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Une communauté autochtone non reconnue tombe sur les nerfs des Mohawks au Québec

« On peut se mettre un bandeau en cuir et une fausse coiffe à plumes et proclamer qu'on est spirituel, mais il n'y a là aucune substance. »

Lise Brisebois s'est toujours sentie « indienne ».

«Quand t'es un autochtone, tu découvres que c'est vraiment vrai, ce que tu ressens en dedans de toi, le tam-tam, la musique part, le pied part avec », explique la propriétaire d'une garderie.

Brisebois, qui dit avoir une grand-mère algonquine, est la chef de la communauté Mikinak. Le groupe a été formé en janvier dernier et est établi surtout dans les environs de Beauharnois, ville de banlieue de la Rive-Sud de Montréal. « Nous avons différentes nationalités : il y a des Hurons, des Algonquins, des Mohawks, quelques Abénakis. » Quiconque peut montrer qu'il a un ancêtre autochtone — en présentant les résultats d'un test d'ADN ou simplement son arbre généalogique — peut demander une carte Mikinak. Cette carte plastifiée leur coûte 80 dollars et leur promet une série de « droits ».

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« Cette carte atteste que le détenteur de cette carte est un Autochtone au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada (1982) et peut se prévaloir des droits autochtones applicables », peut-on lire au dos, en plus de quelques droits : droits de cueillette à des fins de subsistance, droits de troquer et de mobilité interfrontalière dans l'Amérique du Nord, droits issus de traiter de troque de biens traditionnels.

L'ennui, c'est que le gouvernement fédéral ne reconnaît pas la nation Mikinak ni les privilèges qu'elle affirme conférer, et que plusieurs chefs des Premières Nations estiment que c'est une supercherie.

Brisebois assure que son premier objectif, c'est d'aider les gens à comprendre les valeurs autochtones. « Je me bats pour nos droits de nous nourrir, de pêcher et de chasser », clame-t-elle. L'éducation et les médicaments gratuits font aussi partie des revendications.

VICE a rencontré Brisebois et les membres de la communauté Mikinak dans le stationnement d'un centre commercial de Gatineau. Le groupe s'y était donné rendez-vous en raison de sa proximité avec les bureaux du ministère des Affaires autochtones et du Nord, avec qui la chef voulait s'entretenir.

Le rassemblement, coorganisé par la Confédération des peuples autochtones du Canada (CPAC, un organisme qui chapeaute divers groupes non officiels qui se disent autochtones), devait aussi tenir lieu de consultation publique pour ses membres.

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La Confédération a fait l'objet de controverse, souvent en lien avec son énigmatique « grand chef », Guillaume « Billy » Carle. Dans la dernière décennie, en plus d'avoir fait un séjour en prison pour entrave à l'exercice de la justice, il a été accusé de mal gérer les finances d'un autre groupe autochtone et de mentir au sujet de ses racines (accusations qu'il réfute avec véhémence).

Pour lui, la réunion dans le parking du centre commercial est un pas de plus vers son objectif de former — et de diriger — un gouvernement autochtone autonome. « Nos membres sont un mélange d'un peu de tout, ce sont des gens qui pendant longtemps ont eu peur de leur identité, peur de parler des pressions, des agressions », affirme Carle.

Bien que les membres doivent présenter des documents ou des résultats de test d'ADN pour prouver leurs racines autochtones, il explique que le principal facteur déterminant de l'identité autochtone, c'est l'auto-identification. « Personne, même pas l'ONU, même pas le gouvernement, ne peut dire qu'on n'a pas le droit d'être un Autochtone. »

Le grand chef s'attendait à ce qu'environ 10 000 « membres de partout au pays » assistent à la conférence extérieure. Au moment de notre visite le premier jour du rassemblement, environ 40 personnes s'y trouvaient, assises dans des chaises de camping autour de VR.

« Il y a eu un changement de plan à cause de la police de Gatineau », nous a répondu Carle quand on l'a questionné à propos de la différence. Selon lui, les autorités n'étaient pas emballées par les plans du groupe, qui voulait installer ses tipis en ville.

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Un porte-parole de la police de Gatineau a affirmé que le CPAC les avait avertis de la venue de 15 000 personnes. Les autorités ont informé le groupe qu'il ne pouvait pas installer de tentes devant les bureaux du gouvernement, mais sans essayer de les dissuader de se rassembler. Selon les estimations d'un policier, environ 65 personnes se sont présentées au rassemblement au cours du week-end.

Le grand chef de Kahnawake Joseph Tokwiro Norton a pris position contre les volontés de la communauté Mikinak. Norton ne croit pas qu'il s'agit de retrouver une identité perdue.

