J’ai été braqueur dans le Pas-de-Calais – maintenant, c’est fini
Toutes les illustrations sont de Robin Renard

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J’ai été braqueur dans le Pas-de-Calais – maintenant, c’est fini

Éric Sniady a passé toute sa vie d'adulte entre la prison, le banditisme et les évasions.
Keuj
par Keuj

« Mais t'en as tué combien ? » Voici la question récurrente à laquelle Éric Sniady est confronté lorsqu'il échange sur son parcours. Aujourd'hui âgé de 56 ans, l'ancien braqueur a passé plus de la moitié de sa vie derrière les barreaux. Pas une goutte de sang sur les mains, pourtant. Récidives, évasions et le compteur s'est affolé. Sans la défense de Maître Pelletier, c'est même 54 ans qui l'attendaient. En liberté conditionnelle depuis 2013, Éric est aujourd'hui rangé des voitures. Il travaille à l'usine et milite auprès de l'Organisation internationale des prisons pour les droits des détenus. Récemment retourné dans son Nord natal, il ne songe désormais qu'à profiter de sa « deuxième naissance ». Car rien ne le prédestinait à faire carrière dans le banditisme.

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Fils unique, Éric grandit dans les corons. Sa mère est femme de ménage alors que le père s'esquinte la santé à la mine. Un accident de travail plus tard, la famille déménage à Saint-Cloud, en région parisienne, où l'ancien mineur s'est reconverti dans la conciergerie. Changement de décor et perte de repère d'un gamin, Éric, qui se verrait bien conducteur d'engins, et qui déserte rapidement sa formation de tourneur-fraiseur. « C'est la première fracture de ma vie » concède-t-il simplement aujourd'hui. Lui, l'enfant de chœur nordiste, est confronté en parallèle au racket et au trafic de shit des petites frappes de Nanterre. Il arrête l'école à 17 ans et s'engage trois ans dans l'armée.

Bon sportif, il monte en grade et devient caporal-chef. En poste à la frontière allemande, Éric se prend au jeu des virées nocturnes sur Strasbourg avec ses compagnons d'armes. Une nuit, l'un d'eux se tue en voiture. Éric se met alors « à déconner » et se retrouve dégradé. En 1978, c'est le retour à la vie civile. Il enchaîne les petits boulots. Se marie. Devient père. Puis divorce cinq ans plus tard. Cette séparation marque le point de départ de son autre carrière : celle de délinquant.

Après des petits larcins pour se faire la main, il gravit les échelons pour devenir braqueur. Éric opère en solo, se spécialisant dans les bureaux de poste. « À l'époque, les coffres s'ouvraient facilement et pour la vidéosurveillance il suffisait de retirer la cassette du magnétoscope dans le bureau du directeur. » Comme beaucoup d'apprentis gangsters, il n'a pas le goût de l'épargne et mène grand train. L'écumeur des postes est arrêté le 2 juillet 1985 à Nice. Première expérience carcérale en maison d'arrêt, en attendant le jugement en 1989. Le dossier est instruit par le juge Wagniez, connu pour être le seul magistrat français à avoir fait de la prison pour corruption et trafic d'influence. Proche du milieu lillois, « c'est le genre de shérif capable d'enfermer ta femme et tes gosses pour te faire craquer s'il en avait le pouvoir », me dit Éric. La cour d'Assises de Douai lui attribue 22 vols à main armée à travers la France. Défendu par le célèbre Maître Dupont-Moretti, à l'époque avocat commis d'office, il est condamné à 13 ans de prison. Démarre alors un long combat contre l'administration pénitentiaire, toujours d'actualité depuis sa sortie.

