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Culture

C’est dur à dire, mais Seth Rogen et Judd Apatow ne sont plus drôles du tout

Le déclin de toute une partie du frat pack s’arrêtera-t-il un jour ?

Illustration : Zelda Mauger

Aujourd’hui sort Nos pires voisins, film de Nicholas Stoller avec Seth Rogen, aka le boss de la comédie potache, et Zac Efron, gendre disney channel idéal qui s’était notamment fait pisser dessus par Nicole Kidman dans Paperboy.

Le premier incarne un jeune père de famille sympa, tandis que le second joue un frat-boy américain typique passionné de bière et de fêtes. Le film parle donc de leurs inimitiés en tant que voisins et avait l’air relativement OK sur le papier, dans un délire comédie américaine à regarder en streaming. Sauf que ça ne marche plus.

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Le problème principal, c’est qu’à chaque instant, Stoller se félicite d'avoir réuni deux acteurs que tout oppose comme si cette idée seule suffisait à faire un film. Ça suffit à faire passer un bon moment, certes. Mais est-ce que ça donne ce qu'on pourrait appeler un truc décent ? Non. Nos pires voisins n'est pas mauvais en soi – c'est d’ailleurs là tout le paradoxe – mais il s’agit simplement d’un sketch de Funny or Die étalé sur 1 heure 37. L'intégralité des ressorts comiques repose sur l'opposition des deux mecs présents à l’affiche, sans que personne n’ait semble-t-il pris la peine d'écrire quoi que ce soit de consistant à leur faire dire, ou faire.

Andrew J. Cohen et Brendan O'Brien,les scénaristes, ont manifestement eu pour consigne de reprendre un peu de Projet X et un peu de « l'esprit Apatow » dans ce qu'il a de plus pauvre (on y reviendra). Quant au reste du casting, il semble n'être là que pour mettre le duel de stars en valeur : Rose Byrne, vue dans Mes Meilleures Amies, rejoint le crew dans le personnage de la maman angoissée (probablement le rôle le plus ingrat du film) tandis que Chris Mintz-Plasse endosse le rôle de l’un des étudiants fêtards et apparaît cinq minutes en tout et pour tout. Seuls Dave Franco, frère de James lui aussi proche du crew Apatow, et Ike Barinholtz parviennent à tirer leur épingle du jeu, quoique ce soit surtout parce qu'on a besoin d'eux pour combler les trous béants de l’intrigue. Le premier tente de ramener Efron à la réalité, et le second cherche à attirer Rogen dans ses délires immatures. Comme vous l’aurez compris, il s’agit précisément du même rôle, mais à l'envers.

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Plus triste encore, on s'aperçoit vite que les séquences les plus drôles sont en réalité des clins d’œil directs et appuyés au spectateur et à sa connaissance de la pop culture. Ainsi vous devrez rire de la photo du bébé déguisé en Heiseinberg de Breaking Bad ou encore de tous les membres de la fraternité grimés en personnages de la filmographie de Robert De Niro – récitant évidemment à tour de rôle ses répliques les plus connues. Chose difficilement croyable, ces passages sont pourtant les meilleurs d'une comédie qui n'existe jamais par elle-même et qui semble dire à chaque gag « Hey mec, regarde comme on est cool ! »

Même s’il est cool en effet de regarder Seth Rogen en train de placer des références rap et des vannes à propos des seins de sa femme, ça commence à faire beaucoup, beaucoup trop de films que ça dure. Ce côté « Seth Rogen joue Seth Rogen » a donné d'excellentes comédies et je suis sûr qu’il en donnera d’autres à l’avenir. Mais l’autre côté, plus déprimant, c'est que cette recette correspond précisément à celle de ce comique tout aussi déprimant qu’est Adam Sandler, et personne n'a envie de voir Rogen finir comme ça – Sandler étant d'ailleurs lui aussi pote avec Judd Apatow, qui lui a offert son dernier bon film avec Funny People. D’où ma question : merde, qu’est-ce qui cloche chez ce crew autrefois surpuissant qui régnait sans partage sur la comédie internationale ?

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Je crois qu’il faut d’abord revenir à l’origine du problème. À Apatow donc, car Rogen et l'équipe qui gravite autour de lui sont clairement ses poulains. Pas seulement au niveau des acteurs : c'est Apatow en personne qui a produit les trois premiers films de Stoller. On ne compte donc plus les personnalités qui évoluent dans son giron, sorte d'ultimes membres du frat-pack en version extra-large, incluant entre autres des pièces rapportées de la série de la fin des années 90 Freaks and Geeks et même des Années campus.

Si la branche Will Ferrell-Adam McKay semble ne pas faiblir à l’heure actuelle (en témoigne Anchorman 2, chef d'œuvre de débilité), c'est parce que ces derniers restent attachés à la comédie classique, ciselée et rigoureuse. Ferrell, Steve Carell, John C. Reilly et les autres sont aussi de 15 ans les aînés de la team Franco-Rogen, ce qui peut constituer un début d’explication. Mais on peut aussi se pencher sur leurs prestigieux centres de formation, entre la scène, l'improvisation et évidemment le Saturday Night Live. Pour faire simple, on a d'un côté des pros doublés de bêtes de travail et de l'autre des surdoués qui, conscients de leur talent, donnent désormais l'impression d'en faire de moins en moins.

