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Une formule ambiguë de François Hollande suscite de faux espoirs et rouvre la plaie de la «  dette de l’indépendance » en Haïti

Comment, lors d’une tournée diplomatique dans les Caraïbes, le président français a suscité de faux espoirs concernant le remboursement de compensations versées par Haiti à la France lors de son indépendance.
Photo par Alain Jocard/AP

Le président français François Hollande est arrivé ce mardi en Haïti, dans le cadre de sa tournée diplomatique dans les Caraïbes, notamment pour évoquer des échanges commerciaux et éducatifs. La veille, il a effectué la première visite officielle d'un président français à Cuba et a rencontré Fidel Castro, s'attirant de violentes critiques en France, en particulier par le parti d'opposition l'UMP qui y a vu une faute, des cadres ont ironisé sur une prochaine visite à Kim Jung-un.

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Entendu à 6 heures : première photo de la rencontre Hollande / Castro — Europe 1 (@Europe1)May 12, 2015

Si cette visite à Cuba est exceptionnelle, celle en Haïti l'est tout autant. C'est la première visite de cette envergure effectuée par un président français dans cette ancienne colonie française — alors appelée Saint-Domingue — devenue indépendante en 1804. En février 2010, le président Nicolas Sarkozy s'était rendu en Haïti pour une visite éclair de quatre heures, après le tremblement de terre qui avait frappé l'île et fait 230 000 morts.

Avant ces deux déplacements historiques, François Hollande s'était rendu, en Martinique, samedi, pour appeler les leaders des pays riches à s'engager pour le climat, en préparation de la Conférence de l'ONU sur le changement climatique, qui aura lieu à Paris en décembre 2015.

Il s'est également rendu, dimanche, en Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre, où il a inauguré le Mémorial ACTe, le plus grand mémorial dédié à l'esclavage. Dans son discours d'inauguration, le président français a évoqué la décolonisation et notamment la « dette » contractée par Haïti envers la France, à la suite de son indépendance de 1804. François Hollande a alors déclaré : « Quand je viendrai à Haïti, j'acquitterai à mon tour la dette que nous avons. »

Après cette déclaration, l'ambiguïté de cette formulation a eu beaucoup d'écho sur les réseaux sociaux sur lesquels comme dans certains médias on a pensé que le président français parlait là d'un remboursement financier de la dette de 90 millions de francs or payés par Haïti à la France entre 1825 et 1883. Cet équivalent a été évalué en 2010 à 17 milliards d'euros par un groupe d'intellectuels composé entre autres de Noam Chomsky, Eva Joly ou Etienne Balibar. Le collectif avait, à l'époque, appelé dans une lettre ouverte Nicolas Sarkozy, alors président de la République, à rembourser cette somme à Haïti pour compenser les 90 millions de francs or payés par l'ancienne colonie. Ces 17 milliards ont, depuis, été considérés par de nombreux médias et commentateurs comme l'équivalent actuel de ce que l'on appelle la « dette de l'indépendance ».

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Le président français François Hollande a-t-il dit ce que les Haïtiens ont cru entendre? Avons-nous compris le sens du message de — Frantz Duval (@Frantzduval)May 10, 2015

Alors que de nombreux commentateurs, comme Frantz Duval le rédacteur en chef du quotidien haïtien Le Nouvelliste, s'interrogeaient sur le sens de la « dette » évoquée par François Hollande, l'entourage du président, cité dans plusieurs médias, a dû préciser que cette « dette » évoquée est seulement « morale » et non financière. Le jour de son arrivée, François Hollande a confirmé en Haïti ne pas envisager le remboursement de cette dette en ne l'évoquant pas. Il a toutefois fait des annonces de soutien de la France au système éducatif haïtien disant vouloir miser sur le futur puisqu'on ne peut pas changer le passé.

Une précision qui, si elle a déçu les partisans du remboursement, a relancé le débat sur la « dette de l'indépendance ». Le lendemain du premier discours,  l'éditorial du Nouvelliste rappelait comment cette « indemnité » avait « entravé l'économie haïtienne » et « étranglé le développement [du pays] ». En France, le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, a vivement réagi ce lundi, dans un communiqué. « Haïtiens, on se moque de vous. Ce revirement est une insulte insupportable qui vous est faite, qui nous est faite, » estime M. Tin, « Ne laissez pas la France vous voler une seconde fois. »

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Deux jours auparavant, le Conseil Représentatif des Associations Noires de France, le Cran, assignait en justice l'ancien « patron des patrons » français et ex-président du Medef (1997-2005), le baron Ernest-Antoine Seillière pour les liens que ses ancêtres ont entretenu avec l'esclavage et la traite négrière, notamment à Haïti. « Les descendants des esclavagistes ne sont pas coupables mais ils sont bénéficiaires et leur fortune est faite de biens mal acquis, » expliquait alors Louis-Georges Tin.

« Haïti est complètement sorti de notre mémoire »

Pour Christophe Warny, auteur du livre Haïti n'existe pas (aux éditions Autrement), il est possible que François Hollande ne s'attendait pas à créer l'ambiguïté en évoquant cette dette : « Je pense qu'il ignorait qu'il y avait une dette financière. En bon président de gauche, c'est toujours bon de dire qu'on a une dette morale en raison de la colonisation, » explique-t-il à VICE News ce mardi.

L'historien explique cet impair du président de la République parce que « Haïti est complètement sorti de notre mémoire : la France est dans la mémoire des Haïtiens, mais les Français ne connaissent rien de ce pays. Victor Schoelcher [le père de l'abolition de l'esclavage en France] est la seule personnalité politique qui se soit plainte de cette dette qu'on percevait des Haïtiens, » nous expose Christophe Warny, citant un homme politique du XIXème siècle.

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Les origines de cette dette remontent à cette époque. Lorsque Haïti prend son indépendance en 1804, après une importante révolte d'esclaves, la France vit mal la perte sa colonie la plus prospère, appelée à l'époque Saint-Domingue. En 1825, le roi Charles X accepte de reconnaître l'indépendance d'Haïti mais réclame en échange une compensation de dédommagement de 150 millions de francs-or de l'époque — l'équivalent de cinq années pleines du budget de cette nation naissante, d'après les estimations de Christophe Warny. La somme sera finalement réduite à 90 millions de francs or en 1838. Pour s'acquitter de cette dette, qui sera entièrement payée au début du XXème siècle, Haïti doit contracter des emprunts en France, et donc des intérêts. Parallèlement, l'une de ses sources de revenus principale, le café, voit son cours baisser radicalement.

Cette question de la dette est revenue à plusieurs périodes de l'histoire, notamment en 2002, quand le président haïtien de l'époque, Jean-Bertrand Aristide, réclame à la France l'indemnisation de cette dette à son pays qui est devenu l'un des plus pauvres du monde. Mais pour l'historien Christophe Warny, Aristide aurait formulé cette demande pour détourner l'attention portée par les pays occidentaux à son manque de respect des droits de l'homme.

L'historien nous rappelle qu'aucune colonie devenue indépendante n'a eu à payer d'indemnisation à la France, « Il n'y a qu'à Haïti que l'on a chargé les descendants d'esclaves d'indemniser les colons, » conclut-il. En 2013, plusieurs pays des Caraïbes anglophones, à l'instar de la Jamaïque, ont demandé des réparations pour les dommages créés par l'esclavage à trois anciennes puissances coloniales, la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Quand l'esclavage a été aboli dans les colonies anglaises en 1838, les propriétaires d'esclaves ont été indemnisés à hauteur de 20 millions de livres (76 milliards de livres aujourd'hui), mais les esclaves émancipés n'ont pas obtenu de réparation.

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Mélodie Bouchaud a participé à la rédaction de cet article @meloboucho