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Les robots qui racontent des blagues sont l’objectif ultime de l’IA

L’humour requiert des capacités cognitives très sophistiquées comme la conscience de soi, l’empathie, la spontanéité, et la maitrise des nuances du langage. Un bel objectif pour l’Intelligence Artificielle.

Un robot entre dans un bar. « Qu'est-ce que vous voulez boire ? » demande le barman. « J'ai besoin d'un truc qui me détende un peu. » Le barman lui sert un tournevis.

Ba dum tss.

Cette blague est aussi stupide que peut l'être une blague stupide, et ne mériterait sans doute pas les honneurs du comedy club le plus miteux du pays. Pourtant, ces quelques lignes d'humour approximatif sont au cœur des ambitions actuelles de la communauté des chercheurs en Intelligence Artificielle : si un robot pouvait inventer un calembour dans ce genre, cela constituerait une avancée scientifique extraordinaire.

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Évidemment, nous ne parlons pas ici des robots qui sont drôles malgré eux, même si les séries de « robot fail » sur Youtube sont très amusantes. Les chercheurs en IA veulent créer des robots et des ordinateurs naturellement portés sur la plaisanterie, capables de détecter les nuances de sarcasme et d'ironie chez leurs compagnons humains et de renchérir avec leurs propres plaisanteries.

Cette envie de créer des robots spirituels ne date pas de hier. Elle constitue d'ailleurs un motif récurrent dans la littérature de science-fiction. On pense par exemple au robot TARS dans Interstellar, au robot Marvin de Douglas Adams, ou au superordinateur Mike dans Révolte sur la Lune de Robert Heinlein qui apprend à formuler des blagues à partir d'un système d'essais et erreurs. L'humanoïde Ava (Ex Machina) utilise quant à elle son sens de l'observation. Enfin, la série Futurama possède une collection impressionnante de robots caractérisés par leur sens de l'humour : Bender, Hedonismbot, Humorbot 5.0, etc. Même le robot Terminator balance quelques répliques au second degré dans le film Terminator 2 .

« L'humour requiert des capacités cognitives très sophistiquées comme la conscience de soi, l'empathie, la spontanéité, et la maitrise des nuances du langage. »

Nous fantasmons sur les robots rigolos depuis si longtemps qu'il ne faut pas s'étonner si cette obsession a été transmise aux chercheurs en Intelligence Artificielle. Certains spécialistes estiment même que l'humour constitue le but ultime de l'IA, car il requiert des capacités cognitives très sophistiquées comme la conscience de soi, l'empathie, la spontanéité, et la maitrise des nuances du langage.

Évidemment, tout le défi est là. « Tous les traits qui semblent spécifique à l'humain sont très difficiles à transposer à l'ordinateur, » explique Julia Taylor, professeur à Purdue Polytechnic et experte en humour informatique.

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« Du point de vue de la psychologie, il est difficile de déterminer précisément ce qui fait qu'un énoncé est drôle ou qu'il ne l'est pas, » ajoute-t-elle. « Qu'est-ce que le sens de l'humour ? Qu'est-ce qui est approprié, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Aujourd'hui, vous trouverez telle ou telle blague hilarante, mais dans deux jours, elles ne vous fera sans doute plus rigoler. Quels critères utiliser pour apprécier cela ? Comment analyser le contexte d'une blague ? Il faut répondre à toutes ces questions avant même de songer à ce à quoi pourrait ressembler l'humour d'une IA. »

_Démonstration d'un robot rigolo dans _Fallout 4. Video: Kotaku/YouTube

Ces obstacles sont d'autant plus difficiles à surmonter que nous ne comprenons pas vraiment nos propres goûts pour la comédie ; dans ces conditions, il paraît presque impossible d'imaginer que l'on puisse contextualiser une plaisanterie pour un ordinateur. En dépit de nos efforts pour expliquer l'évolution et l'importance de l'humour dans les cultures humaines, les mécanismes qui sous-tendent son expression nous restent inaccessibles. Comme dirait Bender : « Même au top de votre forme, vous restez des crétins. »

Comment pourrions-nous apprendre à un robot à rire et à faire rire, si nous sommes incapables de comprendre ce qui nous fait marrer ?

