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FRANCE

Armes de guerre dans les coffres de la BAC : la police française se militarise-t-elle ?

VICE News s’est entretenu avec un spécialiste des organisations policières pour comprendre l’impact de l’arrivée d’un fusil d’assaut dans des voitures de patrouille, annoncée ce lundi.
(VICE News / Etienne Rouillon)

Ce lundi, le ministre français de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a présenté les nouveaux équipements dont disposeront bientôt toutes les Brigades anti-criminalité (BAC) de la police nationale française. L'objectif est de mieux lutter contre des attaques terroristes.

Outre des gilets porte-plaque et des casques pare-balles, les effectifs de la BAC vont être équipés de fusils d'assaut HK-G36 capables de tirer jusqu'à 750 coups par minute et d'atteindre une cible à 500 mètres. Il est utilisé par plusieurs armées dans le monde, notamment en Allemagne.

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À lire : Les policiers de la BAC patrouilleront désormais avec un fusil d'assaut militaire

Un équipement de type militaire est-il suffisant pour parler de « militarisation » de la police française, comme on a pu le lire ces derniers mois à propos de la police américaine ?

Nous avons posé la question à Fabien Jobard — chercheur au Centre Marc Bloch de Berlin, spécialisé dans les organisations policières. Pour ce chercheur que nous avons joint ce mardi par téléphone, le fait d'équiper la BAC avec des fusils d'assaut n'est « pas suffisant » pour parler d'une militarisation de la police française.

« Tant que ces fusils restent dans le coffre des voitures, cela ne va pas changer grand-chose à la police du quotidien, même dans nos banlieues », dit le chercheur.

« Il faut regarder d'autres indicateurs, comme l'organisation des équipages, les détails de la chaîne de commandement, si oui ou non la police se place dans une logique de commando», estime Fabien Jobard.

Le HK-G36 (Photo via Heckler & Koch)

Doctrine d'intervention

Si l'équipement ne justifie pas à lui seul le fait de parler de « militarisation », il ne dissipe pas toute question concernant la manière dont ces fusils seront utilisés. Le chercheur cite par exemple une autre arme mise à disposition de la police. « Il n'y a qu'à voir la manière dont les Flash-Ball ont été utilisés ces dix dernières années, avec des dommages particulièrement graves. »

Au départ destinés à être placés dans les coffres des véhicules de la BAC et sortis dans des cas précis, ces lanceurs de balles en caoutchouc sont progressivement devenus des armes individuelles, portées ostensiblement par les policiers.

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« Bien sûr, les fusils G36 ne vont pas suivre ce chemin, ils vont rester des armes collectives qui nécessitent un ordre du chef d'équipage pour être employés », a souligné Fabien Jobard, « la doctrine d'intervention de ces armes devra être particulièrement restrictive et limitée aux interventions type Bataclan. »

Le soir du 13 novembre à Paris, deux agents de la BAC étaient parmi les premiers à intervenir au Bataclan, alors que cette salle de concert était attaquée par trois terroristes lourdement armés se revendiquant du groupe terroriste État islamique (EI). Après avoir réussi à neutraliser l'un des terroristes, ces deux policiers avaient été contraints de battre en retraite, face aux rafales d'armes automatiques avec lesquelles ces terroristes ont tué 90 personnes ce soir-là.

C'est pour faire face à ce genre de situation que le ministère de l'Intérieur entend muscler les moyens alloués aux unités de police susceptibles d'arriver en premier sur les lieux d'une attaque, avant les unités spéciales d'intervention.

À lire : Tout ce que l'on sait des attaques du 13 novembre résumé en infographies

Pour la police et la gendarmerie nationale, une « doctrine d'intervention » détermine notamment la manière dont certaines armes doivent être utilisées par les agents.

Dans le cas du fusil HK-G36, la doctrine d'intervention pourrait par exemple autoriser les policiers à tirer soit coup par coup, soit en rafale. Elle devrait aussi préciser les conditions d'utilisation, par exemple les ordres qu'un chef d'équipage doit donner pour que cette arme soit sortie du coffre et employée.

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Le HK-G36 dans sa variante G36K, plus compacte. (Photo via Heckler & Koch)

Un sujet complexe

Nous avons demandé où en était la rédaction de cette doctrine d'intervention relative aux HK-G36 au SAELSI, pour Service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, qui dépend du ministère de l'Intérieur. Son sous-directeur, le commissaire divisionnaire Patrick-Charles Darras nous a répondu que le texte « est en cours de rédaction ».

« Il s'agit d'un sujet complexe car il doit concilier l'efficacité de l'intervention tout en assurant la sécurité des personnels,» poursuit le commissaire divisionnaire. « Par définition, les BAC ont surtout des missions permanentes de voie publique (interpellations en flagrant délit) ou sur réquisition aux domiciles de particuliers (par exemple pour des différends) », par opposition à des unités d'élites déjà équipées du HK-G36 « qui se concentrent sur les opérations de neutralisation des individus les plus dangereux. »

Patrick-Charles Darras explique que ces nouvelles dispositions ont pour but de permettre aux fonctionnaires de la BAC de mieux réagir à des menaces mais que cela « ne remet pas en cause leur rôle dans le dispositif policier ».

Le commissaire nous a indiqué que « Les textes relatifs à la doctrine seront sans doute finalisés dans les jours qui viennent. »

Le HK-G36 dans sa variante G36C, un "mini fusil d'assaut" dit le fabriquant. (Photo via Heckler & Koch)

Formation au tir

Alors qu'il présentait ces fusils d'assaut et certains nouveaux équipements de protection renforcée ce lundi, le ministre de l'Intérieur a déclaré que des mesures allaient être prises pour que les policiers soient mieux entraînés au tir — ce qui n'est actuellement « pas simple » d'après lui, « notamment pour les effectifs travaillant la nuit ».

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Un constat partagé par Nicolas Comte, le secrétaire général de l'un des principaux syndicats de police — Unité SGP-FO — dans une réaction recueillie par l'AFP.

« On ne va pas bouder notre plaisir sur le matériel qui arrive et qui était absolument nécessaire », a-t-il déclaré. « Maintenant, il faut que les fonctionnaires qui sont dotés de ces équipements soient en capacité de les utiliser, donc il va falloir faire un gros effort sur la formation. Ça va être le défi d'aujourd'hui»

Selon Fabien Jobard, la formation des agents fait partie des « signaux positifs » que l'on retrouvait dans le discours du 30 octobre dernier — lors duquel Bernard Cazeneuve avait annoncé un vaste plan d'équipement des BAC et des pelotons de gendarmes. Autres signaux positifs dans ce discours : « l'accent mis sur l'entraînement, la déontologie ».

Jobard souligne aussi l'introduction des caméras piétons dans la loi sur le terrorisme et la procédure pénale — dont l'examen débute à l'Assemblée — et dont la rédaction finale, nous a-t-il dit, sera « décisive quant à l'exercice des libertés en France ».

Autre point déterminant selon lui, les débats législatifs concernant la notion de légitime défense — la seule raison autorisant un policier à ouvrir le feu en France — doivent être suivis de près. « Si cette notion est assouplie, alors certaines craintes seront justifiées » résume le chercheur.

À lire : Bernard Cazeneuve veut assouplir le recours à la légitime défense pour les policiers


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