Selon lui, le groupe, qui est établi tout près du territoire des Mohawks, est motivé par les prétendus avantages d'être autochtone. « Il n'y a aucun doute pour moi que ce n'est que pour les bénéfices. On peut se mettre un bandeau en cuir et une fausse coiffe à plumes, comme l'a fait Lise Brisebois, et proclamer qu'on est spirituel, mais il n'y a là aucune substance. »

Une récente décision de la Cour suprême semble être la principale source de motivation des membres de Mikinak. En avril dernier, le jugement dans l'affaire Daniels c. Canada a déterminé que les 600 000 Métis et « Indiens » non inscrits du Canada sont des « Indiens » d'un point de vue constitutionnel.

D'après Lise Brisebois, ce jugement confirme que son groupe peut se prévaloir des droits qu'il réclame : « Tous ceux qui ont des racines autochtones, que ce soit de dixième ou de deuxième génération, sont Indiens. » Un refrain que reprennent beaucoup des membres de Mikinak.

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« Aujourd'hui, on n'a plus de droits, il faut les demander sinon on les aura pas », se désole Jean-Yves Bernard, un résidant de Rosemère. « On doit les défendre et les demander sinon on les aura pas. » Cet arrière-petit-fils d'un Algonquin se bat pour l'accès à l'éducation et aux médicaments gratuits, ainsi que pour le droit de chasser et de pêcher. « Rien de compliqué. Parce qu'on ne vit pas sur une réserve, on doit payer des taxes. Ce sont des irritants », ajoute-t-il.

Mais l'avocate en droits des Autochtones Kathryn Tucker estime que le groupe interprète mal l'effet du jugement. « La question dans ce cas-ci, était "Qui est indien?" pour que le gouvernement fédéral puisse légiférer relativement aux Métis et aux Indiens non inscrits. »

Une zone grise constitutionnelle laissait les deux groupes dans un vide juridique quand ils voulaient du soutien ou des ressources. « Les provinces répondaient normalement : "Ce n'est pas de notre juridiction, communiquez avec le fédéral", et le fédéral répondait : "Vous n'êtes pas sous notre responsabilité, communiquez avec votre province" », explique-t-elle.

Le jugement éclaircit la situation. « Maintenant, s'il y a des questions politiques ou si des personnes qui demandent de l'aide ou des responsabilités, ils peuvent communiquer avec le fédéral. » Mais c'est tout. « Elle ne crée pas de nouvelles catégories inscrites dans la Loi sur les Indiens. Tout ça ne change pas », précise-t-elle. Bref, le jugement dans l'affaire Daniels c. Canada ne donne pas de nouveaux droits à la communauté Mikinak

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D'ailleurs le ministère des Affaires autochtones (AADNC) nous a confirmé qu'aucun des « droits » énumérés n'a réellement de force exécutoire. « Le gouvernement du Canada respecte le droit des groupes de produire et de distribuer des cartes de membres pour qu'ils s'identifient à une collectivité ou à une communauté », nous a écrit un porte-parole d'AADNC. « Ces cartes attestent que le détenteur est membre d'une organisation, mais ne lui confère pas le statut d'Indien ni les droits ou bénéfices accordés expressément aux Indiens inscrits. La communauté autochtone de Mikinak n'est pas une bande reconnue en vertu de la Loi sur les Indiens. »

Lise Brisebois maintient que son groupe est simplement mal compris et que son principal objectif est de se reconnecter avec ses traditions perdues. « On aide les personnes autour de nous qui se disent qu'il y a quelque chose en dedans d'eux qui les attirent en forêt, qui veulent savoir si on peut les aider à trouver leurs origines. »

Mais Joseph Tokwiro Norton n'en croit rien.

Il fait remarquer que beaucoup de personnes d'origine mohawk viennent à Kahnawake pour garder un lien avec leur héritage. « Ils ont une relation avec cette communauté, ils viennent souvent. Ils ont des parents, c'est une chaîne qui ne se rompt pas. »

À son avis, ce n'est pas le cas de la communauté Mikinak. « Tout ce qu'ils voient, c'est une carte avec leur photo et un symbole pour aller chez Costco ou ailleurs et ne pas payer de taxes. Ce que je vois, ce sont des gens qui veulent profiter des choses pour lesquels nous nous sommes battus. Pas seulement ma génération, mais la génération précédente et la génération avant elle. Tout ce qui est arrivé aux nôtres qui ont été retirés de leur famille quand ils étaient enfants pour être placés dans des écoles ou ailleurs et exploités comme des esclaves. Ces gens ne savent rien de tout ça, ne s'y intéressent pas, mais veulent quand même en faire partie. »

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