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Une histoire française des gens bourrés à la télé

Car il fut un temps béni où l’on pouvait boire et fumer sur les plateaux de télé en toute impunité.

Tout au long de cette année, VICE et l'INA se penchent sur les archives télé des émissions marquantes du PAF. Pour le deuxième épisode de notre colonne intitulée « Nourritures cathodiques », on s'est penché sur les deux trucs qui semblent régaler le plus les Français à l'heure de l'apéro : les débats enflammés et la picole.

En 2016, à une ou deux exceptions près, la télé est presque devenue un peu trop prévisible et ennuyeuse. Les débats télévisés ont-ils vraiment toujours été aussi chiants que les émissions-plateaux qui ont égrené le PAF ces 10 dernières années ?

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Ou est-ce juste un dommage collatéral de la fameuse loi Evin qui, dès 1991, interdit la publicité pour l'alcool et le tabac à l'écran ? Ça doit jouer un peu puisqu'à partir de ce virage juridique, les chaînes de télé sont invitées à y aller mollo sur la picole et la clope aux heures de grande écoute, sous peine de s'exposer à des mises en demeure du CSA. « La télé est beaucoup plus cadrée, ce n'est plus qu'un écho des polémiques, qui naissent plutot sur internet. L'alcool n'est plus consommé ouvertement, mais il est chroniqué dans des reportages ou des contenus, mais dès qu'on parle d'alcool, on s'empresse de préciser derrière la formule consacrée 'l'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec moderation' », pose Sébastien Le Pajolec, maître de conférences en histoire et communication à l'Université Panthéon Sorbonne .

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Il fut un temps – béni – pourtant, où l'on pouvait boire et fumer sur les plateaux de télé en toute impunité. L'ambiance de l'émission changeait alors du tout au tout : comme dans un vrai repas de famille – dans lequel tonton a soudain l'alcool un peu mauvais et mamie contredit tout le monde juste par plaisir –, les esclandres et les imprévus étaient légion.

Certaines émissions cultes comme Apostrophes avec Pivot ou Droit de Réponse avec Polac doivent en partie leur postérité aux débats animés qui ont vu le jour dans des volutes de fumée – et aussi, il faut l'avouer, à certains débordements éthyliques. Quant au Thierry Ardisson des années quatre-vingt – l'ancien pubard devenu animateur trash –, il en a même fait une marque de fabrique, veillant à ce que les invités qu'il interviewait se sentent vraiment « à l'aise ».

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Et s'il y avait quelque chose de très latin – mais aussi de très français – dans cette culture de la discussion enflammée où le ton monte entre deux rasades d'alcool, pour redescendre aussi sec ? On vous propose une plongée dans une époque embrumée où l'œil se faisait plus brillant, où les verres s'enchaînaient et où la vraie vie reprenait souvent ses droits sur le conducteur de l'émission.

Charles Bukowski dans Apostrophes - 1978

Tous les vendredis soir entre 1975 à 1990, la littérature prenait vie sur le petit écran dans Apostrophes. La réputation de l'émission s'est faite sur les joutes – pas toujours littéraires mais souvent mémorables –, et sur l'inébranlable flegme de son chef d'orchestre, Bernard Pivot. Ce dernier n'est pas démenti dans cet extrait où le véritable combat d'idées se noue surtout entre l'écrivain américain Charles Bukowski et la bouteille de vin qu'il a lui-même apporté. À tel point que son propos, de plus en plus décousu, devient carrément incompréhensible : il parle seul, en même temps que les autres invités et finit par se lever, vacillant, avant d'être exfiltré sous l'œil amusé de ses camarades d'un soir. Et Pivot, devenu spectateur, n'a pas élevé la voix un instant.

Michel Oliver, Réveillon Antillais dans La vérité est au fond de la marmite - 1978

Dans son émission La vérité est au fond de la Marmite, diffusée entre 1978 et 1983, le chef Michel Oliver – fils du célèbre Raymond Oliver – avait l'habitude de concocter des bons petits plats dans les conditions du direct. Pour le nouvel an 1978, le cuistot réunit trois amis autour d'une table pour fêter un réveillon aux accents antillais. Mais entre chaque plat, le chef en chemise Hawaienne ne manque pas d'encourager ses convives à franchir un pas de plus dans l'apéro. Chef Oliver attaque au planteur, enchaîne sur le champagne et ne se fait pas prier pour siffler les verres cul secs. S'ensuit un crescendo de blagues chargées de sous-entendus plus ou moins grivois avec sa comparse du soir, Michèle, et une montée de transpiration qui peu à peu recouvre l'intégralité de son visage. Aux Antilles, c'est ce qui s'appelle mouiller le maillot.

