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Sivens

Sivens : l'enquête administrative dédouane les gendarmes

Une enquête administrative interne, rendue publique mardi affirme qu'aucune faute professionnelle des gendarmes n'a été commise dans les évènements qui ont mené à la mort de Rémi Fraisse.
Photo Jake Hanrahan / Vice News

MAJ 2 décembre : Les conclusions de l'enquête administrative sur la mort de Rémi Fraisse, menée par l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), affirment qu'aucune « faute professionnelle » n'avait été commise par les gendarmes. Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le chef de l'IGGN, le général Pierre Renault, a précisé qu'« il reviendra à l'enquête judiciaire de déterminer l'exacte responsabilité et le degré de responsabilité imputable au lanceur » de la grenade offensive à l'origine de la mort du manifestant. L'avocat de la famille de Rémi Fraisse, Me Arié Halimi, a estimé que« chaque phrase de cette audition est un mensonge »

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Depuis février 2014, la forêt de Sivens, dans le sud de la France est le théâtre d'un débat ferme entre opposants et tenants d'un projet de barrage. Les pros expliquent que le maintien de l'activité agricole dans la région dépend en partie de ce barrage, les anti mettent en avant des besoins liés à un type d'agriculture qui n'a pas lieu d'être dans la région, et dénoncent la destruction d'un ensemble écologique remarquable.

L'opposition a viré à l'affrontement contre les forces de l'ordre cet été, avant de basculer tragiquement dans le débat public et politique national à la mort d'un militant, tué par une grenade offensive fin octobre.

Sur cette page régulièrement actualisée, VICE News compile les dates clés et les faits marquants liés au barrage de Sivens.

1989Premières réflexions sur la construction d'un barrage à Sivens, entreprises par la CACG (la Compagnie d'Aménagement des Coteaux de Gascogne). Le projet avorte à cause d'une opposition locale. L'étude est relancée en 1993 puis en 2000.

L'objectif du barrage est de maintenir la rivière du Tescou en eaux toute l'année, et d'aider l'irrigation des exploitations dans la vallée jusqu'aux Tarn-et-Garonne, en constituant une réserve d'eau pour l'agriculture. Le projet est relancé en 2005.

2012 : La commission d'enquête émet un avis favorable au projet qu'elle subordonne toutefois à l'avis des scientifiques concernant les enjeux écologiques du site.

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2013 : La commission nationale de la protection de la nature (CNPN) émet deux avis négatifs sur le projet, aux mois d'avril et de septembre. Mais, ces deux instances n'ayant qu'un rôle consultatif, le projet du barrage est déclaré d'intérêt général par la préfecture du Tarn au mois d'octobre. Le collectif « Tant qu'il y aura des Bouilles » (un terme local qui désigne des terrains humides et peu rentables) commence à occuper le chantier pour défendre la biodiversité de cette zone de 13 hectares.

Appel à manifester / via le Collectif « Tant qu'il y aura des Bouilles »

12 février 2014 : Le préfet du Tarn autorise la capture des animaux protégés et le déboisement de la zone.

27 février 2014 : Expulsion des occupants du site à la demande du Conseil général du Tarn. L'un des membres de « Tant qu'il y aura des Bouilles » déclare alors à l'AFP : « C'est scandaleux de la part d'un gouvernement qui se dit socialiste. Cette affaire va devenir un scandale d'État […] Nous n'allons pas abandonner ! Bien au contraire ! »

Avril 2014 : Diverses actions (balades, ateliers, spectacles), sont menées par les opposants au barrage, qui organisent notamment le « Printemps de Sivens » sur le site. En parallèle, le Collectif de la zone humide du Testet multiplie les actions en justice. La contestation est comparée à plusieurs reprises par les médias à celle de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique, où un projet de construction d'un aéroport fait face à des opposants qui occupent une Zone À Défendre (ZAD). La zone humide du Testet est déclarée à son tour comme une ZAD.

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Mai 2014 : Plusieurs décisions de justice de la cour d'appel de Toulouse et du Conseil d'État sont en défaveur des opposants au barrage. Le 16 mai, une nouvelle expulsion d'opposants au barrage est réalisée.

