FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

La vraie histoire derrière l’effondrement de Trump Models

Une relique de l’apogée de la gloire de Trump, son agence de mannequins a fermé ses portes après la défection de mannequins et le déclin des affaires.
Crédit photo |  Michael Loccisano - Getty Image

L'article original a été publié sur i-D.

En octobre 2016, le téléphone sonnait moins que d’habitude. Le 9 novembre, il n’y a pas eu un seul appel. Dans les bureaux épurés de Trump Models, dans SoHo, l’ambiance était glaciale. « Comme dans un cimetière », dit une source. Dans ce silence de mort, un nom continuait cependant de résonner fort, imprimé en lettres géantes vert lime sur la paroi de verre de l’entrée : TRUMP.

Publicité

Pendant la majeure partie de son existence, l’agence se composait de huit à dix agents de mannequins, d’un appartement à la disposition des mannequins dans East Village et de 150 femmes magnifiques sans être exceptionnellement célèbres, originaires de partout dans le monde : bref, une agence de mannequins somme toute plutôt normale. Et comme tout New York, le personel n’avait jamais prévu que l’homme dont le nom était écrit sur la porte d’entrée allait gagner les élections. « Je pensais que c’était pour se divertir », dit Atong Arjok, ex-mannequin de Trump Models, mais aussi réfugiée soudanaise arrivée en Californie dans son enfance. « C’était difficile à accepter. C’est un nom à l’opposé de tout ce que je suis. »

En avril 2017, Trump Models, officiellement Trump Model Management, a transmis une lettre à ses clients leur détaillant les raisons de sa fermeture, notamment la volonté de l’organisation Trump de se concentrer sur des secteurs d’affaires comme l’immobilier, le golf et l’hôtellerie. Joint par téléphone, un représentant a alors confirmé que l’agence avait dans les faits déjà cessé ses activités. La cause de la fermeture de l’agence est, dans un sens, simple : pourquoi un président des États-Unis continuerait-il à diriger une agence de mannequins? Mais elle illustre aussi la nouvelle réalité quand une industrie jusque-là relativement hors de portée de la politique cesse de l’être. L’agence, fondée en 1999, n’est qu’un des nombreux liens de Trump avec la mode. Il y a aussi les concours de beauté Miss Universe et Miss USA, qu’il a vendus en 2015, des collections de vêtements, sa fille ayant participé à des défilés et la longue liste de ses femmes et petites amies qui ont fait la couverture de magazines. En dépit de l’opposition exprimée à l’intérieur de l’industrie, le monde de la mode, ainsi que la foule de mannequins qu’il emploie, a joué un rôle dans la construction de l’image de Trump.

Publicité

À une soirée de lancement de l’agence en 1999, Trump a levé son verre : « À l’agence la plus riche! » En réalité, Trump Models n’était pas si lucrative : selon ses plus récents états financiers accessibles, le revenu annuel de Trump en provenance de cette entreprise est de deux millions de dollars. Néanmoins, l’agence projetait une image d’opulence. Quand l’agence organisait des fêtes, Trump y était photographié. Paris Hilton a signé un contrat avec elle à la fin des années 90. Melania Knauss, qui deviendrait Melania Trump, en a fait aussi partie, participant à une séance photo pour la version britannique du magazine GQ à bord du jet privé de Trump. Elle lui donnait aussi du pouvoir. De temps en temps, Trump proposait à une participante d’un concours de beauté d’être représentée par son agence. Une Miss Utah, à qui il a offert de la présenter à un contact de l’industrie l’année avant la fondation de l’agence, a détaillé son entrée en matière : « Il m’a embrassé directement sur les lèvres. Je me suis dit : “Oh mon Dieu. C’est dégueulasse.” »

L’association n’a pas toujours profité à l’agence. « Certains ont été repoussés par le faste de Las Vegas qu’elle évoque », a noté le New York Post peu après son lancement. Le journal rapportait alors que le nom serait abrégé en T Management : plus épuré, plus simple. Quelques années plus tard, l’agence est revenue sur cette décision, reprenant le nom complet. Le président de l’agnece a déclaré : « Tout ce sur quoi il inscrit son nom se porte bien, alors pourquoi pas? »

