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L'échappée belle de Christophe Mengin

C'était sur le Tour 2005, sur des routes qu'il connaît par coeur. Pendant 163 kilomètres, le coureur de la FDJ a lutté et a cru l'emporter, avant de tomber dans le dernier virage.
Christophe Mengin échappée

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.Tous les jeudis, VICE Sports revient sur un événement dans l'Histoire du sport qui s'est déroulé à la même période de l'année. C'est Throwback Thursday, ou #TT pour vous les jeunes qui nous lisez.

La pluie, le vent et le froid. Ce 7 juillet 2005, pour la septième étape entre Troyes et Nancy, le Tour de France a des airs de Paris-Roubaix, les pavés en moins. Le genre de journée à ne pas mettre un coureur dehors, encore moins au-devant du peloton. Pourtant, après quelques kilomètres seulement, il y en a un pour s'y coller et défier les équipes de sprinteurs : Christophe Mengin, régional de l'étape. Dès les premiers coups de pédale, le baroudeur multiplie les attaques et tente de partir seul, le trèfle à quatre feuilles de la FDJ sur le dos. Prémonitoire ? Tout semble le laisser croire pour l'instant puisque l'échappée se forme sans problème. Stéphane Augé, Jan Kirsipuu, Karsten Kroon et Mauro Gerosa le rejoignent et font le trou sur un peloton congelé.

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Christophe Mengin, lui, ne se pose pas de questions et se réchauffe à coup de relais appuyés. Grand braquet : « Au moment où j'ai découvert le parcours du Tour, je me suis dit qu'il fallait que je tente ma chance sur cette journée. La course passait à cinq kilomètres de chez moi et je connaissais le final par coeur, alors j'ai foncé. » A l'époque, Christophe Mengin a 36 ans et s'est déjà forgé un palmarès respectable (une étape du Tour en 1997 et un titre de champion de France de cyclo-cross, ndlr) : « J'arrivais en fin de carrière. Je savais que j'allais pas faire encore cinquante exploits sur le Tour. Tout ça m'a aidé à me surpasser », raconte-t-il onze ans plus tard. Alors, en coursier expérimenté, le baroudeur enfume ses compagnons d'échappée. Au vice et au métier : « Le plus dangereux, c'était Kirsipuu, un très bon sprinteur, se rappelle Mengin, qui avait trouvé le moyen de se débarrasser de son rival. Juste avant la côte de Maron, la dernière bosse de la journée, je l'ai bluffé. Je lui ai dit que ça ne montait pas vraiment. Il s'est cramé en passant un relais appuyé et j'ai attaqué dans la foulée. Derrière, je l'ai plus revu. »

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Un policier vient à en aide à Christophe Mengin après sa chute, à près de 300 mètres de l'arrivée. Photo Reuters.

Le vieux briscard se fait la belle et creuse l'écart, seul en tête. Ou presque. Car il lui reste un compagnon d'échappée dans l'oreillette, Marc Madiot, son directeur sportif, qui lui donne un supplément de motivation : « Je n'ai pas forcément de souvenirs des phrases qu'il me disait mais il me hurlait des encouragements. Sur le vélo, j'étais tellement à bloc que sur le coup, je ne ressentais pas vraiment d'émotion », évoque Christophe Mengin, acclamé par sa femme et ses enfants en bord de route. « Une fois que je suis passé, ils se sont dépêchés de rentrer à la maison regarder l'arrivée à la télé », sourit l'ancien coursier.

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Toujours à la tête du team FDJ aujourd'hui, Marc Madiot garde un souvenir ému de ces moments, qu'il évoque avec pudeur. « Sur les derniers kilomètres, j'étais carrément en transe. Cette échappée avait de la valeur dans le contexte de l'époque. C'était pas facile de gagner pour nous à ce moment, d'ailleurs on n'en a pas gagné une sur ce Tour. Et puis je savais que c'était une des dernières occasions de briller pour Christophe. Il a fait un numéro ce jour-là. Au panache. » Voilà pourquoi, à mesure que s'approche la ligne d'arrivée, Marc Madiot s'époumone de plus belle dans son talkie pendant que son poulain résiste au retour du peloton au sommet de la côte de Maron. Le terrain joue pour lui, la descente technique, les virages serrés, la route détrempée, Mengin sait qu'il peut tenir tête à la meute. S'il ne tombe pas, évidemment.

A trois kilomètres de l'arrivée, il compte encore treize secondes d'avance sur ses poursuivants. Dans la voiture, Madiot mugit : « Allez mon Totophe, pense à ta femme et tes gosses. Jusqu'au bout, jusqu'au bout ! » Chez les Mengin, tout le monde est devant la télé. Son frère Francis, lui, est dans le magasin de cycles où il travaille, à Epinal, les yeux rivés sur le Tour. Le grand frère de Christophe, passionné de vélo lui aussi, se souvient bien de ces derniers kilomètres : « J'étais avec mes patrons et quelques clients. Au début j'étais confiant. Je savais que Christophe connaissait chaque mètre du final, ça pouvait aller au bout. » La flamme rouge passée, Vinokourov et Bernucci sortent du peloton pour avaler Mengin, encore en tête. Christophe ne se désunit pas, les mollets sont durs comme du bois, mais le pédalier continue à tourner en cadence.