La Métairie, Sivens, photo Sébastien Thébault via Wikimedia Commons

Août 2014 : Vers la fin du mois, une nouvelle occupation commence en lisière de la forêt, à l'approche des premiers travaux de déboisement. Des affrontements violents ont lieu entre « zadistes » et forces de l'ordre - 80 cocktails Molotov, mais aussi des bouteilles contenant de l'acide chlorhydrique, des bonbonnes d'essence et des pierres ont été jetés sur les gendarmes venus démonter les barrages, qui répliquent à coups de tirs de flash-ball. Plusieurs personnes entament une grève de la faim.

1er septembre 2014 : Début des travaux de déboisement. Sur le chantier, environ 200 opposants font face à 130 bûcherons et forces de l'ordre.

2 septembre 2014 : Des élus locaux se déplacent pour évaluer l'avancée du chantier, et s'opposent eux aussi aux forces de l'ordre.

3 septembre 2014 : VICE News passe trois jours sur le campement des zadistes, alors que huit personnes ont déjà été interpellées. Nos journalistes assistent aux combats entre les anti-barrage, qui utilisent tous les moyens de défense à leur disposition, depuis les cocktails Molotov jusqu'à l'occupation des arbres pour empêcher qu'ils ne soient coupés, et les forces de l'ordre, qui répondent à coups de tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Arz, un des militants sur place explique à nos journalistes que pour lui, « La violence n'est pas une solution, mais qu'en même temps, si ça les ralentit, si ça peut arrêter le projet, ça me va. Il ne faut pas qu'on tombe à un endroit où ça nous dépasse, parce qu'ils sont plus forts que nous. »

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7 septembre 2014 : Un millier de personnes vient soutenir les opposants au barrage. José Bové (député européen EELV et syndicaliste de la Confédération paysanne) se trouve parmi eux. Il interpelle Ségolène Royal, ministre de l'Écologie : « une seule personne peut suspendre le projet et elle a les éléments : Ségolène Royal doit agir vite. »

9 septembre 2014 : 70 opposants écologistes au barrage envahissent le Conseil général du Tarn, avant d'être évacués de force par les CRS. Des policiers se servent de leurs matraques pour mettre les militants à terre, tandis qu'un journaliste est violemment repoussé. Guillaume Cros, conseiller régional Europe Écologie - Les Verts (EE-LV) est molesté par les forces de l'ordre. On note aussi qu'un commandant de police se fait casser le nez. Au même moment dans la forêt de Sivens, les gendarmes tentent de déloger les militants écologistes installés dans les arbres.

— José Bové (@josebove)September 9, 2014

20 septembre : Fin de la phase de déboisement du site. Deux experts nommés par Ségolène Royal se rendent sur place pour évaluer le projet de construction.

29 septembre : Les manifestants tentent désormais d'empêcher le « décapage »du site, opération qui appauvrit le sol. Ben Lefetey, porte-parole du Collectif de la zone humide du Testet explique que « Sans le décapage, la forêt pourrait repousser, mais, une fois décapé, il faut carrément replanter. » Un campement de 15 à 20 personnes est violemment expulsé par la police, et le même scénario, jet d'acide de la part des militants, tirs de flash-ball et gaz lacrymogène de la part des forces de l'ordre, se reproduit.

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2 octobre : Une équipe de VICE News, va couvrir la contestation pour l'émission Le Point Quotidien diffusée sur France 4. Le mouvement semble s'épuiser, et la destruction de la forêt paraît inéluctable.

25 octobre 2014 : Entre 2000 et 5000 personnes se retrouvent au Testet pour s'opposer à la construction du barrage à l'occasion d'un grand rassemblement qui doit s'étaler sur plusieurs jours. Des personnalités politiques sont présentes, parmi lesquelles José Bové, Pascal Durand (député européen EELV) et Jean-Luc Mélenchon (député européen Parti de gauche). Les politiques sont chahutés, taxés par certains militants de récupération.

Au départ, la mobilisation se déroule assez paisiblement. Émilien, qui était présent, avait raconté à VICE News : « Entre 15h00 et 15h30 environ, un cortège ouvert par des brebis arrivait vers le site du Testet. Invités à marcher avec le troupeau, les participants à la manifestation ont suivi en nombre. Nous avons traversé toute la zone déboisée pour arriver à l'autre bout du chantier où se trouve un parc grillagé normalement destiné aux hommes du chantier semble-t-il. Aucune machine n'était présente sur les lieux. Seuls 7 ou 8 cars de CRS étaient garés ici. »

