FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

Un dieu assassin « court toujours » en Une du numéro spécial de Charlie Hebdo

Un an après l’attaque de la rédaction de l’hebdomadaire satirique qui a fait 12 morts, le journal sort ce mercredi un numéro spécial qui sera tiré à 1 million d’exemplaires
Pierre Longeray
Paris, FR
Capture d'écran via Twitter

Ce mercredi, l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo sort un numéro spécial tiré à 1 million d'exemplaires, un an après avoir été visé par une attaque au sein même de sa rédaction, qui a coûté la vie à une partie de ses journalistes, dessinateurs, correcteurs et collaborateurs. Douze personnes sont mortes ce 7 janvier, dont 9 journalistes.

Le journaliste de l'AFP, Jean-François Guyot, a diffusé ce dimanche sur Twitter la couverture du prochain numéro qui sortira ce 6 janvier. En Une de ce numéro double de 32 pages, on retrouve un personnage présentant les attributs d'un dieu monothéiste assassin, caricaturé par Riss, le directeur de l'hebdomadaire.

Publicité

Le 6 janvier, en kiosques, numéro spécial — Jean-François Guyot (@JFGuyot)January 3, 2016

En guise de sous-titre, on peut lire « 1 an après : l'assassin court toujours », au-dessus de cette représentation d'un dieu à la une longue barbe, qui porte une tenue blanche tachetée de gouttes rouge sang. Ce dieu coiffé de l'oeil omniscient porte en bandoulière l'arme de choix des terroristes : une Kalachnikov.

Cette Une n'a pas manqué de faire réagir dès ce lundi matin. Nicolas Hénin, journaliste et ex-otage de l'organisation terroriste État islamique, s'est exprimé sur les ondes de France Info. Pour lui, ce dessin de Riss revient à dire « que Dieu était derrière tout ça […], de dire que les terroristes sont la main de Dieu, » ce qui malheureusement « légitime leur discours. »

Pour Hénin, spécialiste du djihad et auteur d'un ouvrage intitulé Jihad Academy, « ramener le terrorisme à sa dimension religieuse est un désastre, » et « c'est précisément ce que recherchent les terroristes : qu'on leur accorde une légitimité religieuse ».

« Beaucoup ont espéré qu'on se fasse tuer »

Cette Une est accompagnée d'un édito de Riss, que le site de France Inter a reproduit intégralement. Dans ce plaidoyer pour la laïcité intitulé « Crève, Charlie ! Vis, Charlie ! », Riss vise violemment les religions et les religieux.

« Oui, beaucoup ont espéré qu'on se fasse tuer. TU-ER, » écrit Riss. « Parmi eux, des fanatiques abrutis par le Coran, mais aussi des culs-bénits venus d'autres religions, qui nous souhaitaient l'enfer auquel ils croient, pour avoir osé rire du religieux. »

Publicité

Dans ce premier édito de l'année, le directeur de l'hebdomadaire affirme son envie et celle de ses collaborateurs à continuer à faire fonctionner le titre. « Ce ne sont pas deux petits cons encagoulés qui vont foutre en l'air le travail de nos vies. […] Ce n'est pas eux qui verront crever Charlie. C'est Charlie qui les verra crever. […] Les convictions des athées et des laïcs peuvent déplacer encore plus de montagnes que la foi des croyants, » termine Riss.

Plusieurs personnalités ont participé à l'élaboration de ce numéro spécial qui sera notamment distribué à l'étranger. On annonce la ministre de la Culture Fleur Pellerin, les comédiennes Isabelle Adjani et Charlotte Gainsbourg, ou encore le musicien Ibrahim Maalouf. Le numéro comprend aussi un cahier de dessins des dessinateurs assassinés: Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré.

Dissensions en interne

L'année qui vient de s'écouler n'a pas été simple pour la rédaction du petit hebdomadaire aux couvertures polémiques, devenu, en l'espace de quelques heures, symbole malgré lui de la liberté d'expression dans le monde. Le premier numéro de l' « après 7 janvier » s'est vendu à 7,5 millions d'exemplaires (contre 30 000 avant l'attaque). Un Mahomet en larmes, croqué par le dessinateur Luz, disait à l'époque que « Tout est pardonné ».

À lire :Comme tous les mercredis, Charlie Hebdo est sorti

Mais rapidement après les attaques, la petite équipe se déchire, alors que Riss devient propriétaire du titre, avec les deux-tiers du capital. « Je regrette que la refondation de Charlie n'ait pu avoir lieu?: en la refusant, ses propriétaires ont raté une chance historique de recréer un journal participatif, doté d'un esprit d'équipe et accessible à tous, » expliquait dernièrement Laurent Léger, journaliste de Charlie Hebdo.

Publicité

À lire : Charlie Hebdo ne sait toujours pas ce qu'il va faire de ses millions

Luz, traumatisé par les événements de janvier, a quitté le journal en septembre. L'urgentiste Patrick Pelloux a lui aussi pris ses distances. Les deux hommes réclamaient en avril dernier une nouvelle gouvernance et un statut d'« actionnaires salariés à parts égales », disant « refuser qu'une poignée d'individus prenne le contrôle » de l'hebdomadaire.

À lire : Le dessinateur Luz va quitter l'hebdomadaire Charlie Hebdo

Une « solitude criante »

En plus des divisions internes, la rédaction estime ne pas être vraiment soutenue. Eric Portheault, coactionnaire du journal avec Riss et directeur financier, confiait ce dimanche à l'AFP que la rédaction se sentait très seule. « On se sent dans une solitude criante, » explique Portheault. « Personne ne fait ce qu'on fait, en défendant des valeurs républicaines jusqu'au bout, comme la laïcité. »

Malgré tout, la santé financière du titre semble être plus ou moins acquise. Les ventes se sont stabilisées autour des 100 000 exemplaires par numéro en moyenne — auxquelles s'ajoutent 183 000 abonnements. Charlie Hebdo compte aussi sur une manne de 20 millions d'euros récupérée grâce aux dons affluents du monde entier depuis les attaques. Mi-décembre, la rédaction a donné 4 millions d'euros aux victimes des attentats qui ont endeuillé Paris entre le 7 et le 9 janvier, notamment à Montrouge et à l'Hyper Cacher de la Porte de Vincennes.

Publicité

Les 17 victimes de ces trois journées sanglantes seront honorées cette semaine. Des plaques commémoratives seront dévoilées sur les différents sites touchés. Le 10 janvier, une cérémonie publique aura lieu Place de la République, en présence du président François Hollande. un chêne de 10 mètres de haut sera planté en mémoire des victimes.


Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray

Suivez VICE News sur Twitter : @vicenewsFR

Likez la page de VICE News sur Facebook : VICE News FR

Capture d'écran via Twitter