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400 mètres de la ligne. Francis sait que le prochain virage, le dernier de la journée, sera la juge de paix pour son frangin : « Je savais que c'était tortueux, que ça allait se jouer là. Un virage mouillé à l'équerre à fond, voilà quoi… » Encore aujourd'hui, Francis ne finit pas sa phrase, tout comme son frère qui a bien failli ne pas finir l'étape. Un coup de guidon, puis sa roue chasse. Christophe finit les fesses sur le goudron détrempé. « J'avais pourtant bien évité les bandes blanches où on risque de glisser », râle Mengin. La chute est violente, il entraîne avec lui les premiers coureurs du peloton, lancés comme des balles. Depuis sa voiture, Madiot assiste au grand carambolage. Médusé : « Merde, on est maudits, on est maudits, on est maudits ! », gémit-il devant les caméras de France Télévisions.

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Christophe Mengin, après sa chute. Photo Reuters.

Aujourd'hui encore, le souvenir est douloureux pour le patron de la FDJ : « C'est un super mec, authentique, je le connais depuis très longtemps. C'était un peu son baroud d'honneur. Et ça a raté pour quoi, 300 mètres ? » Sur le coup, depuis son magasin, Francis est tout aussi retourné : « J'y croyais toujours avant le dernier virage. Quand j'ai vu qu'il dérapait, j'ai crié sans savoir quoi. Puis je me suis calmé. Je me suis juste assuré que Christophe n'était pas sévèrement blessé puis j'ai décroché de la télé. Je n'ai plus rien dit et je me suis remis à bosser pour canaliser ma colère et ma frustration. »

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Devant, Bernucci grille la politesse à Vinokourov pendant que Mengin reste à terre, salement amoché. « A la fin de la journée, je ressemblais plus à un boxeur qu'à un cycliste, soupire l'intéressé. Dans la gamelle, je m'étais éclaté l'oeil sur le guidon ». K.O mais pas forfait, il passe la ligne sans drame. « Sur le moment, bon, je suis déçu, mais c'est le vélo. J'étais trop fatigué pour être vraiment triste et puis je savais bien que même si je n'avais pas chuté je n'aurais pas gagné. Vino venait d'attaquer alors que j'étais échappé depuis 160 bornes. Il aurait fallu que moi je passe et que tout le monde tombe pour que je gagne ! » L'humour pour évacuer ces moments marquants de sa carrière. Car il le sait, lorsqu'il s'est retrouvé les fesses sur le goudron, toute la France l'observait. « J'ai gagné de belles courses dans ma carrière, mais tout le monde ne me parle que de cette étape-là. Je comprends en même temps, il y avait tous les ingrédients pour que l'histoire soit belle. J'étais du coin, je me battais seul contre le peloton, il faisait moche… Ce n'est pas passé loin. »

A l'arrivée, l'émotion est trop forte pour Marc Madiot, qui peine à s'exprimer, la voix étranglée de sanglots : « Je suis triste pour lui, vraiment triste. C'est pas souvent que je pleure, mais il méritait pas ça. » Quand ils se retrouvent, les deux hommes se prennent dans les bras. Peu de mots sont échangés à l'hôtel où, de l'aveu de Madiot, l'équipe entière ressentait de la « détresse ». Entretemps, Mengin, comme tous les héros du Tour, heureux ou malheureux, a dû répondre au médias. Des heures passées dans le flou, sans vraiment comprendre ce qu'il se passait : « Une fois que je passe la ligne, tout s'enchaîne très vite. Je remonte dans le bus, il y a les caméras, il y a un peu d'émotion, tu te dis merde tu as gâché la fête. C'est compliqué à gérer c'est certain. J'enchaîne les interviews et voilà. D'un coup, c'est le calme plat. Tout s'arrête. C'est là que tu commences à réaliser ce qu'il s'est passé. »

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Le lendemain, Mengin repart, touché à la hanche et au nez. Le combatif de la veille se retrouve lâché par le peloton dès le premier col. Mais pas par ses coéquipiers. « Sandy [Casar] et Carlos [Da Cruz] m'ont aidé à finir. Je ne voulais pas abandonner pour arriver le lendemain à Gerardmer, dans les Vosges, près de là où je suis né. Mais le médecin m'a dit qu'il fallait que j'abandonne. C'est là où j'ai vraiment été déçu, plus qu'en chutant la veille. » Francis, son frère, présent ce jour-là, tente alors de le réconforter : « Dans ces moments-là, on parle peu mais on essaye de trouver les mots justes. »

Pendant des jours, « et même des mois », ajoute Francis, chez les Mengin, on ne parle que du mauvais sort qui s'est acharné sur le baroudeur : « Au magasin, tous les clients qui me connaissaient voulaient des nouvelles de Christophe et me disaient de le féliciter. Ils se demandaient tous si, sans cette chute, il aurait gagné. » Réponse honnête de Marc Madiot : « Objectivement, le moment où il chute, il était en train de se faire bouffer. » Le frangin, lui, est plus lyrique : « Est-ce qu'il aurait gagné ? On saura jamais. Mais finalement c'est pas l'important. Ce qui reste, ce sont les souvenirs : le direct embarqué dans la voiture de Madiot, le visage de mon frère en train de se battre pour la gagne… Tout ça, c'était beau. Il a fait pleurer la France ce jour-là. Depuis, il a cette image de héros malheureux. Mais il s'en est remis avec le temps. » Sur le vélo comme dans la vie, pour Christophe, ce qui compte c'est pas la chute, c'est l'atterrissage.

Cet article a été inspiré par ce résumé d'étape de France Télé, qui vaut le coup rien que pour sa bande-son incroyable.

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