Sivens, le jour où Rémi Fraisse est mortÀ lire ici

Mais l'arrivée d'opposants cagoulés vêtus de noir tend l'atmosphère. Émilien se souvient : « Ils se sont arrêtés en groupe à une centaine de mètres des forces de l'ordre. Ils ont commencé à avancer sur les CRS en jetant des pierres et des cocktails Molotov. La réponse des forces de l'ordre ne s'est pas fait attendre. Quelques minutes après, plusieurs camions de gendarmes arrivaient en renfort. 14 camions au total. C'est alors que les affrontements ont battu leur plein : beaucoup de lacrymos, de grenades assourdissantes ou de désencerclement (au moins, 1 toutes les 5 minutes). Les cocktails ont rapidement provoqué des départs d'incendies sur un bout de colline au-dessus de la zone grillagée. Les pompiers sont intervenus au milieu des fumées des lacrymos. Le bruit des affrontements continuait jusqu'à ce que je quitte le Testet vers 20 heures. »

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Entre 1 h 40 et 1 h 50 du matin, un manifestant, visiblement touché par les armes des gendarmes s'effondre à terre.

26 octobre : La préfecture du Tarn à Albi annonce ce dimanche matin dans un communiqué : « Cette nuit, vers 2 heures du matin, le corps d'un homme a été découvert par les gendarmes sur le site de Sivens. Les sapeurs-pompiers sont intervenus rapidement mais n'ont pu que constater le décès de la victime. » Plus tard dans la journée, on apprendra qu'il s'agit de Rémi Fraisse, un militant écologiste de 21 ans. Au moins dix autres personnes ont été blessées ce week-end-là.

Une manifestation spontanée d'hommage à Rémi Fraisse a lieu à Gaillac, dans le Tarn. Elle dégénère. Une autre manifestation à Paris est dispersée devant l'hôtel de ville.

27 octobre : D'autres manifestations sont organisées un peu partout en France, à Paris, Toulouse, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg, Chambéry et à Albi, dans le Tarn, où environ cinq cents personnes se sont rassemblées devant la Préfecture. Des affrontements ont lieu entre les manifestants les plus virulents, pour certains cagoulés et jetant des pavés, et les forces de l'ordre. Des débordements ont aussi été relevés à Nantes et Rouen.

Les premiers résultats de l'autopsie sont dévoilés dans l'après-midi : la mort de Rémi Fraisse est due à une explosion, Au même moment, un rapport commandé par le ministère de l'Écologie critique le barrage, remettant en question son utilité.

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28 octobre : Claude Derens, le procureur d'Albi reconnaît que c'est une « grenade offensive » qui est sans doute à l'origine de la mort de Rémi Fraisse. Le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve annonce la suspension de l'utilisation des grenades offensives, mais « Il ne s'agit pas d'une bavure », réaffirme-t-il. Plusieurs personnalités politiques, dont Jean-Luc Mélenchon, demandent sa démission. La nature et le type exact de ces grenades offensives — dont on ne parlait pas auparavant lorsque l'on évoquait l'arsenal des forces anti-émeutes — restent floues.

À lire ici : Comment fonctionne une « grenade offensive »

Le président de la République s'exprime enfin sur la mort de Rémi Fraisse, et fait part de sa « compassion ». Plusieurs politiques d'EELV demandent l'arrêt des travaux, à l'instar de Noël Mamère, qui déclare qu'« On ne construit pas un barrage sur un cadavre.» Cécile Duflot, député EELV et ancienne ministre de François Hollande demande la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur la mort de Rémi Fraisse.

31 octobre : Les dernières analyses confirment la responsabilité d'une grenade offensive dans la mort de Rémi Fraisse. Le chantier est suspendu par le Conseil général du Tarn.

1er novembre : Plusieurs manifestations contre les violences policières et d'hommage à Rémi Fraisse ont lieu un peu partout en France, après une semaine mouvementée par des soirées marquées par de la casse dans des villes comme  Nantes, où environ 800 personnes se rassemblent ce samedi avant que la situation s'envenime. Près de 400 policiers sont mobilisés, soit une moyenne d'un policier pour deux manifestants. Au moins cinq personnes ont été blessées, trois manifestants et deux membres des forces de l'ordre. 21 personnes ont été arrêtées.

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Manifestation du 1er novembre à Nantes, photo Gaspard Glanz / Taranis News via Instagram 

Parmi les violences relevées par les médias et les autorités, sont fréquemment mentionnées des bouteilles d'acide, jetées par les manifestants sur des CRS. « Les manifestants ont lancé des bouteilles remplies d'acide sur les forces de sécurité », a déclaré le préfet de Loire Atlantique Henri-Michel Comet. « Un policier a été blessé par l'une de ces bouteilles », a-t-il précisé lors d'un point presse. Le policier a été touché à la main par cette bouteille, selon une source préfectorale.