« Quand les humains trouvent quelque chose amusant, ils sont souvent incapables de dire pourquoi, » explique Taylor. « Nous travaillons actuellement sur une théorie de l'humour. Nous essayons de définir tous les ensembles et les sous-ensembles de contextes qui rendent un énoncé amusant, mais nous sommes encore très loin du but. Il existe déjà plusieurs théories de l'humour, mais aucune n'est assez raffinée pour pouvoir être implémentée dans un ordinateur. »

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Cela signifie que pour le moment, les ordinateurs plaisantins sont limités à un nombre très limité de ressorts humoristiques, comme la fameuse blague au format « X rentre dans un bar » qui introduit cet article. Il existe déjà de nombreux générateurs de blagues capables de gérer des formes de blagues élémentaires et très codifiées, comme le programme de Sous-Entendu par Transfert de Substantif (DEviaNT), qui génère des blagues au format « comme ta mère », ou comme LIBJOB, qui génère des blagues de type « combien faut-il de X pour changer une ampoule ? » Enfin, un ordinateur de l'Université d'Edinbourg est connu pour générer des blagues tellement nulles qu'elles en deviennent hilarantes.

Comme vous pouvez le constater, les ordinateurs manquent même de la finesse nécessaire à la création de blagues non formatées, tout simplement parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi tel gimmick linguistique est amusant en premier lieu.

« La plupart des systèmes de génération de blagues consistent en des variations verbales d'une structure linguistique préprogrammée, » explique Christopher Molineux, comédien et théoricien de l'humour. « Il peut parfois en sortir des blagues vraiment drôles parce que le contexte s'y prête, mais dans ces cas là l'humour procède davantage du hasard et de l'incongruité de la situation que de la blague elle-même. »

De même, des programmes destinés à détecter l'humour chez les humains, comme le détecteur de sarcasme SASI, ont besoin d'instructions claires pour déterminer quel genre de motif linguistique est symptomatique d'une tentative de faire de l'humour. « Si vous voulez que votre programme détecte des blagues de manière dynamique, vous avez besoin d'un algorithme performant, » explique Taylor. « Le programme a besoin de règles. Par exemple, vous pouvez lui montrer des séquences de texte que vous trouvez drôles. »

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De cette façon, les générateurs d'humour automatiques sont arrivés au point où ils peuvent reconnaître et émuler la cadence et la structure de blagues conventionnelles, sans pour autant comprendre pourquoi ces blagues sont drôles.

Le plus amusant, chez ces robots farceurs, c'est plus le calibrage étrange de leurs répliques que le contenu de la blague elle-même. Voyez plutôt cette blague du logiciel STANDUP (System To Augment Non-speaker's Dialogue Using Puns) :

Q: What do you get when you cross an optic with a mental object?

A: An eye-dea.

Pour un locuteur anglophone, cette blague est hilarante parce qu'on imagine difficilement un humain poser une question aussi incongrue. La formule utilisée était « Qu'est-ce que vous obtenez lorsque vous croiser X avec Y ? » (ex : Qu'est-ce que vous obtenez lorsque vous croisez une vache et un trampoline ? Un milkshake), mais dans la blague de STANDUP, la question initiale est si intriquée et si abstraite qu'elle met en valeur l'arbitraire de la réponse.

Dans le même sens, la performance du robot Nao nommé Data, accompagné du roboticien Heather Knight, évoque une sorte d'uncanny valley du sens de l'humour. Voyez plutôt.

Encore une fois, la performance est plutôt amusante, mais davantage à cause de la posture et de la diction de Data que du contenu de ses répliques.

« Les robots expérimentent déjà un style de comédie qui leur est propre. »

Mon sentiment est que les ordinateurs et les robots expérimentent déjà un style de comédie qui leur est propre, et qui aurait émergé comme un sous-produit accidentel de l'apprentissage des bases de l'humour chez les humains. L'humour informatique est certes un objectif lointain de la communauté des chercheurs en IA, mais il contribue déjà à enrichir l'univers de la comédie grâce à des situations et des textes incongrus.