Publicité

Selon les spécialistes de la mode, Trump Models n’a jamais été parmi les dix plus grandes agences. « Ils ont une ou deux mannequins (qui réussissent] par couple d’années, mais ça ne se maintient jamais », dit le directeur de casting Douglas Perrett de COACD [Confessions of A Casting Director]. Cependant, elle compense par ses bons contacts et son personnel gentil et compétent, disent des mannequins. Bien que les mannequins qui ont travaillé pour Trump Models au cours des années 2000 ont signalé des problèmes au sein de l’agence — dont des appartements inconfortables et le mépris des lois de l’immigration — dans un reportage de Mother Jones publié l’an dernier, chaque mannequin à qui j’ai parlé m’a assuré avoir été bien traitée. La mannequin hongroise Eszter Boldov indique qu’elle a toujours été payée et que le personnel était professionnel. « C’était une agence fantastique. » Même si l’appartement de l’agence à la disposition des mannequins était à son avis excessivement dispendieux [son lit coûtait 3000 $ le mois], c’était le plus confortable dans lequel elle a habité.

En ce qui a trait aux liens avec Donald Trump, presque chaque mannequin ayant récemment travaillé pour l’agence à qui j’ai parlé m’a dit qu’il n’y en avait pratiquement aucun, jusqu’à l’élection. « C’était un nom, comme Ford », dit Sam Ypma, ex-mannequin d’origine canadienne qui s’est jointe à l’agence en 2011. « Personne ne se préoccupait de ce que ça signifiait. »

Publicité

À peu près tous les agents employés par Trump Models au cours de l’élection ont refusé de me parler pour cet article. [La seule qui a accepté ma demande d’entrevue n’a pas voulu détailler ce qui s’est passé, citant un accord de non-divulgation.] Mais les mannequins, l’une après l’autre, ont insisté : les agents chez Trump Models, de ce qu’elles en connaissaient, étaient à l’antithèse de ce que représente pour elles Trump. Politiquement, dit Imogen Whist, « tout le monde était plutôt libéral ».

À la fin de l’été 2016, la direction a envoyé un courriel aux mannequins : « Essentiellement, on nous disait que, même si l’agence appartenait à la Trump Organization, il n’y avait aucun lien avec la campagne ni l’élection de Trump », se rappelle Hartje Andresen, mannequin d’origine allemande. Néanmoins, à l’automne, alors qu’on se rapprochait de l’élection présidentielle, l’espoir de rester neutre a faibli. Andresen se rappellent des castings : « J’entendais d’autres mannequins dire des choses comme : “Est-ce qu’il t’a attrapée par la chatte, toi aussi?” Je répondais que je ne travaillais pas directement pour Trump et que j’avais une bonne relation avec mes agents. Mais je me sentais profondément humiliée. »

Les autres mannequins et les agents de Trump Models comprenaient son conflit moral, mais son entourage, non. Ses amies et sa famille demandaient sans cesse à Andresen, une environnementaliste qui a participé à des manifestations et des corvées de nettoyage dans sa jeunesse, quand elle allait quitter l’agence. « J’expliquais qu’on ne peut pas changer d’agence comme ça, beaucoup de gens sous-estiment les difficultés émotionnelles, logistiques et professionnelles », dit-elle. Mais, avec le temps, « j’ai commencé à avoir l’air de moins en moins convaincue, même à mes yeux ». Elle a signé un contrat avec une nouvelle agence en avril, ANTI Management, fondée par un ancien agent de Trump Models, Gabriel Ruas Santos Rocha. [Un représentant de Rocha, qui a refusé notre demande d’entrevue avec son patron, nous a assuré que le nom de l’agence n’a pas été choisi en référence à Trump.]

Publicité

Des mannequins n’ont pas tenu aussi longtemps qu’elle. Maggie Rizer, l’un des top-modèles de Trump de la division des Légendes dans les années 90, a annoncé publiquement son départ sur Instagram le 6 novembre, deux jours avant l’élection. « En tant que femme, mère, Américaine et être humain, je ne peux pas, mercredi matin, au réveil, avoir le moindre lien avec la marque Trump », a-t-elle écrit. Comme elle me l’a expliqué par courriel récemment, ça n’a pas été une décision facile à prendre. « J’étais devenue amie avec mon agente, Corinne [la présidente de l’agence], et je voulais être loyale envers elle… Tout compte fait, je n’aurais jamais dû me joindre à une agence qui appartenait à une personne pour qui je n’ai pas de respect. Ç’a été mon erreur. »