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En détention, il se rapproche d'anciens de Libération parmi lesquels Serge Livrozet, le fondateur du Comité d'actions des prisonniers en 1972, puis rédige des rapports pour l'Organisation internationale des prisons. À Nice, il fait partie des 800 prisonniers qui se taillent les veines simultanément. Le 12 août 1987, il s'automutile en envoyant une phalange au juge d'instruction. C'est l'époque des mouvements pacifiques dans la cour de promenade, des refus de remonter en cellule, des montées sur les toits et des grèves de la faim. « Je refusais les fouilles à nue en faisant trois quatre nœuds avec mon survêt ; ils finissaient par m'arracher les vêtements pour m'inspecter. » Ce militantisme est issu du paternel, « un homme de gauche qui, pour gagner un franc de plus, allait faire la grève sur le carreau de la mine, avec les manches de pioches face aux CRS. »

Jusqu'en 2001, un avocat ne peut assister un détenu en commission de discipline. Éric ne compte plus les visages tuméfiés de détenus sur lesquels se sont acharnés des surveillants soucieux du maintien de leur ordre. La fin des années 1980 est aussi marquée par l'absence de professionnels de la santé en détention. La médecine pénitentiaire est alors l'œuvre de bonnes sœurs, secondées de temps à autre par un dentiste qui vient faire son quota d'arrachages.

À la prison Centrale de Saint-Maur où il est incarcéré après son jugement, Éric Sniady fréquente le gratin de l'époque : Francis Girard, le commanditaire de l'assassinat du juge Michel, les hommes du milieu corse et marseillais, les kidnappeurs du baron Empain et un panel de terroristes de différents horizons. « Les mecs m'expliquaient le reliquat des peines qu'il leur restait à faire : 15, 20, 25 ans. J'ai compris que quand tu déconnes en prison, le seuil maximal d'incarcération saute – contrairement à ce que l'on croit à l'extérieur. »

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Cette prise de conscience ne l'empêche pas de s'évader en 1993, alors qu'il est libérable trois ans plus tard. À la suite d'une permission, il ne rentre pas au centre de détention de Mauzac, un des deux établissements pénitentiaires français sans murs d'enceinte, où une assistante sociale lui avait dégoté une place. Cette cavale improvisée en raison de problèmes familiaux n'arrange pas ses finances. Pour se remplumer, Éric rejoint la Côte d'Azur où le père d'une amie lui présente une affaire : le braquage de la Société Générale de Nice. Il accepte.

L'idée est de « lever » la directrice chez elle en soirée pour se faire ouvrir les coffres de la Banque le lendemain matin. Après une semaine de filature, Éric surprend la femme qui vient de se garer et l'accompagne sous la contrainte jusqu'à son appartement. « Je voulais lui passer les pinces mais vu qu'on était là pour la nuit et qu'elle coopérait, je l'ai laissée vaquer à ses occupations. » Son complice arrive une demi-heure plus tard et fouille l'habitation. Il tombe sur deux boîtes ; l'une remplie de bijoux et l'autre d'espèces. Le butin satisfait le complice qui convainc Éric de ne pas suivre le plan de départ. Les deux hommes bâillonnent alors la propriétaire des lieux et s'en vont.

Un concours de circonstance va avoir raison du duo. Éric est alors de retour dans le Pas-de-Calais chez la sœur de son ancienne compagne. Il découvre en ouvrant La Voix du Nord que la police recherche un malfaiteur au profil similaire. Le suspect vient d'enchaîner trois braquages de postes en solo et dans le même secteur géographique que celui d'Éric une dizaine d'années auparavant. L'article dresse son portrait. Les enquêteurs font immédiatement le rapprochement et l'interpellent avant qu'il ne quitte la région. En garde à vue, le SRPJ de Lille lui met ces trois affaires sur le dos. Un témoin oculaire, qui a aperçu le braqueur sans cagoule juste avant qu'il entre, dit reconnaître formellement Éric. Accusé à tort, il est écroué à la maison d'arrêt de Béthune où il commence par payer son évasion de Mauzac : 45 jours de mitard.

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« Des mecs qui font les caïds en bande mais qui, seuls devant les flics, se conduisent pire que des lopettes. Ça dénonce ses complices et même sa propre famille », déclare Éric Sniady, à propos du banditisme des cités.