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Anemone dans Mardi Cinema - 1985

Anemone et Thierry Lhermitte sont en promo pour le film Le mariage du siècle sur le plateau de l'émission animée par Pierre Tchernia. Ce dernier essaie tant bien que mal de dérouler le pitch du film, mais c'est sans compter sur l'actrice, tiare de princesse sur la tête, sourire béat et joues empourprées. Visiblement un peu éméchée, elle décoche un « Je vous emmerde » à Michel Serrault qui lui glisse des blagues de l'autre côté de la table et fini par résumer l'intrigue du film à sa place : « Le play-boy va la troncher et elle va y prendre goût quoi, voilà, et après, y a des ennuis. » Exactement le pitch d'à peu près tous les films de la bande du Splendid.

Philippe Léotard dans Lunettes Noires pour Nuit Blanche - 1989

En seulement deux ans, entre 1988 et 1990, Lunettes noires pour nuit blanche a fourni une flopée de moments de télés uniques, tous captés en boîte de nuit au Palace puis au Sherazade. Le ton sulfureux et l'ambiance intimiste installés dans l'émission par Thierry Ardisson et sa productrice Catherine Barma se prétait aux confessions. Ce jour-là, c'est l'acteur Philippe Léotard qui s'y colle, et qui, visiblement, se l'est légèrement collée avant.

Gainsbourg et Antoine Blondin dans Lunettes Noires pour Nuit Blanche - 1989

Serge Gainsbourg, rôti à souhait, interviewe avec délectation l'écrivain Antoine Blondin. Les regards sont vitreux, les dictions hachées, et la discussion pas tout à fait fluide. La réunion de ces deux buveurs patentés - visiteurs du soir des bistrots de Saint Germain et des commissariats parisiens - autour d'un bar et devant des caméras est à mettre au crédit de l'émission mythique de Thierry Ardisson, dont le parfum de soufre reste à ce jour inégalé. Une rencontre au sommet.

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Frederic Beigbeder dans Tout le Monde en Parle - 2003

Tous les samedis soir entre 1998 et 2006 , en dernière partie de soirée, le casting éclectique de Tout le monde en parle s'animait avec Ardisson en maestro et Laurent Baffie en sniper. Mais comme on ne se refait pas, Ardisson arrose copieusement ses invités avant – et parfois pendant – leur passage sur le plateau pour être sur qu'ils arrivent détendus en interview. Sauf que ce soir de 2013, l'écrivain Frédéric Beigbeder ne sortira jamais des loges. Il raconte dans l'émission de la semaine suivante qu'il a trop picolé et qu'il n'était absolument pas en état de défendre son bouquin sur le plateau. CQFD.

Bernard De La Villardière dans 17ème sans ascenseurs - 2013 (à 47:15)

Dans un spin-off de l'émission 93 Faubourg Saint-Honoré, crée par le Thierry Ardisson – encore lui –, Laurent Baffie reçoit le temps d'un dîner une dizaine d'invités. Au fil de la soirée, l'alcool coule à flots, rejoint de temps en temps par quelques drogues douces, les langues se délient, et même parfois trop. Légèrement trop détendu, le baroudeur Bernard de la Villardière prend un four monumental avec ses blagues salaces et on assiste, impuissants, à l'un des plus grands moments de gêne de la télé moderne.

Bonus : Vladimir Nabokov dans Apostrophes - 1975

Apostrophes n'existe pas encore depuis 6 mois, et l'invité de Bernard Pivot trône sur un large bureau rempli de bouquins qui donne l'impression que le premier donne la leçon au second. Alors qu'il répond aux questions, le père de Lolita, Vladimir Nabokov, sirote un « thé un peu fort », à la robe étrangement claire, et se paie même le luxe de se faire resservir par Pivot. L'heure du thé n'attend pas.