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reportage

Faire du tourisme au Zimbabwe est l’incarnation même de la solitude

Mugabe comptait dessus pour relancer l'économie, mais ça a l'air râpé.

Un billet de 50 billions de dollars, et la quantité approximative de poires qu'il permettait d'acheter au plus fort de l'hyperinflation des années 2000

Vous n'avez sûrement jamais vu d'agence de voyages proposant des séjours tout compris au Zimbabwe. C'est sans doute lié à l'histoire du pays, faite de génocides et de répressions – deux choses qui peuvent facilement gâcher des vacances. Quelle qu'en soit la raison, le Zimbabwe ne figure généralement pas dans les priorités des occidentaux en manque d'exotisme, et ce malgré ses paysages magnifiques et ses habitants chaleureux.

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Après avoir lu un peu partout au cours des 12 derniers mois que le pays allait enfin « prendre un virage » et développer le tourisme pour dynamiser son économie, j'ai décidé de me rendre sur place. J'ai rendu visite à un ami de mes parents qui habite en périphérie d'Harare, pour voir s'il y avait de quoi prévenir Voyage TV.

Le centre-ville d'Harare se résume en gros à du goudron, des tours, et des cadres en costume. À cet égard, ce n'est pas si différent des quartiers d'affaires occidentaux. Il ne se passe absolument rien à partir de la tombée de la nuit, mais après tout, on peut dire la même chose de Wall Street.

À l'hôtel, il n'y avait quasiment personne non plus en dehors du concierge, qui passe le plus clair de son temps accoudé à son comptoir, s'ennuyant à mourir – ce qui peut se comprendre, étant donné que je n'ai vu pratiquement personne d'autre entrer dans l'hôtel pendant mon séjour. Au bar, il n'y avait que le barman et moi-même, et nous nous sommes efforcés d'entretenir un silence gênant jusqu'à ce que je décide de retourner dans ma chambre.

Le lendemain matin, j'ai visité des quartiers plus modestes, où étaient installés des marchés. Les rues débordaient de diverses bricoles fabriquées localement. Les vendeurs aimeraient pouvoir vendre leur marchandise à des touristes, qui sont souvent prêts à payer plus cher, car pour le moment, ils semblent manquer de clients. Les locaux, en dehors de quelques étrangers vivant au Zimbabwe, ne leur achètent pratiquement jamais rien. J'ai finalement craqué pour des bongos miniatures et une statuette en bois que j'ai payés en dollars américains, de sorte que je n'ai pas eu besoin de revenir au marché avec une brouette de billets zimbabwéens pour régler mes achats.

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L'effondrement économique des années 2000 a provoqué une hyperinflation qui a atteint les 231 000 000%, faisant de la majeure partie de la population des multi-milliardaires, mais des multi-milliardaires pauvres. Les choses se sont stabilisées depuis, notamment parce que le pays a commencé à utiliser des monnaies étrangères – principalement le dollar américain.

Un tag en faveur du ZANU-PF, le parti du président Robert Mugabe

Rien d'étonnant à ce que je me sois senti un peu seul en tant que touriste : le taux d'occupation des hôtels stagne à 35%, et il y a à peine le tiers du nombre de touristes qu'il y avait dans les années 1990. À l'époque, avec 1,5 millions de visiteurs, le pays commençait déjà à espérer développer le secteur touristique ; mais les décisions impopulaires du président Robert Mugabe et l'agitation politique qu'elles ont entraîné ont mis frein à cette perspective.

Comme le bar de l'hôtel du bar n'avait rien d'excitant, j'ai loué une voiture et pris la route avec mon ami, et nous nous sommes rendus dans une réserve pour voir des éléphants. L'autoroute était globalement déserte, mais nous avons dû nous arrêter régulièrement à des barrages policiers où notre identité était contrôlée et où un agent – souvent extrêmement jeune – faisait le tour du véhicule pour vérifier que « tout est en ordre ». D'un côté, ça paraît être une bonne chose qu'ils prennent de telles précautions, mais les quelques agents que j'ai vu compter des billets ne semblaient pas avoir pour priorité d'assurer notre sécurité. Ceci dit, on ne me demanda jamais explicitement d'argent pendant mon séjour, alors peut-être qu'ils aiment juste faire passer le temps en comptant l'argent qu'ils ont gagné tout à fait légalement, qui sait.

