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Le cosplayer de Téhéran est un super-héros qui ne sauve personne

Quoi de plus normal que de sortir déguisé en Deathstroke ou Dark Phantom dans les rues de la capitale iranienne ?

Farzad, déguisé en Simon Riley de Call of Duty. Photos publiées avec son aimable autorisation

Ekbatan, quartier aisé de Téhéran. Le ciel bleu surplombe d'imposants complexes d'immeubles résidentiels. Certains murs sont recouverts de graffitis et de pochoirs. Ici, ces moyens d'expression sont tolérés. Amateurs de Parkour, de skate et de breakdance s'y donnent également rendez-vous. C'est dans cette pépinière unique de la capitale que nous retrouvons Farzad.

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Derrière son style sombre, ses mèches rebelles et sa carrure imposante, le jeune homme de 20 ans dissimule une grande timidité. Après quelques phrases de présentation, il pose son carnet de dessins sur la table du café. Ses gestes sont à la fois rapides et précis. Les yeux rivés sur la table, il reste silencieux. Farzad n'est pas du genre à aimer parler de lui. Rien ne laisse penser que ce natif de Téhéran soit considéré comme une « incarnation de Satan » par les autorités de son pays.

Une réputation que Farzad doit à sa passion pour les jeux vidéo qui l'a poussé à faire vivre ses héros préférés. Il confectionne entièrement les gadgets et costumes de ces personnages fictifs, avant de les incarner dans la rue. Ainsi, il est le premier vrai « cosplayer » d'Iran. Un coup, Farzad se bande le visage et devient Dark Phantom, justicier de la nuit. Un autre, il joue les agents américains, arme toujours au poing, comme Leon S. Kennedy de Resident Evil 4, ou se prend pour Simon Riley, le lieutenant de Call of Duty flanqué d'un masque de squelette. En tout, le cosplayer compte neuf visages. « Je préfère avoir peu de costumes mais les travailler au maximum. Je prends également soin d'imiter la gestuelle de mes personnages, leur façon de se déplacer, de parler, de tenir leurs armes. Il faut que tout soit parfait », explique-t-il.

Farzad, habillé en Deathstroke

Gamer passionné depuis toujours, c'est sur Internet que Farzad découvre il y a trois ans l'univers du cosplay. « Le concept était déjà connu au Japon, aux États-Unis et en Europe. J'ai trouvé ça génial et j'ai eu envie de faire comme eux », argumente-t-il. Le jeune homme en est sûr : il est le pionnier de la discipline en Iran. Personne avant lui n'a osé. Et pour cause : les autorités iraniennes voient d'un très mauvais œil toute influence occidentale et ne tolèrent pas les comportements contraires à l'Islam – une intransigeance aux contours particulièrement flous. « Dans la vie de tous les jours, la police des mœurs fait souvent des remarques à Farzad. Elle l'accuse d'être un adorateur de Satan à cause de son style un peu gothique et de ses cheveux trop longs », glisse Ojan, son meilleur ami et premier fan.

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Si Farzad se prend des réflexions habillé en civil, il les oublie une fois déguisé : « Quand j'ai un costume sur le dos, je me sens puissant et capable de tout. » Pour goûter à ce sentiment de liberté, le jeune homme se donne des moyens. Mécanicien « par défaut », ce boulot alimentaire lui permet d'acheter le matériel nécessaire à la fabrication de ses tenues. Chacune demande pas moins de 300 euros, cinq à six mois de travail et de nombreuses nuits blanches.

Farzad, déguisé en Dark Phantom

Les réactions ne se font pas attendre quand Farzad s'aventure dans les rues de la capitale grimé en Death Stroke – un assassin dans Batman Arkham Origins. Si certains badauds sont apeurés, d'autres s'en amusent beaucoup : « Vous allez combattre Daesh, habillé comme ça ? » lui lance un vieillard rigolard. Les demandes de photos et de selfies s'enchainent. Malgré une bonne ambiance, la police intervient assez rapidement. « C'est quoi "ça" ? », demande un agent très surpris et peu réceptif.

