Smoke Signals Kanesatake

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Drogue

Ce Mohawk n’a rien à cirer de la légalisation du cannabis

« Il n’y a rien pour moi dans la légalisation. C’est encore plus punitif qu’avant. »

Dans la communauté mohawk de Kanesatake, au moins trois boutiques vendent du cannabis à des fins récréatives, mais elles n’appartiennent pas à la Société québécoise du cannabis (SQDC). Ici, on ne se soucie guère de la nouvelle loi qui rend légale la drogue douce depuis mercredi dernier.

Le propriétaire de la boutique Smoke Signals, Clifton Ariwakehte Nicholas, soutient qu’il est souverain sur son territoire et que personne ne peut l’empêcher de vendre une plante.

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Clifton Ariwakehte Nicholas

Clifton Ariwakehte Nicholas dans sa boutique de Kanesatake

Située derrière un dépanneur, la boutique de M. Ariwakehte Nicholas est minuscule. Il y a à peine assez de place pour le comptoir où est exposé le cannabis, et l’espace peut difficilement accueillir plus de quatre clients à la fois. À notre arrivée, un imposant agent de sécurité, les bras tatoués, montait la garde, assis sur une table à pique-nique à l’extérieur.

« Ce n’est pas à moi de demander si les gens sont vraiment malades. Je ne suis pas docteur. »

À l’intérieur, derrière le comptoir, une dizaine de sortes de cannabis sont en vente dans des bocaux. On y propose aussi des chocolats, des jujubes et des extraits comme le shatter. Ces articles ne proviennent pas de producteurs autorisés par le gouvernement, mais plutôt de plantations autochtones en Colombie-Britannique, selon M. Ariwakehte Nicholas. Smoke Signals Kanesatake est une franchise d’une chaîne fondée dans la communauté mohawk de Tyendinaga, en Ontario.

Le propriétaire soutient qu’il offre un service médical. Mais il suffit d’avoir plus de 19 ans – carte d’identité à l’appui – pour avoir accès au cannabis. « Ce n’est pas à moi de demander si les gens sont vraiment malades, dit M. Ariwakehte Nicholas. Je ne suis pas docteur. »

Si Smoke Signals est une des seules boutiques du genre à Kanesatake, on retrouve aujourd’hui plus d’une quarantaine de boutiques de cannabis à Tyendinaga. Celles-ci prennent tranquillement la place des shacks à cigarettes, alors que les marges de profit sur ces produits sont de plus en plus minces.

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Weed Smoke Signals Kanesatake

Le long de la rue principale de Kanesatake, cependant, impossible de manquer ces nombreuses cabanes où l’on vend du tabac, qui représentent la majorité des commerces de la communauté. Et Clifton Ariwakehte Nicholas m’a bien averti de ne pas m’y arrêter pour prendre des photos. Je ne serais pas bien accueilli par les propriétaires, exténués de recevoir des journalistes qui leur font de la mauvaise presse.

« Le cannabis peut être une nouvelle source de profits pour les Mohawks, dit-il. Mais ce n’est pas le même marché. Vendre des cigarettes, c’est donner la mort. Moi, je soigne les gens. »

« Le gouvernement doit rester dans son bateau, moi je reste dans mon canot. »

M. Ariwakehte Nicholas a ouvert sa boutique le 20 avril dernier, plus de six mois avant que la possession de cannabis soit légalisée. Ancien cocaïnomane, il soutient s’être défait de sa dépendance grâce au cannabis. À l’aube de la légalisation, il souhaitait profiter du grand intérêt de la population pour la plante. Mais pas question pour lui de demander de permis.

Il ancre sa légitimité dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui leur confère le « droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux d’intérêt vital ».

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« Le gouvernement doit rester dans son bateau, moi je reste dans mon canot, dit-il. Il n’y a rien pour moi dans la légalisation. C’est encore plus punitif qu’avant. »

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Au Canada, les communautés autochtones sont de compétence fédérale, mais la distribution du cannabis est une responsabilité des provinces. Santé Canada indique qu’en vertu de la loi sur le cannabis, « les membres des communautés autochtones qui souhaitent produire et vendre des produits à base de cannabis doivent obtenir la licence fédérale, provinciale ou territoriale appropriée ».

« En juillet 2017, nous avons mis en place une équipe dédiée à la participation des organisations et des communautés autochtones dans le cadre de la légalisation et la réglementation du cannabis, affirme le porte-parole de Santé Canada, André Gagnon. À ce jour, des représentants du gouvernement ont participé à environ 70 séances de dialogue avec des dirigeants, des organisations et des communautés autochtones. »

Smoke Signals Kanesatake

Au Québec, la Loi encadrant le cannabis, en vigueur depuis le 17 octobre, prévoit que le gouvernement peut « conclure une entente portant sur toute matière visée par ses dispositions ou ses règlements avec une nation autochtone représentée par l’ensemble des conseils de bande ou des conseils des villages nordiques des communautés qui la constituent ».

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Toutefois, le ministère québécois de la Santé et des Services sociaux nous indique qu’aucune entente de ce type n'a été conclue à ce jour.

D’ailleurs, le conseil de bande de Kanesatake voit d’un très mauvais œil la légalisation et l’ouverture de commerces comme celui de Clifton Ariwakehte Nicholas. Au mois d’août, le grand chef Serge Simon avait demandé au premier ministre Justin Trudeau de reporter la légalisation d’un an pour permettre aux peuples autochtones de mieux préparer la transition. Il a reçu le soutien de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Il y a quelques semaines, M. Simon a même considéré l’option de créer une force policière chargée d'éradiquer la vente de cannabis à Kanesatake. Aujourd’hui, il compte plutôt organiser une consultation publique auprès de sa population, à l’image de celle qui a lieu jusqu’au 25 octobre dans la communauté mohawk de Kahnawake.

« Nous voulons tenir un référendum et nous ne prendrons aucune décision au sujet du cannabis d’ici là », dit le porte-parole du conseil de bande de Kanesatake, Lance Delisle.

Mais Ariwakehte Nicholas n’a pas l’intention d’arrêter de vendre de l’herbe dans son petit local. « Je sais que j’ai l’appui de la population. Si la police veut faire quelque chose, elle peut aller voir les vendeurs de pilules et de cocaïne qui font des ravages. Moi, je veux faire du bien. »

Simon Coutu est sur Twitter .