À ce titre, C'est la fin, sorti l’année dernière, constitue un grand tournant. Jusqu'alors, même les idées les plus stupides de l'équipe de Rogen (Délire Express notamment) étaient enrobées d'un minimum d'efforts pour les faire ressembler à de vrais films. C'est la fin n’est en réalité qu’une suite de gags menés par une bande de potes qui jouent tous leur propre rôle. Contrairement à beaucoup de gens, j'ai adoré. En revanche, c'est très gênant de le faire voir à des gens qui ne connaissent pas par cœur la filmographie des héros et qui de fait loupent les 2/3 des vannes. Du coup C'est la fin était un plaisir à partager entre initiés, là où les œuvres de McKay se suffisent à elles-mêmes.

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Apatow, père symbolique de toute cette scène, n'a pas à rougir de tout ce qu'il a engendré. En tant que scénariste, entre autres avec Walk Hard – The Dewey Cox Story, coécrit avec Jake Kasdan, aussi bien qu’en tant que producteur (Disjoncté, Super Grave et presque tous les films de McKay), il a toujours la main sur le nouveau visage de la comédie américaine. En revanche, en tant que réalisateur, son évolution est un peu triste, comme le laisse entendre cette tentative de résumé : 40 ans toujours puceau : comédie. En cloque, mode d'emploi : comédie mais sujet sérieux. Funny People : comédie dramatique. 40 ans mode d'emploi : comédie dramatique à la française.

Alors OK, c'est sans doute très bien pour les mecs qui ont pu sortir leur pancarte « film de la maturité » et se sont félicités qu’Apatow se départe de ses délires régressifs. Sauf que lesdits films sont inintéressants au possible. Et lorsqu'un cinéaste impose au casting sa propre femme, Leslie Mann, mais aussi ses deux enfants pour jouer – roulement de tambour – la femme et les gosses de son héros, il ne faut pas attendre de miracle : ce sera de toute façon insupportable. Et surtout, ce n'est pas ce que j'ai envie de voir devant la caméra de Judd Apatow.

On a déjà été compréhensifs quand il rendait hommage à son vieux pote Sandler, c'était émouvant et tout ça, mais ça suffit maintenant. Comme si Apatow était tombé dans le piège du complexe d'infériorité du comique, il enlève de son plein gré une couche de drôlerie à chacun de ses nouveaux longs-métrages, et les garde pour les scripts qu'il refile à d'autres. Je crois avoir lu quelque part à l'époque de la sortie de Funny People une critique qui disait : « C'est comme du Woody Allen mais avec des blagues vulgaires » ce qui, à bien y réfléchir, est le compliment le plus rabaissant qu'on puisse imaginer.

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Bien sûr, tout le monde n'est pas forcé d'aimer l'humour de bourrin de ses débuts, mais de là à pousser un soupir de soulagement lorsqu’il livre le film le plus chiant de sa carrière, c’est terrifiant. Par-dessus le marché, ça implique que des demeurés voient encore la comédie pure comme un sous-genre honteux qui ne nécessiterait aucune recherche, ce qui est la pire des conneries. Le plus moche, c'est que le cinéaste ne peut s'empêcher de replonger dans la comédie, même quand il cherche à s’éloigner. L’impro de Melissa McCarthy qu'il a sciemment coupée du montage de 40 ans mode d'emploi, il la remet quand même en entier au générique de fin. Parce qu'il le sait : c'est la meilleure scène du film, loin devant les scènes de ménage de son couple de héros sous lexo.

C’est d’ailleurs cet éternel retour qui me laisse espérer : la comédie le rattrape à chaque fois, soit en tant que producteur, soit en tant que scénariste. Son prochain long-métrage, Trainwreck pourrait être l'occasion de redresser la barre, d'autant que le casting ramène de nouvelles têtes, parmi lesquelles Amy Schumer (valeur sûre du stand-up), Brie Larson de States of Grace, Ezra Miller, Daniel Radcliffe ou le catcheur John Cena.

Du côté de Seth Rogen, c'est plus difficile. Celui qui se voyait interpeller par un passant dans C'est la fin par le très juste : « Hey, tu vas faire le même rôle toute ta vie ? Fais le rire de Seth Rogen, s’il te plaît » va délibérément continuer dans la même veine avec son nouveau film The Interview. Il s’agit d’une une énième comédie tournée dans la foulée de Nos pires voisins, où il donne une nouvelle fois la réplique à James Franco. Cette fois, ils interpréteront des journalistes idiots chargés d'une mission par la CIA : assassiner un certain dictateur de Corée du Nord.

Préparez-vous donc à la même recette que dans leurs derniers autres films qui n'en sont pas : un pitch qui en fait trop (ici, la présence de Kim Jong Un), des acteurs-potes jouant qui se confondent avecleurs propres rôles et de la bromance à foison. Cerise sur le gâteau, niveau références rap, vous aurez cette fois droit à un nouveau cameo en début de film – mais pas de spoiler. The Interview est par ailleurs déjà sous les projecteurs puisque le gouvernement coréen est au courant et a fait savoir qu'il appréciait modérément ce genre d'humour. Bref, Seth et James ont encore foutu une merde royale, ça force le respect et ce serait dommage que ce soit pour un film en demi-teinte.

Fini les semi-comédies pour jeunes adultes et les films-sketches ? Je l'espère, de la même façon que j’espère que le Trainwreck d’Apatow renouera avec ses films d’avant, loin de ses velléités dramatico-chiantes. Croisons les doigts pour que ces paresseux géniaux se les sortent.

Yérim est sur Twitter.