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Crime

There Will Be Blood – l'histoire des Amérindiens massacrés après avoir trouvé du pétrole

Grâce à l'or noir, les Osages sont devenus extrêmement riches dans les années 1920 – avant d'être mystérieusement assassinés.

Au début du XIXe siècle, les Osages étaient l'une des tribus les plus importantes du continent américain. Le Midwest était parsemé de leurs campements et le président Thomas Jefferson les a qualifiés de « grande nation », allant même jusqu'à accueillir une délégation de chefs osages à qui il promit un partenariat d'égal à égal.

La suite est malheureusement connue : en l'espace de quelques années, on a forcé les Osages à quitter leurs terres au cours de l'occupation brutale du territoire étasunien et du déplacement de la Frontière vers l'ouest.

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Dans les années 1870, souffrant de maladies diverses et de famine, les Osages ont dû s'installer dans une partie de l'État actuel de l'Oklahoma. Leurs nouvelles terres étaient accidentées, rocailleuses et impossibles à cultiver. Mais les Osages ont enfin eu de la chance : leur réserve était située au-dessus d'un des plus gros gisements de pétrole américains.

Le vent a donc tourné pour cette tribu, et cela a attiré l'attention des médias des quatre coins du pays. C'était un vrai coup de chance – du moins, jusqu'à ce que les Osages se fassent massacrer un à un.

Dans son nouveau livre, Killers of the Flower Moon: The Osage Murders and the Birth of the FBI, David Grann, journaliste pour le New Yorker, raconte comment les Osages sont devenus l'une des communautés les plus riches au monde. Ils faisaient les gros titres des journaux, étaient surnommés « les millionnaires rouges », se déplaçaient dans des voitures avec chauffeur, construisaient des manoirs sur leurs terres, engageaient des serviteurs blancs, et envoyaient leurs enfants étudier dans des pensionnats européens. Mais le contrecoup est arrivé plus vite que prévu, lié à la réaction haineuse de la communauté blanche du pays : au moins 24 Osages ont été tués suite à un complot qui a attiré l'attention de J. Edgar Hoover, premier directeur du FBI. Je me suis entretenu avec David Grann pour en savoir plus sur ce chapitre oublié de l'histoire américaine.

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VICE : Comment avez-vous eu vent de cette histoire, assez éloignée des récits traditionnels évoquant la colonisation des territoires amérindiens ?
David Grann : Un historien m'en a parlé en 2011. J'étais assez choqué de ne jamais en avoir entendu parler avant, notamment à l'école. Je suis allé jusqu'à la réserve des Osages, j'ai visité leur musée et, sur un des murs, une immense photographie représentait des membres de la tribu avec des colons blancs. Cette photo a été prise en 1923, mais il en manquait un bout, qui avait été déchiré ; j'ai demandé à la directrice du musée ce qu'il s'était passé et elle m'a répondu : « Le diable se tenait ici. » Elle est descendue au sous-sol et en est remontée avec le bout manquant de la photo, qui montrait un des meurtriers ayant mis en place le massacre des Osages dans les années 1920. À partir de là, j'ai voulu écrire un livre pour tenter de comprendre qui était ce « diable ».

À force de recherches, je suis tombé sur l'un des crimes les plus terribles de l'histoire des États-Unis. Il m'a fallu près de cinq ans pour terminer le livre, et j'ai étudié beaucoup d'archives. J'ai dû écrire à tous les gens et institutions qui étaient liés, de près ou de loin, à cette affaire : des shérifs, des juges, des directeurs de prison… Grâce au Freedom of Information Act [loi américaine qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents à ceux qui en font la demande, ndlr], j'ai obtenu des documents conservés par le FBI, le Département de l'Intérieur, et le Bureau des affaires indiennes. Et j'ai également cherché les descendants des meurtriers et des victimes pour pouvoir enregistrer leurs témoignages et consulter les documents qu'ils pouvaient posséder.

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Pouvez-vous m'en dire plus sur le moment où les Osages sont devenus très riches ?
En 1923, en l'espace d'un an, les Osages ont gagné l'équivalent de 400 millions de dollars actuels. Ils louaient leurs terres et recevaient des royalties sur le pétrole vendu. Ils vivaient dans des manoirs, possédaient des domestiques (dont la plupart étaient blancs) et de nombreuses voitures. Parce que ces images contredisaient les stéréotypes entourant les Amérindiens, les journalistes publièrent de nombreux articles sur la richesse des Osages, bien avant les meurtres : cela a attiré toutes sortes de personnes plus ou moins recommandables dans la région.

