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« Je ne veux pas m’exiler pour mourir »

Plus stricte que certains de ses voisins européens, la France se penche depuis mardi sur une proposition de loi controversée, relative à la fin de vie.
Pierre Longeray
Paris, FR
Pierre Longeray/VICE News

« J'ai voulu aller finir mes jours en Belgique ou en Suisse, puisque c'est aujourd'hui impossible en France, » nous raconte Sylvain, la quarantaine. Ce mardi après midi, il est assis dans son fauteuil roulant électrique, couvert d'un chaud poncho bleu. Il est entouré d'autres militants de l'ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). Il va entrer dans le Palais Bourbon, pour assister à des débats qui doivent durer deux jours, à propos d'une proposition de loi sur la fin de vie. Une fin qu'il a souhaitée mais qui lui était inaccessible en France.

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Ils sont une grosse centaine à s'être rassemblés près de l'Assemblée nationale ce mardi après-midi à l'appel de l'ADMD. Il y a beaucoup de femmes et peu de jeunes. Quelques personnalités se sont déplacées pour dire quelques mots, notamment l'ancien journaliste Bruno Masure, ou encore le député Noël Mamère, pour qui le compromis trouvé par cette loi n'est pas le bon, indique t-il aux journalistes.

« Je suis atteint d'une maladie de la moelle épinière,» explique Sylvain. « À mes 20 ans j'ai eu un accident, suite à une rupture d'anévrisme et assez rapidement mon cas s'est aggravé. En 2010, j'ai dû subir une opération de la moelle épinière et depuis je suis tétraplégique. »

Sylvain est revenu sur son idée de traverser la frontière pour aller y finir ses jours. Il a trouvé un autre combat à mener, celui du droit à mourir dans la dignité, dans un pays où la question crispe l'opinion publique à l'occasion de débats législatifs ou de cas de malades médiatiques comme celui de Vincent Lambert, un homme maintenu dans un état végétatif depuis 2008, ou des suicides de couples âgés.

À lire : Fin de vie : la « sédation profonde » est-elle une euthanasie déguisée ?

« Je trouve malheureux que les gens doivent s'exiler pour mourir. Comme j'ai vu que la loi pouvait bouger [NDLR, François Hollande en avait fait un thème de sa campagne présidentielle], j'ai décidé de monter la voix et de me battre pour la légalisation du suicide médicalement assisté [ndlr, sans l'avis du corps médical, contrairement à l'euthanasie]. » Sylvain se sent investi d'une mission. « Certaines personnes ne peuvent plus s'exprimer. La maladie les a rendus inaudibles des pouvoirs publics. Moi, je peux encore parler. Je veux me battre pour ceux qui ne peuvent plus le dire, mais qui souhaitent pourtant partir en paix, chez eux. »

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Le texte de loi proposé ce mardi par le député UMP, Jean Leonetti, (à l'origine déjà d'une loi portant son nom sur la fin de vie en 2005) et le député PS, Alain Claeys, n'irait pas assez loin pour ceux qui ce mardi ont répondu à l'appel de l'ADMD, association qui compte près de 60 000 adhérents en France.

« C'est mon corps, il m'appartient. Je suis donc censée en faire ce que je veux. On ne veut forcer personne à mourir, mais juste obtenir le choix de le faire, » confie à VICE News Sylvette, qui va sur ses 80 ans.

La proposition de loi discutée ne permet pas l'euthanasie, ni le suicide assisté, mais le « droit à une sédation profonde » jusqu'au décès (pour les personnes atteintes de maladies incurables). Celle-ci permettrait au patient d'être plongé dans un profond sommeil et d'arrêter les traitements médicaux ainsi que l'alimentation et l'hydratation du patient — ce qui permettrait de précipiter le décès.

Cette disposition a réveillé la grogne d'une douzaine de députés UMP, appartenants au groupe parlementaire baptisé Entente parlementaire pour la Famille qui ont déposé près de 800 amendements sur la loi, c'est-à-dire des points de discussion de celle-ci, un moyen de ralentir le processus législatif. Les débats de mardi soir ont patiné dès le 1er article de la loi, perçu comme « inutile » par lesdits députés. Ce premier article affirme le droit de toute personne « à une fin de vie digne et apaisée ».