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Un portrait de Robert Mugabe accroché au mur de l'hôtel

Ce qui est un peu dérangeant, à Harare, c'est de voir le portrait de Robert Mugabe partout, encadré et accroché aux murs. Toutes les villes que j'ai visitées avaient une rue ou une avenue à son nom. Faire des remarques désobligeantes à son égard est considéré comme un crime.

C'est bien dommage, parce qu'il y a beaucoup de choses à dire à son sujet. Par exemple, il a déclaré par le passé que les homosexuels étaient « pire que des chiens ». Il est responsable du massacre de milliers de civils au Matabeleland. Le mois dernier – peu de temps après que son ministre des finances et du développement économique a annoncé que la dette du Zimbabwe équivaut à environ 6 milliards de dollars américains – il a utilisé près de 16 millions de dollars prélevés par le biais d'impôts et de taxes diverses pour financer le mariage de sa fille, son 90ème anniversaire, et la construction de statues géantes à son effigie en Corée du Nord, où l'on souhaitait rendre hommage à son règne ininterrompu depuis 1980.

Si vous apercevez le cortège de véhicules qui accompagne le président, vous feriez mieux de vous écarter, et de vous arrêter sur le bord de la route : c'est un délit de ne pas le faire, et les gardes présidentiels se feront un plaisir de vous passer à tabac si vous vous arrêtez trop tard ou trop près du président. En l'espace d'une quinzaine de jours en 2012, le cortège a fait trois victimes en provoquant trois accidents différents. Je ne sais pas s'ils seraient plus compréhensifs avec un touriste, mais je n'ai pas eu envie d'essayer.

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Hwange

À Hwange, le plus grand parc national du Zimbabwe, de moins en moins de safaris furent organisés au fil des années 2000, par manque de touristes. Par conséquent, la faune a également souffert car il n'y avait pas assez d'argent pour faire en sorte de la protéger. Les animaux à défense, notamment, ont été chassés pour leur ivoire et leur viande lorsque la famine se profilait, au plus fort de l'inflation, et personne n'a rien pu faire pour l'empêcher.

À mon arrivée, j'ai été émerveillé de voir de nombreux animaux magnifiques, notamment des girafes et des éléphants. Mais si le cheptel s'est reconstitué progressivement, il n'y a toujours pas assez de visiteurs pour permettre de pérenniser la situation, m'a expliqué notre guide. Je n'ai pas eu de problème à le croire : il n'y avait que moi, mon ami et lui-même, qui entretenait poliment la conversation. Les prochains visiteurs ayant réservé ne devaient arriver que la semaine suivante.

Les raisons qui poussent le Zimbabwe à vouloir dynamiser son tourisme sont évidentes : les revenus sont trop faibles, et il dispose de la plus grande cascade du monde. Quand on sait que les chutes du Niagara attirent chaque année 22 millions de touristes, il est normal de s'intéresser à la possibilité de vendre des boissons trop chères à des gens portant des sacs bananes.

Cela me gêne un peu que mes frais de visa soient allés directement dans les caisses du régime de Mugabe. Mais dites-vous bien que la majorité de l'argent que j'ai dépensé sur place est allée aux habitants, et une fois passées les portes de l'aéroport, vous pouvez vous assurer que vos dépenses ne financent pas le règne d'un tyran. À vous de voir si vous voulez vous rendre au Zimbabwe ou pas, mais la bonne nouvelle, c'est que d'après les conseils aux voyageurs donnés par certains gouvernements occidentaux, vous ne serez pas en danger imminent si vous vous y rendez !