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Arrêtons de suivre les conseils financiers des baby-boomers

Entrevue avec Gaby Dunn, auteure de Bad With Money, notamment à propos des industries et du mode de vie que les milléniaux auraient ruinés.
Arrêtons de suivre les conseils financiers des baby-boomers

L’article original a été publié sur VICE Canada.

Dans les débuts de son podcast, en 2016, Gaby Dunn est allée dans un café demander aux clients quelle était leur position sexuelle préférée. Elle a reçu différentes réponses des clients qui ont semblé ravis d’en parler, ainsi que le barista. Ensuite, elle leur a demandé combien ils avaient dans leur compte de banque, et ils se sont montrés beaucoup plus réfractaires : l’argent, après tout, c’est un sujet personnel.

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Elle a entrepris de démanteler ce blocage social au moyen de son podcast, puis dans son livre Bad With Money: The Imperfect Art of Getting Your Financial Sh*t Together. Gaby Dunn n’est pas une experte en finances comme on a l’habitude d’en voir. Elle admet même ouvertement ne pas être douée avec l’argent. Mais, en tant que journaliste, romancière, youtubeuse, animatrice de podcast et ex-rédactrice pour BuzzFeed, elle vit ce qui fait que la gestion des finances personnelles est si difficile pour les personnes nées à peu près depuis 1980. En général, on a vendu aux milléniaux les réalités de leurs parents – des études abordables, suivies d’une carrière stable, suivie d’une retraite confortable – en dépit du fait que ce sont aujourd’hui pour beaucoup d’entre eux des fantaisies.

Gaby Dunn s’est construit une vie professionnelle en passant d’un emploi à un autre, d’un contrat à un autre, d’un projet à un autre, et ce, en traînant une tonne de dettes d’études. Elle a donc souvent appris sur les finances par ses erreurs. Et comme elle est journaliste, elle a su tirer profit d’experts qui ont comblé les vides inhérents au manque d’expérience d’une personne dans la vingtaine.

Son approche des finances se veut holistique, et après quelques pages on comprend que c’est la seule façon saine d’aborder tout rapport à l’argent. Les dettes d’études, par exemple, ne sont pas dans un néant. On ne peut les gérer sans tenir compte de la ville dans laquelle on vit, de l’aide financière des parents, de son état civil… Êtes-vous seul ou marié à une personne qui gagne infiniment plus ou infiniment moins que vous? C’est important (en particulier pour Gaby Dunn, une femme queer qui doit composer avec des normes sociales genrées en matière d’argent et de vie amoureuse).

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Dans son livre, elle couvre beaucoup de terrain. Dans un chapitre, elle présente méthodiquement les stratégies pour avoir une bonne cote de crédit ou pour se défaire d’une mauvaise cote de crédit. Elle aborde les moyens de trouver la bonne carte de crédit en fonction des besoins que l’on a (et la nécessité d’une carte de crédit), ainsi que les façons d’éviter d’aggraver une situation déjà mauvaise à une époque où les possibilités d’augmenter des dettes déjà insurmontables sont à la portée de tous.

Dans un autre chapitre, elle parle de manière émouvante de sa vie avec le trouble bipolaire de type 2, sans traitement pendant des années, des conséquences sur ses décisions financières et des effets qu’ont les préjugés à propos des problèmes de santé mentale sur l’accès aux ressources pour affronter toutes sortes de problèmes, des comportements néfastes en matière d’argent aux crises financières majeures. Gaby Dunn a la réputation de parler sans détour et oser parler de n’importe quel sujet : sexualité, vie de couple, problèmes de santé mentale, politique, argent. Son franc-parler donne encore plus de force au passage dans son livre où elle révèle son diagnostic de bipolarité. La société n’ouvre pas les bras à celles et ceux qui s’ouvrent au sujet de la santé mentale. Elle les punit même. Gaby Dunn n’avait pas besoin d’en parler, mais je suis reconnaissant qu’elle l’ait fait. Nous bénéficions tous de son ouverture.

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Ces questions ne concernent certainement pas que les milléniaux, mais son approche touche spécifiquement la génération coincée entre la vision dépassée des baby-boomers et la dure réalité d’un monde dans lequel la survie financière est un luxe auquel peu ont droit. Le marché du travail à la pige est une arnaque, les stages non rémunérés sont de l’exploitation, l’érosion des protections syndicales est presque criminelle, et la privatisation des services publics est un dangereux nivellement par le bas. C’est notre monde aujourd’hui, et c’est ce qu’aborde de front Gaby Dunn.