À cette époque, le gouvernement fédéral a créé un système de tutelle, ce qui était scandaleux. Le gouvernement a engagé des tuteurs blancs pour surveiller et gérer la fortune des Osages car, à une époque où les préjugés absurdes étaient légion, on pensait que les Osages étaient incapables de gérer leur propre argent. Ce système, en plus d'être raciste, a vite tourné à la corruption car les tuteurs en profitaient pour voler l'argent. Lors d'un témoignage devant le Congrès, un chef osage a résumé la situation ainsi : « Vous nous avez envoyés ici de force, dans un trou perdu et rocailleux ; maintenant que vous vous rendez compte que ces terres valent des millions, tout le monde arrive ici et veut sa part. »

Vous avez décidé de raconter une grande partie de l'histoire du point de vue d'une femme nommé Mollie Burkhart. Pourquoi elle ?
Très souvent, lorsqu'on parle de cette affaire, on a tendance à oublier l'histoire même des Osages. Pour moi, il était très important de raconter l'histoire du point de vue de Mollie, l'une des proches des Osages assassinés, afin de mieux comprendre le point de vue de la tribu.

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Mollie Burkhart était une femme remarquable. Elle marque bien cette transition dans l'histoire de la tribu car elle est née dans une hutte dans les années 1880, a porté des vêtements traditionnels mais, rapidement, on l'a forcée à s'inscrire dans un pensionnat. En moins de 30 ans, complètement déracinée, elle s'est retrouvée à vivre dans un manoir, mariée à un homme blanc. Elle avait des domestiques blancs et était à cheval entre deux générations très différentes ; c'est aussi à cette époque que sa famille a été la cible des assassins. Sa sœur, Anna Brown, a disparu en mai 1921 ; environ une semaine plus tard, elle était retrouvée dans un ravin, tuée d'une balle dans la tête.

Sa mère est morte peu après. On a suspecté un empoisonnement. Quelques mois plus tard, pendant la nuit, une énorme explosion a retenti et Mollie a senti sa maison trembler. En allant voir ce qu'il se passait par la fenêtre, elle a vu la maison de son autre sœur dévorée par les flammes : quelqu'un avait posé une bombe chez elle. Sa sœur n'a pas survécu. Mollie elle-même a été la cible d'attaques, mais elle a fait preuve d'un grand courage, elle s'est battue pour que justice soit faite à une époque où être une femme et une Osage ne jouait pas particulièrement en votre faveur. Elle a été empoisonnée mais a survécu et, en fin de compte, cela a attiré l'attention de quelques agents fédéraux.

C'est à ce moment-là qu'un ancien Texas Ranger, Tom White, s'est retrouvé impliqué dans l'affaire. Pourquoi J. Edgar Hoover et lui ont-ils suivi cette affaire si assidûment ?
Au début, ils ont foiré en beauté. La corruption était omniprésente au sein des forces de l'ordre à cette époque, ce qui a beaucoup joué dans cette histoire. Une grande partie des autorités locales recevait des pots-de-vin ou participait aux crimes. Rien n'était fait pour protéger les Osages. De plus, les policiers ne considéraient pas que les crimes contre les Amérindiens étaient une priorité. Des agents du FBI sont finalement arrivés sur les lieux, et cette affaire est devenue l'une des premières de la carrière de J. Edgar Hoover.

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Il a envoyé le dossier à un policier de la frontière ouest, Tom White ; celui-ci a préparé une opération d'infiltration qui a mené à l'arrestation de certains des tueurs. Un des policiers sous couverture prétendait être un éleveur, un autre se disait courtier en assurances. L'un des membres de l'équipe était probablement le seul agent amérindien du FBI à l'époque.

J. Edgar Hoover a utilisé cette affaire pour défendre les intérêts du FBI, pour justifier la création de forces de police nationales ayant plus de pouvoir, et pour consolider sa réputation. Il venait à peine de commencer sa carrière : cette affaire l'a aidé à construire son empire bureaucratique.

Pourquoi pensez-vous que cette histoire a été étouffée au fil des années ?
Les Osages se souviennent parfaitement de cette affaire : pour eux, ce n'est pas de l'histoire ancienne. On s'en rend compte lorsqu'on rencontre des descendants des victimes. Je pense que le reste du pays a oublié cette affaire car elle ne concernait que des Amérindiens. Pourtant, celle-ci est essentielle pour comprendre l'évolution de l'appareil sécuritaire et législatif du pays.

Malheureusement, des millions de dollars n'ont jamais refait surface et, au fil du temps, le gisement de pétrole s'est tari. Dans les années 1940, c'en était fini de la manne financière. Malgré cela, les Osages ont toujours refusé d'être désignés comme victimes.

Retrouvez plus d'infos sur le livre de David Grann ici.

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