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Drogue

Trafic de cannabis à Marseille : Début du procès du réseau de la tour K

28 personnes sont jugées à Marseille, dans le procès de l’un des réseaux de trafic de cannabis les plus lucratifs en France de ces dernières années.
Vue satellite de la cité de la Castellane via Google Maps

Le procès de 28 personnes suspectées d'être impliquées dans un vaste réseau de trafic de cannabis, au sein de la cité de la Castellane, dans un quartier nord de Marseille, s'est ouvert ce mercredi au tribunal correctionnel de cette ville du sud de la France. D'après les éléments connus de l'enquête, c'était l'un des réseaux de trafic de cannabis les plus lucratifs de France, qui pouvait générer jusqu'à 50 000 euros de chiffre d'affaires par jour.

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« La Castellane est un miroir grossissant de ce que l'on voit dans les autres cités marseillaises, » nous explique ce mercredi Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS et directeur de l'observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS). « C'est une très grosse cité, qui est une plaque tournante du trafic [de drogue] depuis longtemps, même si les policiers, qui comptent quatre points de vente à la Castellane, estiment à 40 leur nombre total sur l'ensemble de Marseille. »

Cette cité, construite en 1971, compte entre 4 500 et 7 000 habitants selon les estimations, qui sont logés dans une dizaine d'immeubles. Elle est connue pour avoir vu grandir le footballeur Zinédine Zidane, mais aussi pour être très difficilement accessible aux forces de police. Les 28 prévenus, dont sept détenus, visés par le procès qui s'est ouvert ce mercredi sont suspectés d'avoir participé au trafic de cannabis dans deux endroits de la Castellane : la tour K — qui est la plus haute — et la place du Mérou.

Après des mois d'enquête, les policiers de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis) avaient investi la cité le 17 juin 2013, et mis la main sur 1,3 million d'euros, des armes, plusieurs dizaines de kilo de cannabis et des livres de compte très détaillés. D'après ces livres, le montant du chiffre d'affaires réalisé chaque jour par les trafiquants a été estimé à 50 000 euros.

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Vue satellite d'ensemble de la cité de la Castellane (au centre). Via Google Maps.

Cheval et montre de luxe

Le marché très lucratif sur lequel ces trafiquants régnaient attirait les convoitises : le jour de la venue du Premier ministre français Manuel Valls à Marseille, le 9 février 2015, des tirs de kalachnikov avaient retenti dans la cité de la Castellane. Certains médias français, qui rapportent des informations obtenues auprès de la police, évoquent une guerre des territoires impliquant un autre réseau, celui de la Jougarelle, du nom d'une des avenues de la cité. Des mercenaires Kosovars auraient même été recrutés pour l'occasion, dont le but aurait donc été de mettre la main sur le territoire contrôlé par ceux de la tour K.

À lire : Marseille : opération de police dans le quartier de la Castellane

Le chef présumé de ce réseau qui n'a pas de nom connu, mais qui est souvent présenté dans les médias comme « le réseau de la tour K » , serait Nordine A., 33 ans, surnommé « Nono », et déjà condamné à cinq reprises pour violences aggravées. Il est soupçonné d'avoir organisé l'achat, le stockage, le conditionnement et la revente de la drogue. Il possède un cheval, une voiture et une montre de luxe, des parts dans des restaurants — mais pas de compte bancaire : il payait tout en liquide. En un an, il aurait perdu quelque 27 000 euros au casino selon des informations de source policière rapportées par l'AFP.

Une entreprise capitaliste

D'après Laurent Mucchielli, le profil des « grands chefs » du trafic dans la région est multiple. Certains sont « plus ou moins flambeurs », d'autres peuvent être plus « prévoyants, et capables de blanchir leur argent », nous explique-t-il. « La logique est partout la même, les chefs de réseaux et éventuellement leurs lieutenants sont ceux qui s'enrichissent. Pour tous les autres, c'est la survie. »

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Selon Le Figaro, le réseau comptait cinq revendeurs. Mais parmi les 28 prévenus, on compte beaucoup de petites mains : guetteurs chargés de détecter l'arrivée de la police, ou nourrices qui stockaient la drogue chez elles. L'une d'entre elles avait lancé par sa fenêtre un sac contenant plus de 250 000 euros lors de la descente de police de juin 2013. Lors des gardes à vue, la plupart ont refusé de dire de qui elles recevaient leurs ordres, par peur de représailles.

« Nono » lui-même aurait été victime d'une tentative de règlement de comptes en avril 2013, soit peu de temps avant son arrestation. Il se serait ensuite acheté des gilets pare-balles et des armes, sans porter plainte. Nordine A. nie que cet incident puisse avoir un lien avec le trafic de drogue.

La radio France bleu a publié sur son site un organigramme détaillé du trafic présumé de cannabis qui avait lieu dans la cité, avant même que le procès ne débute. « On est très proche du fonctionnement d'une entreprise capitaliste, » remarque le sociologue Laurent Mucchielli. « Quand il ne s'agit pas d'une entreprise familiale, on peut avoir affaire à une association entre des gens qui se connaissent simplement de vue, et dans laquelle on met les gens à l'essai. » Dans cette hiérarchie bien définie, beaucoup usent d'un surnom.

Les petits noms des dealers de la — François Becker (@beckerin_AFP)16 Septembre 2015

Un procès médiatique

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Si le procès est aujourd'hui très médiatisé, pour Mucchielli, cela tient à deux choses : d'une part « la réputation de la Castellane, emblématique pour plein de raisons », et d'autre part le retentissement de l'énorme opération de police menée en juin 2013, à l'origine de ce procès. « La police et la justice aussi font de la communication, comme tout le monde, » explique Mucchielli.

« Il y a déjà eu des procès de cette ampleur, » relativise le chercheur, qui a participé à une étude qui s'intéressait à toutes les affaires de trafic de drogue jugées par le Tribunal de Grande instance de Marseille entre 2009 et 2012. En mai 2011, une vingtaine de personnes étaient jugées pour un réseau de deal de stupéfiants au sein de la cité Busserine, dans le 14ème arrondissement de Marseille. Ce procès, qui impliquait « tout le réseau local », est comparable à celui qui se tient aujourd'hui dans la ville connue le siècle dernier pour être un des berceaux de la French Connection.

Le procès doit se tenir jusqu'au 7 octobre.

À lire : Près de Marseille, la police française a effectué une saisie record de 5,8 tonnes de résine de cannabis

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter @LucieAbrg