C’est ce pour quoi je l’ai rencontrée.

VICE : Pourquoi as-tu décidé de lancer ton podcast Bad With Money ?

Gaby Dunn : Comme d’habitude, j’avais des problèmes d’argent, mais je ne sentais pas qu’il y avait quelqu’un à qui je pouvais en parler. J’étais dans mon auto, je pleurais presque. J’ai écrit un article intitulé Get Rich or Die Vlogging à propos de la déconnexion entre les youtubers et leurs audiences, qui présument que tous ceux qui créent du contenu pour internet sont riches. L’article a été viral, il a très bien marché, alors je me suis dit : « Il y a quelque chose là, à propos de la transparence. Personne ne donne de montants précis. » Si j’écrivais une tirade sur le sexe anal sur Twitter, ça passerait mieux que si je disais : « Voici combien j’ai dans mon compte de banque. » J’ai pensé que c’était sérieusement problématique.

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Quand t’es-tu rendu compte que les conseils que tu cherchais n’existaient nulle part? Qu’il n’y avait rien correspondait à ta situation financière?

C’est facile pour moi de remarquer ce genre de chose, parce que je suis queer. Beaucoup des annonces à propos de la retraite qu’on voit montrent un couple d’hétéros, vieux et blancs, qui jouent au golf. Ce sont juste des choses qui ne sont pas dans ma réalité. « Vous aurez besoin de tel montant d’argent pour les enfants », et je me dis : « Ouais, et comment les bébés arrivent dans le portrait? » [rires]

Les inquiétudes de mon entourage ne sont nulle part. J’ai eu une très bonne conversation avec un journaliste nommé Nona Aronowitz, qui est transcrite dans le livre, dans laquelle elle dit : « Les milléniaux sont vus comme des milléniaux de la classe moyenne supérieure qui ne s’intéressent qu’au nombre de jours de vacances à leur travail dans une start-up, alors qu’ils travaillent en grande partie dans les services. » Les données le montrent. Le salaire minimum, c’est un enjeu de milléniaux, mais on ne le présente jamais comme ça. Et on est blâmés : « Vous avez ruiné l’industrie des diamants. Vous avez ruiné l’industrie des essuie-tout. Vous avez ruiné ceci et cela. Vous ne vous intéressez qu’aux toasts à l’avocat et aux selfies. » Personne n’a un horaire régulier de 9 à 5, et si quelqu’un en a un, il a un deuxième boulot de 5 à minuit. Je ne peux pas concevoir qu’on dise qu’on est privilégiés ou paresseux, parce que ce n’est pas ce que j’ai vu. Tout le monde court et panique.

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Faire cette entrevue, c’est un de mes petits boulots, alors je comprends.

[Rires] Félicitations! Voilà, c’est ça. Tout le monde arrive à peine.

Je crois qu’une grande partie de ton audience est plus jeune, de la génération Z. Est-ce qu’il est difficile de leur parler de finances personnelles du point de vue d’une milléniale?

Ils ne vont certainement pas écouter les baby-boomers. Et j’adorerais savoir qu’à 30 ans, je suis complètement dépassée, qu’ils ont 19 ans, qu’ils sont super conscientisés, qu’ils se battent pour la justice sociale et qu’ils n’acceptent pas la bullshit. Et qu’ils remettent tout en question, qu’ils n’ont pas honte ou qu’ils ne sont pas stressés ou anxieux à cause de choses sur lesquelles ils n’ont aucun pouvoir. Parce que ça voudrait dire que ça va mieux. Les statistiques montrent que de plus en plus de jeunes sont queers, ou qu’ils ne se reconnaissent dans aucune des deux étiquettes binaires, et qu’ils sont plus critiques envers les problèmes systémiques.

Les règles qu’on est censés suivre au travail, du moins beaucoup de ces règles se résument à : « Laissez votre boss vous exploiter. » Et on la respecte à la lettre parce qu’on veut tous désespérément une job. La réponse à la question : « Comment garder sa job? », c’est pratiquement : « Abaisse-toi. » La génération Z, elle, répond : « Certainement pas. » Bravo. Les Z n’acceptent pas la bullshit.

On nous enlève tout et après on nous dit : « Vous voulez tout. » Ça m’énerve. « Vous voulez tellement vos soins de santé. Vous voulez tellement accéder à la propriété. Vous voulez tellement manger et boire et respirer. » Où est-ce que ça s’arrête? J’ai largement vu la génération Z dire : « Non, nous, on n’accepte pas ça. » C’est très bien.

