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Philippines

Vivre avec son nom sur la « kill list » du président philippin

Avant de devenir président, Duterte était maire de Davao, où des milices tenaient une liste non-officielle de cibles à éliminer.
Associated Press

Depuis son élection à la présidence des Philippines en juin dernier, Rodrigo Duterte multiplie les menaces. Duterte a estimé que les enfants tués dans le cadre de son programme de lutte antidrogue sont des « dommages collatéraux », il s'est aussi vanté de vouloir tuer 3 millions d'accros à la drogue et a appelé les Philippins à tuer tous ceux qu'ils voyaient commettre des délits. Ce lundi, il a admis avoir lui même tué des personnes qu'il soupçonnait d'être des criminels — à l'époque où il était maire de Davao.

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On estime que 5 000 personnes ont été tuées par la police et des milices depuis que Duterte est devenu président. Et s'il y a bien une ville où sait le danger qu'il peut représenter, c'est à Davao, où Duterte a enchainé sept mandats de maire.

J'ai rencontré Jay pour la première fois en 2009 quand je vivais à Davao et travaillais pour une ONG. Il me disait à l'époque qu'il était sur « la liste » — une liste non-officielle de cibles tenues par l'Escadron de la Mort de Davao. On dit de cette milice qu'elle exécute ceux qu'elle suspecte d'activités criminelles et certains disent qu'elle entretient d'étroites relations avec les forces de l'ordre. Un rapport de 2009 de l'ONU critiquait le rôle de Duterte dans ces exécutions sommaires : « Le maire de Davao n'a rien fait pour arrêter ces meurtres, et ces déclarations publiques laissent penser qu'il les soutient. »

J'ai passé du temps avec Jay et ses amis dans le parc où ils passaient leurs soirées. On parlait de leurs vies, de musique, et des dangers inhérents au quartier. Une fois que vous vous retrouvez sur « la liste », ce n'est plus qu'une question de temps avant de vous faire « éliminer ».

Ils sont nombreux à Davao à soutenir ces milices parce qu'elles offrent une solution pratique à la criminalité. Un habitant de la ville m'a dit que les escadrons de la mort faisaient du bon boulot à Davao — ils « nettoient les rues », me disait-il. Les résultats de cette méthode sont vus comme un « succès » — si bien qu'en mai 2015, d'autres villes du pays avaient elles aussi lancé leurs escadrons de la mort.

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La méthode Duterte l'a rendu très populaire. En mai 2016, pour les élections présidentielles, il a remporté 40 pour cent des votes. Sa principale promesse de campagne était de remplir les salons funéraires de cadavres et de balancer tellement de corps dans la baie de Manille que « les poissons allaient devenir obèses ». Ces cadavres sont ceux de présumés criminels, comme les enfants des rues de Davao.

Des neuf enfants que j'ai côtoyés à Davao, tous vivaient dans les rues et leurs noms étaient inscrits sur la « liste ». Ils savaient plus ou moins dans quel ordre ils allaient se faire tuer, mais ils ne savaient pas quand. Ils partageaient tous des histoires semblables de familles éclatées, de manque de chance, et d'un enchaînement de mauvaises décisions. Mais dans cette ville, les mauvais choix faits dans votre jeunesse peuvent vous envoyer rapidement entre quatre planches. Vous pouvez vous retrouver sur la liste pour une infraction mineure, le fait de dormir dans la rue, de traîner avec les mauvaises personnes, ou parce que vous avez pris de la rugby — une version philippine de la colle à sniffer. Cette drogue permet notamment d'annihiler la sensation de faim, ce qui la rend très attractive pour ceux qui vivent sans le sou.

Quelque mois plus tard, j'ai repris contact avec Jay, sur Skype. Il avait un bandage sur la tête — il avait survécu par miracle à une attaque au couteau. Des tueurs à gage étaient venus le trouver et l'ont poignardé cinq fois dont une à la tête et deux dans les genoux. La scène s'est déroulée dans un cybercafé comme celui depuis lequel il me parlait. Jay n'était pas la seule victime de l'attaque, des amis ont perdu la vie ce jour-là.

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Ceux qui se retrouvent sur la liste n'ont aucune chance d'avoir un procès. Il apparaît aussi que les erreurs d'identité sont fréquentes. Des témoins ont dit avoir entendu les tueurs hurler « On a le mauvais gars » après le meurtre. Plus tôt dans l'année, Duterte a dit « Est-ce que les vies de dix criminels comptent vraiment ? Si je suis celui qui pâtit de leurs méfaits, est-ce que la vie de 100 de ces idiots représente quoique ce soit pour moi ? »

Dans de nombreux cas, la victime a été poignardée par un membre d'un escadron de la mort avec un couteau de boucher. Les attaques surviennent généralement dans des lieux publics avec de nombreux témoins — qui ne sont soit pas interrogés par la police ou ont trop peur de témoigner. Les meurtres ont eu lieu dans des endroits que Jay et ses amis connaissaient bien — comme la rue du fast-food Jollibee dans laquelle ils garaient leurs voitures.

En marchant dans ces rues avec Jay, je lui ai demandé pourquoi il n'a pas fui. Il m'a confié que Davao c'était chez lui — il est arrivé ici après la mort de sa mère. Il m'a ensuite présenté à son ami Seol, qui pensait être le prochain sur la liste.

Quelques mois plus tard, j'ai reçu un message sur Facebook. Seol avait vu juste. Dans les sept années qui ont suivi, un des frères de Seol a été tué, et un autre a été jeté en prison. Ses parents ont rejoint les milliers d'autres Philippins dont la vie a été chamboulée par le plan de Duterte.

Ce mercredi, deux sénateurs des Philippines ont appelé à la destitution du président après qu'il ait admis avoir tué personnellement des suspects. Le gouvernement américain a aussi menacé cette semaine de couper les aides envoyées aux Philippines à cause des inquiétudes concernant ces abus des droits de l'homme. Malgré ces avertissements, la popularité du président reste haute. Celui qu'on surnomme le « Punisher » n'est pas près de tomber.


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