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Crime

Vivre sans toilettes

L'absence de sanitaires expose chaque jour des femmes au viol, des enfants à des retards de croissance, des sans-abris à des actes de violence, tous à des maladies diarrhéiques.
Photo via Flickr

On estime que 2,5 milliards de personnes dans le monde n'ont pas accès à une installation sanitaire décente. Plus d'un milliard de personnes est contraint de faire ses besoins à l'air libre. On compte près de 4 milliards de cas de maladies diarrhéiques dues à une eau contaminée par les excréments, qui tuent chaque année 2 millions de personnes, surtout des enfants. Au total, c'est plus que le Sida et la malaria combinés.

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En Inde, où 550 millions de personnes font leurs besoins dans la nature, 45 % des enfants ont du retard dans leur croissance à cause d'un manque d'installations sanitaires et faute d'accès à de l'eau propre. Des études montrent que l'absence de toilettes et la propagation de maladie qui en découle ont pour conséquence directe de rendre les enfants indiens plus petits.

« Quand les gens n'utilisent pas de véritables toilettes, ils vont dans les champs, dans des fossés ou le long des voies de chemin de fer », explique à VICE News Thorsten Kiefer, le fondateur et PDG de WASH United, une ONG allemande qui oeuvre pour un accès à de l'eau saine pour tous. « Cela signifie qu'il est impossible de séparer efficacement les êtres humains de leur propre merde. Les gens marchent dans leur merde et l'emportent chez eux. Les mouches atterrissent sur leur merde, et c'est ainsi que les gens finissent par manger et boire la merde de l'autre. »

Les propos de Thorsten Kiefer sont chocs, mais le problème est aussi simple qu'il est répandu. D'après l'ONU, un quart de la population défèque toujours en plein air en Afrique subsaharienne, surtout dans les zones rurales. L'urbanisation a augmenté l'accès à des toilettes propres, mais l'augmentation de la densité de la population amplifie le risque de maladies. En mai dernier, les autorités de l'État de Lagos, au Nigeria ont demandé à la police d'arrêter les gens qui faisaient leurs besoins dans la nature.

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Le problème est plus grave en Inde. En avril dernier, dans le cadre d'une campagne de l'UNICEF, le gouvernement a diffusé une vidéo d'animation dans laquelle une « mascotte fécale » demandait aux Indiens d'utiliser des toilettes. Peu de temps après avoir été élu Premier ministre, Narendra Modi a imploré le pays d'améliorer ses services sanitaires, disant que les « toilettes passaient avant les temples ».

Des millions ont entendu le message, mais peu de gens comprennent ce qui rend les toilettes si importantes. Un seul gramme de matière fécale humaine peut contenir jusqu'à 10 millions de virus, 1 million de bactéries, et une centaine d'oeufs de parasites.

« Les gens marchent dans leur merde et l'emportent chez eux. Les mouches atterrissent sur leur merde, et c'est ainsi que les gens finissent par manger et boire la merde de l'autre. »

Le gouvernement indien construit des toilettes depuis des décennies, et elles sont souvent utilisées comme telles. Mais parfois ils servent de poulaillers, de local à vélo ou d'endroit où l'on stocke de l'engrais.

« Certaines personnes considèrent que faire ses besoins dans la nature est plus agréable et confortable que de se confiner dans de petites toilettes, » explique Thorsten Kiefer. « Il y a toute une culture autour de la défécation en plein air, il y a de vieilles traditions qui doivent s'effacer pour faire comprendre aux gens qu'il faut utiliser des toilettes, faire changer les normes de la société. » Faire caca en public ne fait pas que répandre des maladies. Ça met aussi les femmes en danger.

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« Quand les filles ou les femmes doivent quitter leur village pour faire leurs besoins derrière un buisson, elles sont vulnérables et sont plus susceptibles d'être agressées, » explique à VICE News Catarina de Albuquerque, première Rapporteuse spéciale de l'ONU sur le droit à l'eau potable et à l'assainissement.

La plupart des 870 cas de viols qui ont eu lieu en 2012 dans l'État indien du Bihar, ont eu lieu quand des femmes se sont éloignées pour faire leurs besoins, rapporte la police.

« Le manque de sanitaires a un impact extrêmement négatif sur les droits des femmes et des filles, » explique Catarina de Albuquerque.

Elle a fait attention à ne pas pointer du doigt un pays en particulier, pour ne pas mettre des bâtons dans les roues de l'ONU, mais elle fait remarquer que le gouvernement indien ne lui a pas permis de mener son enquête dans le pays.

« Depuis 2008, je demande à mener une mission de recherche en Inde, » rapporte Catarina de Albuquerque. « Je fais la demande presque tous les ans. Je rencontre toujours les ambassadeurs, mais le gouvernement ne me laisse jamais pénétrer dans le pays. »

L'accès aux toilettes n'est pas uniquement un problème pour les pays en voie de développement. Certains pays développés font marche arrière sur cette question. Des villes aux États-Unis et en Europe ferment les toilettes publiques. Les sans-abri n'ont pas d'autre choix que de faire leurs besoins ailleurs.

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D'après Catarina de Albuquerque, « Il y a une politique systématique de fermeture des toilettes publiques pour se débarrasser des sans-abri [dans certains pays]. Ce qui pose un gros problème en termes de dignité et d'intimité, et les rend vulnérables aux attaques. »

Narendra Modi dit qu'il veut éradiquer les besoins en plein air d'ici 2019 en Inde. En août, il a engagé une politique de propreté et a demandé à tous les membres de son gouvernement de nettoyer leur bureau et leurs toilettes.

Thorsten Kiefer est optimiste, mais il dit que le problème de l'Inde est un problème tenace.

« Il ne s'agit pas seulement de construire des toilettes, encore faut-il que les gens prennent l'habitude de les utiliser, » dit-il.

Suivez Samuel Oakford sur Twitter: @samueloakford

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