Chaque matin, Éric demande au surveillant si les médias n'ont pas évoqué l'arrestation du vrai coupable. La bonne nouvelle arrive enfin. Un homme a reconnu les braquages, disculpant par la même occasion Éric. Mais pas le temps de se réjouir. Car entre-temps, le SRPJ de Lille a par hasard remonté la piste de son complice sur la séquestration de la directrice de banque en enquêtant sur le braqueur des postes de Lens. Le complice d'Éric a fait l'erreur d'offrir une partie des bijoux dérobés à sa demi-sœur. Toxicomane, celle-ci est arrêtée et passe à table. Elle évoque une grosse somme d'argent tombée du ciel au cours de la semaine où son demi-frère avait hébergé Éric. Le SRPJ de Lille cuisine l'ancien complice sur la base des déclarations de la demi-sœur toxicomane. L'homme se tient bien pendant 24 heures avant de jouer les balances. « Il aurait nié ça passait vu que les flics n'avaient aucun élément sur moi » enrage aujourd'hui Éric, qui prend 15 ans sur les déclarations de son complice.

C'est un nouveau tour de France des prisons qu'entame Éric à partir de 1996. Au quartier d'isolement de Fresnes, il côtoie une fois de plus de beaux CV. Sa cellule est mitoyenne de celle de Michel Lepage dit le Gros, tout juste extradé d'Espagne, et de celle de Mohamed Chalabi, braqueur d'Orly reconverti dans l'islamisme. Éric assiste alors incrédule à la montée du salafisme dans les prisons françaises. Cette période correspond aux premières prières collectives sous le regard alors conciliant du personnel pénitentiaire. « Le surveillant ça reste un fonctionnaire qui veut rentrer chez lui à 18 heures. Tant que les jeunes de cité font des prières collectives à Fleury, ils ne cherchent pas à s'évader », analyse Éric. Ce vivier du terrorisme créé à l'intérieur des prisons françaises est impossible à stopper et les sanctions de l'administration sont inadaptées : « Qu'est qu'un mec dont l'objectif est de se faire péter en a à foutre du mitard ? » Toujours à Fresnes mais en 2005, Éric croisera la route de Djamel Beghal. Le mentor des frères Kouachi racontera en détail son arrestation au retour d'Afghanistan et son extradition en France en 2001.

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Début août 2003, Éric est transféré à la maison d'arrêt de Meaux. À peine arrivé, il se rend compte que la configuration des lieux est propice à une évasion. Il échafaude un plan avec la complicité de deux amis à l'extérieur et celle d'un surveillant payé pour rentrer une pince coupante et la déposer à l'endroit demandé. Le 20 septembre, c'est le grand jour. En promenade, Éric se hisse à la force des bras au plafond grillagé de près de 3m. Il traverse un grillage défectueux pour retomber sur une autre cour de promenade. De là, il passe les rouleaux de barbelés « en se déchirant de partout » pour regagner le chemin de ronde. À califourchon en haut du mur d'enceinte, son complice lui lance une échelle de bâtiment. Éric grimpe et bascule dans le monde libre. 200 mètres plus bas, une voiture les attend. « J'avais une patate d'enfer à l'époque. Pompes, abdos, tractions : je me maintenais en forme pour partir. »

Quinze jours plus tard, Éric redescend sur Paris avec des amis. L'un d'eux se fait arrêter sur l'autoroute du Nord en train de braquer un camion de fret. Un piège des gendarmes. Son partenaire écroué, Éric se retrouve isolé. Sans papiers. Sans armes. Sans argent. Vu sa situation, inutile de pointer à l'ANPE.

Ayant des points d'attache à la Courneuve en Seine-Saint-Denis, Éric rencontre alors une connaissance qui le branche avec un trafiquant de drogue pour remonter au braquo. « Des mecs qui font les caïds en bande mais qui, seuls devant les flics, se conduisent pire que des lopettes. Ça dénonce ses complices et même sa propre famille », déclare-t-il aujourd'hui à propos de la nouvelle école du banditisme venue des cités. Accompagné de deux jeunes complices, Éric repart au turbin. Il tape principalement des supermarchés. Arrive ensuite le braquage d'un PMU. Tout se déroule sans accroc puis au moment de quitter le commerce, l'Audi volée ne démarre pas, clouée sur place après l'activation de l'antivol par satellite. Pas un souci pour Éric : il braque la première voiture venue pour s'arracher.