En parallèle, des agents quittaient aussi le navire. Patty Sicular, une agente indépendante qui a amené avec elle des top-modèles des années 80 et 90 à la division des Légendes de Trump en 2012, a été la première à faire défection. Elle a précisé en entrevue que ça n’avait rien à voir avec les inquiétudes relatives à la solvabilité de l’agence. Elle s’est jointe à une autre agence, Iconic Focus, en octobre 2016. « C’était simplement le moment de passer à autre chose », a-t-elle dit, ajoutant qu’elle ne pouvait pas donner plus de détails en raison d’un accord de non-divulgation. « Les mannequins aussi sentaient que c’était la chose à faire et le voulaient. » Quand Sicular est partie, des mannequins comme Carmen Dell'Orefice, Cheryl Tiegs, Beverly Johnson et Karen Bjornson lui ont emboîté le pas.

Outre les départs du personnel et de mannequins, tous ceux à qui j’ai parlé ont donné la même raison pour expliquer la fermeture de l’agence : le rapide déclin des affaires. En janvier, le coiffeur Tim Aylward a annoncé sur sa page Facebook qu’il refusait de travailler avec Tump Models, quel que soit le projet. « L’idée d’avoir le nom de cet homme à côté du mien sur une photo me rend malade », a-t-il écrit. Ses amis ont d’ailleurs répondu qu’ils feraient la même chose. En février, ces messages ont été décrits comme un boycottage dans un article de Refinery29. Comme me l’a avoué une de mes sources, des actions similaires se préparaient dans les coulisses de l’agence. « Une importante directrice de casting, quand elle voulait obtenir les services d’une mannequin de Trump, passait par son agence à Londres, dit une source. Si vous n’avez pas de contrats, vous ne pouvez plus continuer. »

Ce boycottage venait s’ajouter à l’importante vague d’activisme qui a parcouru l’industrie de la mode au moment des élections : des collectes de fonds pour Hillary Clinton organisées avant les élections aux créateurs refusant publiquement d’habiller Melania Trump en passant par un nombre grandissant de mannequins et de personnalités s’engageant à soutenir l’organisation Planned Parenthood. Pour d’autres mannequins, comme Hartje Andresen, le côté positif de ces élections, et de l’affaire Trump Models, c’est que ç’a été l’occasion de contribuer à changer les choses. « Au début de ma carrière de mannequin, Facebook n’existait pas, dit-elle. Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent aux mannequins de rejoindre le grand public. » Après les élections, Andresen a rejoint l’Union américaine pour les libertés civiles [ACLU]. Et juste avant les élections, elle s’était jointe à un groupe de mannequins activistes appelé la « Model Mafia » qui, l’été dernier, a participé à la Marche pour le climat à Washington. « La société devrait s’inquiéter lorsque les mannequins doivent descendre manifester dans la rue », pouvait-on lire sur une affiche vue sur Instagram.

Mais ça ne plaît pas à tout le monde. Kim Alexis, une Trump Legends qui a commencé sa carrière en faisant plusieurs fois la couverture de Sports Illustrated dans les années 80, trouve la nouvelle réalité des mannequins, dans laquelle chacune se sert de sa notoriété à d’autres fins, épuisante. « Ce n’était pas comme ça quand j’ai commencé, me dit-elle autour d’un café. On ne parlait pas de politique. On parlait de mode, des gens, du Studio 54. » Partisane de Trump, Alexis estime que le discours de l’industrie de la mode est partial. « Les gens parlent de ce qu’ils veulent, dit-elle. Moi, je me tais. » Alexis est actuellement à la recherche d’une nouvelle agence.

Avant de quitter Trump Models, Andresen a essayé de discuter avec la direction de l’agence d’idées pour éviter la fermeture. « J’avais plusieurs suggestions comme de changer le nom de l’agence et revenir à T Management, soutenir l’Union américaine pour les libertés civiles et Planned Parenthood ou d’autres organisations semblables, d’utiliser les mannequins les plus connues pour créer une vidéo YouTube dans laquelle on exigerait que Trump démissionne ou change de vision politique. Malheureusement, mes idées ne sont pas tombées en terrain propice. Il semble que l’association entre l’agence et la marque Trump a rendu ce genre de choses impossible. »