Mahan Khomamipor, toujours présent lors des sorties costumées de Farzad, le sort d'affaire grâce à une petite feinte : « On tourne une publicité pour Samsung. On a terminé. On s'en va », lance-t-il au policier. En aparté, le réalisateur, actuellement en tournage d'un documentaire sur les jeux vidéo, ne cache pas son exaspération : « En Iran, dès que vous faites quelque chose qui sort de l'ordinaire, vous vous attirez des ennuis. » Pour éviter de trop capter l'attention des autorités sur son travail, Mahan a compris l'importance de l'apparence. S'il entretient sa barbe, ce n'est pas pour suivre une mode mais bien parce que « ça fait bon genre de la porter ; ça peut éviter pas mal de problèmes ». Il y a un an, c'est lui qui sort le jeune cosplayer de l'ombre : « J'étais en pleine préparation de mon documentaire quand j'ai découvert l'existence de Farzad via Facebook. Au début, je n'arrivais pas à y croire. Qu'un mec aussi fou soit Iranien et qu'il habite toujours le pays me paraissait trop beau pour être vrai. » Sans attendre, il demande à le rencontrer et à voir ses déguisements. Depuis, il le suit à la trace.

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« Dans la vie de tous les jours, la police des mœurs fait souvent des remarques à Farzad. Elle l'accuse d'être un adorateur de Satan à cause de son style un peu gothique et de ses cheveux trop longs. »

Pour Farzad, l'aventure cosplay a commencé quelques années plus tôt, en 2012, alors que Téhéran accueillait pour la première fois un salon de jeux vidéo – l'Iran Game Expo. Le jeune homme décide d'y emmené son ami Ojan. Respectivement déguisés en soldat de Call of Duty et en Aiden Pearce de Watch-dogs, ils achètent les accessoires par souci de temps et conçoivent le reste des tenues. « J'ai bossé entièrement sur les deux costumes pendant trois mois », raconte Farzad, qui revit ses débuts avec une certaine nostalgie. « En y allant habillé comme ça, on ne s'attendait à rien de spécial, on voulait juste s'amuser. » Alors que les gardes les stoppent net à l'entrée, l'organisateur est emballé par la venue des deux acolytes. Il décide de les installer à un endroit clé du salon, où les gens se bousculent pour prendre une photo. Le lendemain, certaines images sont publiées sur le site de l'évènement. Le premier cosplayer d'Iran est né.

Malgré cette expérience réussie, Farzad n'ose pas descendre seul costumé dans les rues bondées de Téhéran. « Le salon de jeux vidéo offrait un contexte parfait pour tenter une première sortie, mais dehors, on ne sait jamais comment les gens peuvent réagir », explique-t-il. Le cosplayer préfère alors prendre ses premiers clichés dans le désert bordant la capitale. Rapidement, sa page Facebook attire de très nombreux fans. Mais à force d'être signalé par des sceptiques, son compte finit par être supprimé. « C'est une question de mentalité ; il faut habiter en Iran pour comprendre. Pour les Iraniens, qu'un mec se déguise en héros de jeux vidéo, ça dépasse tout entendement », explique Mahan Khomamipor. Il a donc fallu pousser le jeune cosplayer à sortir pour que les gens se rendent à l'évidence. « Voir Farzad devant des monuments connus de la capitale a dissipé tout doute possible », continue le réalisateur. Aujourd'hui, si certains pensent Farzad « fou, débile ou gay », le jeune cosplayer reçoit quotidiennement de nombreux encouragements de fans iraniens, mais aussi étrangers. Rien ne le stimule plus que d'entendre de la part d'inconnus « Tu nous rends fiers » ou encore, « Tu as mis le drapeau au sommet ». « Les gens sont contents qu'un Iranien ose faire ce que je fais. Ça les fait marrer. Il faut dire que la vie n'est pas très drôle ici ».

Farzad, déguisé en Deathstroke

Devant les vidéos de cosplayers étrangers qu'il suit activement sur YouTube et les réseaux sociaux, Farzad se prend à rêver. Le jeune homme s'imagine lui aussi pouvoir vivre sa passion sans la moindre pression : « Je me sens nul quand je vois un jeune de 15 ans faire du cosplay en s'amusant, l'esprit libre. Dans d'autres pays, les cosplayers sont invités à plein de festivals à travers le monde. Ils sont une fierté nationale. Je rêve d'être comme eux. » Le jeune homme ne se laisse pourtant pas abattre. Depuis plusieurs mois, il travaille sans relâche sur ses prochains costumes : Lars du jeu Tekken et Smoke, personnage de Mortal Kombat. Un jour, il l'espère, d'autres passionnés iraniens le rejoindront pour réaliser de vraies performances de rues, ce qui est selon lui « l'essence du cosplay ». Farzad a des raisons de rester confiant. Récemment, il a appris via Internet que des gamers d'autres villes du pays se mettaient doucement mais sûrement à la discipline. « C'est cool. Ils sont sûrement rassurés de voir que quelqu'un d'assez fou l'a fait avant eux », conclut-il.