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Les 12 députés en colère, qui craignent que ce texte soit une première étape avant une légalisation de l'euthanasie, ont été échaudés par les déclarations de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui proposait ce mardi de « voir comment cette loi est appliquée [une fois adoptée] et, si une étape supplémentaire est nécessaire ». Un amendement déposé par le député PS, Jean-Louis Touraine, et signé par 120 élus PS prône justement une solution qui pourrait permettre d'aller au-delà. Son amendement vise à « compléter la loi par un droit véritable, le droit de choisir, » de recourir à une « assistance médicalisée active à mourir. »

Deuxième nouveauté du texte par rapport à la loi Leonetti de 2005 : lesdites « directives anticipées » (des consignes données par le patient sur sa fin de vie à ses médecins) deviendraient contraignantes pour les médecins — alors qu'elles sont jusqu'ici simplement « prises en compte ».

« Le choix de mourir doit être personnel. Cette loi maintient encore les gens en otage du bon vouloir des médecins, » nous explique François, immense et loquace retraité portant fièrement le béret, rencontré au rassemblement de l'ADMD. « Nous voulons pouvoir décider quoi faire de notre propre corps sans l'aval du corps médical. »

À quelques centaines de mètres de la place où s'était rassemblée l'ADMD, un collectif composé principalement de « professionnels et d'usagers de la santé [dont des médecins et infirmières] » baptisé Soulager mais pas tuer, tenait un rassemblement semblable, contre la loi. Mais là ou l'ADMD juge que la loi ne va pas assez loin, Soulager mais pas tuer trouve au contraire qu'elle va trop loin. Selon eux c'est « une euthanasie déguisée. » Pour Alix Fresnais, porte-parole du collectif, « La main qui soigne ne peut pas être celle qui tue. »

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Du côté de l'ADMD, s'il y a beaucoup de femmes au rassemblement aujourd'hui, c'est que ce sont les mêmes femmes qui étaient présentes 40 ans plus tôt pour se battre pour le droit à l'avortement, estime François. À côté de lui, Gérard, un autre retraité, opine. Il regrette l'état de fait qui prévaut en France par rapport à d'autres voisins comme la Belgique, la Suisse ou le Luxembourg qui ont autorisé l'euthanasie, le suicide assisté, ou les deux. Il estime que cela est dû : « à des gens qui répondent à l'appel d'un certain intégrisme religieux et veulent imposer leurs convictions — comme lors de la Manif' pour Tous d'ailleurs », faisant un lien avec les manifestations contre le mariage homosexuel notamment en 2013.

Avant que l'interruption volontaire de grossesse ne soit autorisée en France en 1972 grâce à la loi Veil, de nombreuses femmes passaient la frontière pour avorter à l'étranger — mais cela coûtait cher. « Le droit à l'avortement était un combat pour la liberté, mais aussi pour l'égalité. On se retrouve plus ou moins dans la même logique aujourd'hui, » nous explique Marie-Thérèse, 78 ans et retraitée de l'Éducation nationale qui est assise sur un banc, un peu en retrait du rassemblement. « Il ne faudrait pas que le droit à mourir ne devienne un droit réservé aux riches. » D'après les portails consacrés au sujet sur internet, il faut compter entre 5 000 et 10 000 euros pour recourir au suicide assisté dans un pays d'Europe où il est accessible.

Dans une tribune, publiée ce lundi par le journal Le Monde, cinq représentants religieux se sont élevés contre la loi discutée à l'Assemblée nationale française cette semaine, déclarant leur opposition à l'emploi de la sédation pour donner la mort. « Toute vie humaine doit être respectée spécialement au moment où elle est le plus fragilisée, » écrivent d'une main commune les « représentants des trois grandes traditions religieuses monothéistes. »

« Nous sommes dans une république laïque, je ne vois pas pourquoi les croyances de certains viendraient m'empêcher de mourir comme je l'entends, » nous expliquait Lydia, « millésime 1937 » dit cette ancienne gérante d'une entreprise informatique, croisée au début du rassemblement de l'ADMD.

La petite place Edouard Herriot se vide rapidement sur les coups de 15h30 ce mardi après-midi. Certains restent pour discuter un peu. On se donne rendez-vous à la prochaine réunion. D'autres, comme Sylvain, pénètrent dans l'hémicycle pour assister au débat. « Je ne crois pas que cela va changer grand-chose, » nous confie Sylvain, mais c'est une étape de son combat pour pouvoir partir comme il l'entend.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray