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FRANCE

L’otage française détenue depuis 153 jours au Yémen a été libérée

Nous nous sommes entretenus avec une psychologue de l’INAVEM qui s’occupe notamment des otages libérés pour le compte du Ministère des Affaires Étrangères français. Elle nous explique la « grande difficulté » du retour à la vie normale.
Le quartier de la vieille ville de Sanaa, la capitale du Yémen (Photo via Wikimedia Commons / Antti Salonen)

Tard dans la nuit de jeudi à vendredi, le gouvernement français a annoncé la libération de l'otage Isabelle Prime, une jeune française de 30 ans qui était détenue au Yémen depuis le 24 février dernier par un groupe dont l'identité reste inconnue. Le sultanat d'Oman — pays voisin du Yémen — aurait joué un rôle décisif dans cette libération dont les conditions restent floues.

Isabelle Prime avait été enlevée avec une autre collègue le 24 février dernier à Sanaa (capitale du Yémen), alors qu'elle travaillait comme consultante auprès du Programme de transfert de fonds du Yémen (YCTP), un projet international visant à améliorer le système de protection sociale du pays en partenariat avec le gouvernement local, la Banque mondiale, la Fonds des Nations unies pour l'enfance et d'autres ONG. Elle était officiellement employée par Alaya Consulting, un cabinet équatorien basé en Floride et spécialisé dans la mise en place de mesures sociales à travers le monde.

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« Lorsqu'un otage est remis en liberté, il y a un processus très précis qui est mis en place, » explique Carole Damiani — une psychologue chargée de mission auprès de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM) — jointe au téléphone par VICE News ce vendredi. L'INAVEM est l'organisme qui s'occupe notamment des otages libérés pour le compte du Ministère français des Affaires Étrangères.

Le ministre français des Affaires Étrangères, Laurent Fabius, a indiqué ce vendredi midi à la radio Europe 1 qu'Isabelle Prime allait « très bien », même si ses ravisseurs étaient « des gens très durs » selon les mots du ministre. L'identité du groupe qui avait enlevé les deux femmes n'a pas été dévoilée par les autorités, qui n'ont par ailleurs révélé aucun autre détail concernant la libération de la jeune française qui était détenue dans un pays en proie à la guerre civile depuis mars dernier.

À lire : Bienvenue au Yémen, où la guerre a transformé les villes en enfer sur Terre

Jean-Noël Prime, le père de la jeune otage, a déclaré ce vendredi à l'AFP qu'il avait appris la nouvelle la veille vers 23 heures, soit deux heures avant le communiqué officiel de l'Élysée. « Je suis heureux comme tout, » a déclaré ce médecin résidant à Angers (ouest de la France).

En avril dernier, la Yéménite Cherine Makkaoui, collaboratrice d'Isabelle Prime sur place, avait décrit au journal Ouest France comment elles avaient été enlevées. « Des hommes déguisés en policier ont stoppé notre voiture, » racontait-elle. Après avoir essayé de faire fuir Chérine Makkaoui — sans succès — les assaillants ont finalement kidnappé leurs cibles. « Nous avions les yeux bandés, et ils nous ont retiré nos montres. Impossible de savoir où nous allions, » relatait Makkaoui.

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Après deux semaines de captivité — et grâce à l'aide de certains chefs de tribus contactés par sa famille — Chérine Makkaoui avait été relâchée le 19 mars Aden (sud du Yémen). Isabelle Prime, elle, était restée seule aux mains de ses ravisseurs et a dû attendre 153 jours avant d'être finalement libérée.

D'après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il y aurait 1,2 million de déplacés internes au Yémen alors que 100 000 personnes ont fui depuis le début du conflit entre les Houthis et les loyalistes du gouvernement d'Abd Rabo Mansour Hadi, alors que plusieurs villes du pays s'enfoncent dans une grave crise humanitaire.

Regardez notre documentaire — Le siège d'Aden :

Dans une autre déclaration ce vendredi, Laurent Fabius a adressé ses « très vifs remerciements au Sultanat d'Oman, et notamment à son ministre des affaires étrangères, » avec lequel il indique rester « en contact ». Par le passé, les autorités omanaises ont plusieurs fois joué le rôle de médiateur dans des affaires similaires au Yémen, comme en juin dernier lors de la libération du journaliste américain Casey Coombs.

Isabelle Prime devrait atterrir en début de soirée ce vendredi à l'aéroport militaire de Villacoublay (région parisienne), où l'attendent sa famille ainsi que le président de la République François Hollande.

« La grande leçon que l'on doit retenir de tout ça, » a déclaré Laurent Fabius, « c'est que la France n'abandonne jamais les siens. » Contrairement à ce qu'affirme Chérine Makkaoui, d'après qui le gouvernement français aurait versé une rançon de trois millions de dollars aux ravisseurs, Laurent Fabius a déclaré qu'aucun versement de ce type n'avait été effectué.

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En règle générale, une cellule d'urgence s'occupe de rapatrier l'otage à Paris pour l'emmener à l'hôpital militaire du Val de Grâce, où des tests médicaux et psychologiques sont menés. « Très souvent, les victimes sont euphoriques, » nous explique Damiani, « elles ne comprennent pas bien pourquoi on effectue toutes ces vérifications. »

D'après Carole Damiani, être pris en otage puis vivre en captivité sont des expériences « assez particulières », car ce sont « des traumatismes certes classiques mais qui sont prolongés pendant des jours, des mois voire des années, » nous indique-t-elle. « Les victimes prises en charge par l'INAVEM parlent beaucoup du sentiment d'abandon et des humiliations vécues durant leur captivité, leur nouvelle liberté est un parcours difficile, » rappelle la psychologue.

Entre autres, les symptômes observés chez ces victimes sont « l'anxiété, la méfiance, des scènes qui se répètent dans leur esprit, » nous explique Damiani, qui évoque aussi des « évitements phobiques, la peur de l'avion ou des espaces fermés, » précise-t-elle.

Le 8 juillet 2015, l'ex-otage français Serge Lazarevic — libéré en décembre 2014 après quatre ans passés aux mains d'Al-Qaïda au Mali — confiait se sentir « abandonné par les autorités françaises », se décrivant comme un « sans domicile fixe de la République ».

« Mais il [Serge Lazarevic] n'a pas été abandonné, » rétorque Damiani, qui nous décrit une réalité paradoxale : « Les victimes organisent parfois leur abandon, à plus long terme, » nous explique-t-elle, « en ne se présentant pas aux rendez-vous ou lorsqu'elles se confrontent à nouveau au monde administratif. » Pour la psychologue, l'administration française n'est « pas assez adaptée à ces cas particuliers, » ce qui peut se révéler problématique pour les ex-otages qui n'ont plus de logement ou qui se retrouvent inéligibles aux aides sociales par exemple, « un terrain sur lequel beaucoup d'efforts restent à fournir, » estime-t-elle.

« Le plus important, c'est d'aider la victime à s'exprimer, en l'amenant à reparler de sa période de captivité même plusieurs mois ou années après,» nous explique Carole Damiani. Ajouté à la psychothérapie, des traitements médicamenteux sont « souvent prescrits » pour les victimes qui souffrent de dépression post-traumatique.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c

Le quartier de la vieille ville de Sanaa, la capitale du Yémen (Photo via Wikimedia Commons / Antti Salonen)