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C'est alors qu'une erreur fatale va permettre aux policiers de remonter jusqu'à l'équipe. Les deux complices ont jugé bon de conserver les deux téléphones dernier cri emportés dans l'Audi malgré les mises en garde d'Éric. Les policiers mettent les bouchées doubles et finissent par remonter jusqu'aux deux hommes. En garde à vue, l'une des deux petites frappes balance « son cousin, la personne qui l'hébergeait, la personne qui nous a mis en relation, un intermédiaire pour les armes – bref, tout le monde. » Éric est arrêté mi-décembre. Fin des haricots et début d'emballement de la machine judiciaire. Les procès se succèdent et le compteur enfle même si deux affaires sont correctionnalisées entre-temps. Entre 2006 et 2007, Éric est condamné au total à 26 ans de réclusion. En 2008, Maître Pelletier prend sa défense à titre gracieux et s'engage à obtenir la confusion entre cinq et six ans. C'est chose faite en 2011, où Éric découvre la décision du tribunal de Lille par visioconférence depuis sa cellule de Saint-Maur. « 11 ans ! C'est pas une épine, mais un arbre qu'il m'a enlevé. »

L'ancien DPS – Détenu particulièrement surveillé - ne garde pas trop de séquelles de l'incarcération, si ce n'est « un sommeil haché », souvenirs de matons pervers frappant l'œilleton toutes les demi-heures.

Éric obtient finalement sa libération conditionnelle le 18 novembre 2013. La transition avec le monde libre se déroule bien pour quelqu'un qui a fait son « autocritique » en prison, bien aidé par le soutien extérieur. L'ancien DPS – Détenu particulièrement surveillé - ne garde pas trop de séquelles de l'incarcération, si ce n'est « un sommeil haché », souvenirs de matons pervers frappant l'œilleton toutes les demi-heures.

Éric avoue parfois avoir galéré avec les « bornes informatisées des administrations » mais a pu compter sur l'aide de sa fille, qu'il appelle parfois Maman. C'est elle qui le guide pour l'achat d'un smartphone et le familiarise à l'usage du Web. « Maintenant tout se passe sur le Net, même la drague. Mon gendre m'a mis sur Badoo – j'ai été choqué », confie l'ancien braqueur.

Éric a en effet définitivement tiré un trait sur son passé délinquant. Il aurait pu récupérer de l'argent via des contacts dans les cités mais assure changer de trottoir s'il devait rencontrer d'anciennes connaissances. « Les nouvelles générations c'est chaud. Une vie humaine aujourd'hui c'est 3 000 euros et tu peux mourir pour n'importe quoi dans ce milieu-là. C'est devenu un monde d'enculés – comme la prison. »

Après avoir travaillé comme chauffeur-livreur sur Paris à sa sortie, un ami lui a trouvé un poste de manutentionnaire dans une usine du Nord. Un rapprochement familial indispensable pour celui qui n'a quasiment jamais emmené sa fille à l'école et qui n'a pu assister aux enterrements de ses parents. À côté de son travail, Éric fait également de la prévention de la délinquance et milite pour les droits des détenus aux côtés de l'OIP, sa « deuxième famille ». Une activité qui l'a notamment menée à un colloque à l'EHESS, lui dont un des regrets est de ne pas avoir suivi de cours par correspondance en prison. En instance de divorce depuis le mois de décembre après un deuxième mariage à la Centrale de Saint Maur en 2010, Éric a « retrouvé quelqu'un » comme il dit pudiquement.

Si l'heureuse élue aime les histoires, elle sera servie. Ça tombe bien, un livre retraçant le parcours de celui que ses amis de l'OIP appellent « le survivant » est sorti le 2 juin.

Le livre d'Éric Sniady, « Entre quatre murs », est publié chez City Éditions.