« Les robots, et les systèmes qui produisent des blagues de manière automatisée ont cette capacité à produire des styles d'humour très spécifiques, » explique Molineux. On peut imaginer un système d'humour informatique connecté capable d'accéder à de vastes bases de données sur la comédie verbale et non verbale, et, grâce des paramètres l'aidant à déterminer le qui/quoi/dont/où, de raconter des histoires vraiment drôles. »

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« Les robots peuvent également utiliser des outils de mise en scène dont ne disposent pas les humains : des changements extrêmes dans l'intonation et le rythme de leur voix, des imitations hyperréalistes de sons ou de voix de personnes célèbres, etc. Tout cela fonctionne très bien dans un spectacle. »

Malgré tout, il faudra tout de même que les robots comprennent leurs propres blagues avant de conquérir le public du stand-up ou de réaliser les rêves des chercheurs en IA. C'est une chose de créer des blagues de manière algorithmique, ç'en est une autre de comprendre quand et pourquoi un public réagit par des grognements, des cris, des éclats de rire, ou un silence pesant.

« Tout le problème consiste à déterminer comment un ordinateur pourrait 'comprendre' une blague. Le reste, c'est des détails, » explique Taylor.

« Est-ce que c'est seulement possible ? Personne ne s'accorde là-dessus », poursuit-elle. « Certains pensent qu'il suffit d'avoir des ordinateurs avec une énorme puissance de calcul, puis de leur faire lire des quantités massives d'échanges entre personnes sur Internet jusqu'à ce qu'ils trouvent par eux-mêmes des lois et des régularités dans l'expression de l'humour. D'autres estiment qu'il faut d'abord mettre au point un véritable moteur sémantique. D'autres encore pensent qu'il faut d'abord comprendre la psychologie humaine de manière raffinée, et d'autres estiment que ce n'est pas nécessaire. La question reste ouverte. »

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J'ai demandé à Taylor sur quels critères on pourrait décider qu'enfin, l'âge de l'humour artificiel était arrivé. « Je ne suis pas sûre que nous pourrons un jour déterminer si un ordinateur a acquis, ou non, un sens de l'humour véritable. Il devra en tout cas être capable de répondre à des blagues contextuelles, et non pas se contenter d'exploiter les informations tirées de blagues familières. Il faudra que le système puisse comprendre instantanément une blague qui ne ressemble à aucune autre. »

Les applications possibles pour une IA de ce type donnent le vertige. Nos compagnons robots seront-ils mieux intégrés dans nos vies s'ils sont capables de nous faire rire et de nous répondre vertement ? Peut-on imaginer des téléphones programmés pour se payer notre tête si nous tentons d'envoyer un SMS à un(e) ex ? Achète-t-on un jour un ticket pour un show de stand-up robotique ?

Molineux pense que les avancées en IA spirituelles pourraient révolutionner plusieurs secteurs du divertissement, en particulier dans les mondes immersifs du jeu vidéo.

« Si les joueurs d'une communauté spécifique partageaient les situations comiques qu'ils rencontrent dans un jeu, leurs préférences pourraient être analysées et reproduites de manière évolutive au sein même du jeu, » explique-t-il. « C'est ça qui est important, avec l'humour. Même les meilleures blagues cessent d'être drôles après les avoir entendues plusieurs fois. S'il était possible d'en émuler de nouvelles à partir de combinaisons et de systèmes évolutifs, on pourrait aboutir à quelque chose de très chouette. »

« Il faudra pas mal de temps avant de pouvoir implémenter des systèmes de ce genre, mais la technologie est déjà là, » ajoute-t-il. « La priorité est de créer une taxonomie de l'humour convaincante. »

Il est très difficile de prédire dans combien de temps les robots nous raconteront des histoires à pleurer de rire, ou quand les jeux vidéos seront capables de s'adapter à l'humour d'un joueur. Mais sachant que nombre d'entre nous ont déjà échangé quelques plaisanteries avec Siri, il est probable que l'art du calembour informatique continuera progressivement à s'affranchir des formats rigides au sein desquels il est né.

Les robots tueurs ne sont pas encore parmi nous, et les robots comiques leurs voleront peut-être la vedette.