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Tu parles beaucoup de ton expérience personnelle avec l’argent, d’une façon qu’on ne voit pas vraiment d’habitude. D’un côté, j’ai presque le même âge que toi, je suis un journaliste, je travaille beaucoup à la pige, je suis aussi bisexuel, j’écris à propos des enjeux des LGBTQ…

Hey! C’est le livre pour toi! [rires]

[rires] Oui, ça s’adresse spécifiquement à moi. Mais d’un autre côté, je soupçonne que c’est une approche qui fonctionne pour beaucoup de gens. À quel point est-ce que c’était important de parler de toi dans ce livre sur les finances personnelles?

Dans les médias, le contenu sur les finances personnelles prend très souvent l’angle de l’aspiration. Moi, j’ai voulu qu’on puisse s’y reconnaître. Quand je travaillais comme journaliste, la façon la plus facile d’amener une source à s’ouvrir, c’était de parler d’une chose semblable que je vivais. J’ai l’air d’un policier en disant ça, mais si tu dis : « Je voulais te poser des questions sur telle chose embarrassante, parce que ça m’est arrivé », la personne va s’ouvrir aussi. Et même si tu mens — maintenant, j’ai l’air d’une psychopathe —, ça aide la personne à sentir qu’elle peut t’écouter ou te parler.

Je ne pense pas que le monde veut écouter une personne dans sa tour d’ivoire. Pourquoi est-ce qu’on le ferait? Je pense qu’on veut écouter quelqu’un qui est au même niveau que soi. J’ai passé ma journée d’hier à me battre au téléphone contre la Bank of America. Je suis ici en tant qu’« experte en finances personnelles » et d’un autre côté je supplie PayPal de me rendre mes 15 $. Je n’excelle pas! Mais je préfère écouter une personne comme ça que quelqu’un à qui j’ai envie de demander : « Est-ce que tu me mens? Est-ce que tu vis sur un yacht? »

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Quels sont les commentaires que tu reçois? Des gens disent que c’est la mentalité de victime. C’est : « Si tu fais comme moi, voici ce qui va t’arriver. »

Je pense que, pour les gens, les finances, c’est The Wolf of Wall Street ou quelque chose comme ça, une affaire de pouvoir, ou qu’il faut être suffisant ou hautain et se comporter comme si on est meilleur que tout le monde. Dans mon émission, c’est juste : « Tout va mal », alors ils ne trouvent pas ça amusant. « Ce n’est pas de la danse sous l’influence de la cocaïne, il n’y a pas de courses de secrétaires », enfin le genre de choses qu’on voit dans le film. En effet, ce n’est pas amusant.

Tu racontes dans le livre que tu as posé aux clients d’un café des questions sur leur vie sexuelle et qu’ils ont été plus ouverts qu’après leur avoir demandé combien il y avait dans leur compte en banque. À quel point est-ce que c’est facile pour toi de parler de tes finances comme tu le fais?

On est sur la défensive, on est embarrassé. Il m’arrive encore de pleurer pour certaines choses. J’ai encore une réaction très négative quand des gens me posent des questions sur ce sujet. C’est bizarre, parce que c’est ce que je fais publiquement.

Mais il n’y a pas de conséquences pour moi. Je suis embarrassée. Très bien. Mais je ne vais pas perdre mon emploi. Ma famille va continuer de m’aimer. Il ne m’arrivera rien de mal si j’en parle, et je crois que c’est la même chose quand il s’agit du fait que je suis queer. Si j’ai la capacité de parler de ces choses sans que ça cause un désastre dans ma vie, je suis celle qui devrait le faire. Le livre traite beaucoup de la suppression de l’embarras, de la honte, des préjugés qui surgissent quand il est question d’argent, ce qui est tellement bien ancré dans la société et en nous.

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Dans les commentaires, je reçois des courriels de personnes — je dois préciser que ce sont presque tous des hommes — qui soit me voient comme une petite princesse qu’ils peuvent sauver, soit me traitent de parfaite idiote. La raison pour laquelle d’autres, en particulier les personnes marginalisées, ne parlent pas de ces sujets, c’est qu’ils ne veulent pas recevoir les insultes des gens comme ceux-là.

Cette entrevue a été légèrement abrégée par souci de clarté et de concision.

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