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On a passé la nuit chez les irréductibles de Dale Farm

Après une guerre d’usure de 10 ans contre les autorités, lundi devait être le jour où 400 gitans et travellers irlandais allaient se faire éjecter de leurs habitations de Dale Farm, dans une petite ville de l'Essex. Je m’y suis pointé dès le dimanche soir pour être sûr d’être là lorsque l’armée d’huissiers entamerait le siège du campement à 8h précises le lendemain matin.

Quand je suis arrivé, les habitants du camp étaient en train de donner une de leurs petites conférences de presse. L’atmosphère était chargée d’émotions. Plusieurs personnes ont pleuré, et une femme a déclaré à la presse que si le conseil de Basildon souhaitait la voir partir « ils devraient [la] faire sortir dans une housse mortuaire. »

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Quand je me suis réveillé le lendemain matin, ces deux-là traînaient près de l’entrée principale. Je suis pas le genre de mec à répandre des fausses rumeurs à droite à gauche, mais à mon avis ils avaient dû un peu trop boire la veille, parce qu’en y regardant de plus près il semble qu’ils aient tous les deux dormi avec un bras coincé dans ce baril appelé « La Bête ». Aussi, la fille a visiblement un antivol autour du coup.

En réalité, rien à voir avec la fête, l'alcool et le reste. Elle, c’est Emma et lui, c’est Dean, et apparemment cette nouvelle façon de manifester s’appelle le « lock-on ». Ceci dit, Emma risque effectivement de s'arracher le bras à tout moment, du coup je ne pourrais que souligner l'abnégation et le courage de sa démarche.

En me baladant dans le camp, j’ai pu voir que pas mal d’emplacements s’étaient déjà vidés, mais certaines personnes âgées ou malades étaient restées car elles n’avaient aucune intention de laisser des huissiers déchaînés et des flics gueulards déranger leurs difficultés à respirer ou leur bataille contre le cancer.

À l’intérieur des barricades, il y avait d’autres barricades. Les résidents avaient bâti des lignes de défense concentriques pour pouvoir défendre leur forteresse. Une rumeur circulait selon laquelle  des tunnels souterrains avaient été construits pour faciliter le passage de marchandises au sein du camp. Ça a l'air improbable, mais comme la plupart d’entre-eux sont des ouvriers du bâtiment et que les Palestiniens y sont arrivés tout en étant bombardés par des F-16, on s’est dit qu'en fait, c'était tout à fait plausible.

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L’heure approchait, alors j’ai escaladé un mur près de l’entrée principale. Dehors il y avait tout un tas de journalistes qui n’avaient pas pu rentrer. VDM, Daybreak ; merci d’avoir dit que j’étais un « anarchiste du Black Bloc », maintenant même mon grand-père ne me parle plus.

9h ont sonné et les huissiers n’avaient toujours pas bougé. Déception et confusion généralisée au sein de l'ensemble du camp. On s’était tous faits à l’idée de se prendre des coups de matraque et de se faire bouffer par des bergers allemands, mais pour l'heure, on était totalement déçus.

Je suis descendu de mon perchoir et je suis tombé sur ces deux-là. C’est un peu compliqué, mais suivez-moi bien : la fille à gauche est attachée à un parpaing placé dans une caisse à proximité. Ses jambes sont reliées par un antivol au mec de droite, qui lui-même est attaché à un autre parpaing posé à l’avant de la voiture. Lui n’est pas le plus ragoûtant des mecs du camp, mais il n’a pas trop l’air de vouloir l’emmerder, donc c’est un mal pour un bien.

Le temps passait et on a commencé à se dire que les huissiers allaient attendre mardi pour agir. Tout à coup, le téléphone a sonné et c’était Candy Sheridan, depuis le conseil des gitans. À la onzième heure, les résidents de Dale Farm ont appris qu’ils bénéficiaient d’une injonction selon laquelle le conseil ne pourraient commencer l’éviction que le vendredi au plus tôt, jour où une nouvelle audience de la cour rendrait son jugement final.

C’était une petite victoire pour les habitants de Dale Farm, qui allaient au pire profiter de ce laps de temps pour ajouter des planches à leurs barricades et au mieux avoir le droit de rester à Dale Farm de façon permanente. Beaucoup d’entre-eux se sont étreints et ont dansé, et je suis sur que beaucoup d’autres se seraient mêlés aux festivités s’ils n’avaient pas eu les membres pris dans un baril de ciment.

TEXTE ET PHOTOS : HENRY LANGSTON