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Le système de prévention criminelle canadien a des airs de Minority Report

« Cette surveillance constante empêche les jeunes de développer des relations de confiance avec les gens qui sont les mieux placés pour les aider. »

Dans de nombreuses villes canadiennes, la police s'associe aux services sociaux dédiés au logement, à la prévention de la toxicomanie, à la santé mentale et à la protection de l'enfance afin d'identifier les personnes qui risquent de se nuire à elle-même ou de nuire à autrui, puis… d'intervenir.

Cette approche pré-criminelle, appelée le Hub and COR, serait selon ses partisans l'avenir de l'application de la loi et de l'activité des services sociaux. Mais certains experts sont inquiets : que cette approche fondée sur les données, malgré ses airs « d'objectivité », risquent de conduire à une discrimination criante.

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« Nous voulons savoir comment les données sont utilisées pour identifier les personnes [présumées] 'sensibles' », a déclaré Valerie Steeves, professeure de criminologie à l'Université d'Ottawa, dans une conversation téléphonique. « Les modèles que nous utilisons pour analyser le risque risquent de reproduire des stéréotypes préexistants, et de les accentuer. »

Hub agit auprès des personnes particulièrement vulnérables, dont de nombreux mineurs : à North Bay, en Ontario, 45% des personnes auprès desquelles le service était intervenu en 2015 avaient entre 12 et 17 ans, selon un rapport publié dans le Northern Ontario Medical Journal.

« Il s'agit d'informations très, très sensibles. »

Hub compte sur les agences de santé publique et les services sociaux pour partager des informations exhaustives sur ses clients auprès de la police.

Au Canada, la divulgation de renseignements personnels sur la santé est réglementée par les provinces, et bien que Hub encourage vivement les organismes à obtenir le consentement des personnes avant de partager des informations les concernant, il est tout à fait possible de contourner la loi sur la protection des renseignements de santé, particulièrement ambiguë. En outre, elle laisse entendre qu'en partageant les informations personnelles d'un individu, « la probabilité de dommages collatéraux non anticipés existe ».

Cela signifie que si les agences Hub décident qu'une personne a une forte probabilité de manifester un comportement à risque, elles peuvent partager ses informations à la police sans son consentement.

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« La structure de la législation sur la protection des renseignements personnels stipule qu'il faut le consentement d'un individu [pour partager des informations le concernant] », a déclaré Brian Beamish, commissaire à l'information et à la protection de la vie privée (IPC) dans l'Ontario, lors d'un appel téléphonique. « Cependant, il existe des tas d'exceptions à cette règle ».

Les réunions Hub suivent un protocole de partage d'information à « quatre filtres » : l'agence qui soumet une affaire à Hub révèle des informations qui ne permettent pas d'identifier formellement la personne, avant de décider d'évaluer plus en détail tel ou tel cas dans le but de protéger la vie privée des personnes concernées.

« Ces informations peuvent être utilisées de telle manière à marginaliser encore davantage les personnes vulnérables. »

Les membres de Hub s'accordent à dire que si une personne ou une famille présente un nombre suffisant de facteurs de risque – consommation d'alcool, absentéisme à l'école, « comportement négatif » (un terme mal défini) – alors les renseignements sur la personne ou la famille concernée seront partagés avec d'autres organismes dans le but d'organiser une intervention. Par intervention, on entend : visite inopinée au domicile, prise de contact avec des membres de la famille ou les amis, et autres mesures déterminées par les agences.

« Nous avons reçu des demandes des agences [Hub], nous demandant si leurs opérations étaient bien en accord avec la législation sur la protection des renseignements personnels », a déclaré Beamish. « Nous traitons des informations très, très sensibles [dans les Hubs] – il peut s'agit d'informations médicales, d'informations sur les addictions, l'itinérance, etc. »

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Steeves expliques que les agences ont toutes les raisons d'être inquiètes. « En traitant des données hors contexte, ces informations peuvent être utilisées de telle manière à marginaliser encore davantage les personnes vulnérables. »

Le premier Hub et COR a été lancé en 2011 à Prince Albert, dans la Saskatchewan. La structure a été évaluée depuis et selon certains indicateurs, elle aurait eu des effets positifs. Par la suite, une enquête a révélé que le projet respectait peu la vie privée des personnes, et que ses bases de données contenaient des renseignements personnels que le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Saskatchewan recommandait de détruire.

« Toutes les recommandations faites par le Commissariat à l'information et à la protection de la vie privée ont été mises en œuvre ou sont en cours d'application », a déclaré Drew Wilby, du ministère de la Justice, des Services correctionnels et de la police de la Saskatchewan.

Des Hubs inspirés par le modèle de la ville de Prince Albert ont été mis en place dans plus de 24 villes canadiennes, dont Toronto, Ottawa, Surrey, Edmonton et Halifax, avec la participation de la police aux niveaux local, provincial et fédéral.

La Commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario (IPC) n'a pas effectué d'évaluation officielle des centres de santé de la province. Selon, Beamish son bureau travaillait avec le ministère provincial de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (MCSCS) pour élaborer les lignes directrices du partage d'information au sein des Hubs. Cependant, ces recommandations n'ont rien d'obligatoire.

Cette politique d'évaluation et gestion du risque implique également de stocker et d'analyser les données recueillies par les Hubs. En Saskatchewan, chaque centre a accès à une base de données centralisée d'information.

Le porte-parole de MCSCS, Brent Ross, a déclaré que le ministère de l'Ontario conserve une base de données Hub où aucun individu n'est identifié.

« MCSCS a lancé le projet Risk-driven Tracking Database (RTD) afin de recueillir, suivre et analyser les données de manière cohérente dans toute la province », a déclaré Ross dans un courriel.

Steeves explique que si la création des Hubs procède à l'origine d'une bonne intention, l'information utilisée pour évaluer la santé physique et mentale des jeunes ne raconte qu'une histoire partielle. « Pour identifier le risque de suicide ou de dépression, on surveille si les ados postent du contenu emo, par exemple », explique Steeves. Elle note également que des entreprises forment désormais le personnel des écoles à surveiller les étudiants sur les réseaux sociaux dans le but de taquer différents facteurs de risque. Selon elle, cette initiative est très risquée. « Cette surveillance constante empêche les jeunes de développer des relations de confiance avec les gens qui sont les mieux placés pour les aider. »