« J'opérais alors à Gorom-Gorom au nord du pays […] et nous rassemblions des gens venus de tout le pays pour les former à l'agroécologie. Le chef d'État avait entendu parler de la satisfaction des paysans, de l'agriculture bio sans onéreux intrants chimiques que nous préconisions, des macérations de plantes pour traiter ou prévenir les maladies, des bons rendements que nous obtenions par la fertilisation des sols à partir de matière organique fermentée, de nos systèmes anti-érosion… Notre aura était positive et à ses yeux nous portions une sorte de bouleversement agraire. Les paysans venaient même témoigner que ce qu'ils produisaient en bio avait meilleur goût que lorsqu'ils "mettaient la poudre des Blancs"… »
« Le message d'un Mandela, d'un Martin Luther King trouve sa pertinence dans un monde qui a dépassé la confrontation des idéologies et le totalitarisme conquérant. » – Stéphane Hessel
La lecture individualiste du « colibrisme » rappelle d'ailleurs l'ambition contre-culturelle dont, les décennies passant, nous mesurons l'innocuité. Comme l'énonçaient Joseph Heath et Andrew Potter dans Révolte consommé, « la préoccupation à l'égard de la justice sociale a été redirigée puis absorbée dans une préoccupation de plus en plus narcissique pour la croissance spirituelle et le bien-être personnels ».Le potentiel révolutionnaire du « colibrisme » se gâche s'il se refuse à être complété par l'action pratique et la lutte politique. Il risque de se condamner à construire un mode d'organisation sociale et agraire capable de cohabiter avec le consumérisme et l'agriculture conventionnelle – c'est-à-dire, à n'être qu'un marché parmi d'autres. Sans un effort destiné à produire de la loi et de l'interdiction, ce seront toujours Bayer-Monsanto et l'agro-industrie qui gagneront – et c'est logique, au vu des capacités d'influence respectives. C'est pourquoi, sans perdre jamais de vue tout ce qu'a d'exemplaire et d'inspiratrice la sagesse de M. Rabhi, il faut reconnaître l'ingénuité qu'il y a à ne pas penser le rapport de force et à rabattre la question politique sur une affaire d'individus.À ce titre, la conférence Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre du socialiste William Morris, prononcée en 1884, mérite d'être citée. Ce joyeux rebelle n'hésitait pas à s'emparer du terme révolution pour désigner « une transformation des fondations de la société », et dénonçait les illusions sur quoi reposent l'ordre injuste, l'enlaidissement du monde et le gaspillage – qualifiant le commerce de guerre entre « firmes concurrentes ». Et il invitait à réfléchir : « Ne sommes-nous pas dans un système qui interdit pratiquement toute volonté de reconstruction ? Et notre réponse non plus n'a rien de déraisonnable : "Il existe un certain nombre d'obstacles précis au progrès véritable de l'homme ; nous pouvons vous les indiquer ; commencez par les supprimer ; et alors, vous verrez !" » Mais il est vrai que, contrairement à Pierre Rabhi, William Morris désignait directement les responsables : les « profiteurs », les « spéculateurs ». C'est-à-dire les garants de l'ordre capitaliste.« Ne sommes-nous pas dans un système qui interdit pratiquement toute volonté de reconstruction ? » – William Morris