livraison. Le chantier, géré par plusieurs entreprises publiques et privées, dont Areva, EDF et Bouygues, est contrôlé deux fois par mois par l'ASN. À de nombreuses reprises, l'autorité a relevé des failles en matière de sécurité. Le bétonnage de l'enceinte a par exemple été suspendu trois fois avant que l'ASN ne donne son feu vert à EDF.

Les retards de l'EPR pourraient aussi devenir problématiques car le parc électronucléaire français est vieillissant, et il va falloir remplacer près de la moitié des centrales d'ici 2025, à moins que l'ASN décide que leur exploitation peut être prolongée. En mars, la centrale de Fessenheim, en Alsace, la plus vieille de France, avait été mise à l'arrêt après la découverte d'une fuite dans l'un de ses réacteurs relançant le débat public autour de la vétusté des installations françaises.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Image : EPR de Olkiluoto 3 lors de sa construction en Finlande en 2009.

Image via Wikimedia Commons / kallerna