VICE News a demandé à Sophie Norvez, maître de conférences à l'École de Physique et Chimie de la ville de Paris (ESPCI), de quel type d'acide il pourrait s'agir. Elle a fait l'hypothèse de l'acide sulfurique pur (H2SO4). « C'est redoutable, et encore plus sous sa forme impure (vitriol), » commente-t-elle. Elle souligne que « C'est très facile [de se procurer de l'acide]. À la droguerie du coin… Par exemple des produits pour déboucher les canalisations. »

4 novembre : Cécile Duflot demande une minute de silence pour Rémi Fraisse à l'Assemblée Nationale, qui lui est refusée.

6 novembre : Une vingtaine de lycées parisiens, sur les 200 que compte la ville, sont bloqués en hommage à Rémi Fraisse.

À lire ici : Rémi Fraisse, 20 lycées bloqués à Paris.

8 novembre : 500 personnes selon la préfecture ont manifesté samedi 8 novembre à Toulouse contre « les violences policières » et la mort de l'écologiste Rémi Fraisse, malgré un arrêté interdisant le mouvement. Le rassemblement était très étroitement quadrillé par les forces de l'ordre dans une atmosphère tendue. 21 personnes ont été interpellées et 2 policiers blessés. Une manifestation très virulente a aussi eu lieu à Paris, à l'appel de plusieurs partis et organisations. Des slogans tels que « flics, porcs assassins » ont été scandés dans les rues de la capitale.

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Manifestation du 8 novembre à Toulouse, photo Charlotte Henard via Flickr 

10 et 12 novembre : En Seine-Saint-Denis, en région parisienne, des lycéens manifestent à leur tour en hommage à Rémi Fraisse, l'hommage vire rapidement à divers débordements prenant notamment la forme de départs d'incendie devant des établissements scolaires

11 novembre : La direction de l'université Rennes II a annoncé qu'elle serait fermée le lendemain pour empêcher qu'une assemblée générale portant sur la mort de Rémi Fraisse n'ait lieu.

12 novembre : Le journal Le Monde révèle que les gendarmes ont très vite eu conscience de la gravité de la situation en publiant le procès-verbal qui retranscrit les conversations des militaires la nuit où Rémi Fraisse est décédé. « Il est décédé, le mec… Là c'est vachement grave… Faut pas qu'ils sachent… », auraient dit les gendarmes en découvrant le décès. D'après le service communication de la gendarmerie, contacté par Le Monde, le « ils » fait ici référence aux manifestants.

Rapport de l'IGGN

13 novembre : La journée commenceavec une dizaine de blocages partiels de lycées, et des centaines de lycéens et étudiants réunis pour une manifestation à Paris. Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve a ensuite tenu une conférence de presse pendant laquelle il a déclaré : « La mort de Rémi Fraisse par l'effet direct d'une grenade offensive pose clairement la question de leur maintien en service dans la gendarmerie, qui en est seule dotée. Parce que cette munition a tué un jeune garçon de 21 ans et que cela ne doit plus jamais se produire, j'ai décidé d'interdire l'utilisation de ces grenades dans les opérations de maintien de l'ordre. » L'utilisation des grenades offensives est désormais interdite.

Cette déclaration est accompagnée d'une série de mesures « destinées à prévenir tout nouveau drame », parmi lesquelles le durcissement des modalités d'emploi des grenades lacrymogènes à effet de souffle, l'enregistrement vidéo des opérations de maintien de l'ordre à risques, une remise à plat du système de sommation.

Un rapport publié par le ministère précise que 23 grenades offensives, dont celle qui a tué Rémi Fraisse, ont été tirées dans la nuit du 25 au 26 octobre.

26 novembre : La Commission européenne annonce l'ouverture d'une procédure d'infraction contre la France pour non-respect de la législation européenne dans le projet du barrage de Sivens. Bruxelles va adresser «une lettre de mise en demeure» à Paris pour «violation présumée de la directive sur l'eau dans la réalisation du projet». 

2 décembre : Les conclusions de l'enquête administrative sur la mort de Rémi Fraisse, menée par l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), affirment qu'aucune « faute professionnelle » n'avait été commise par les gendarmes. Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le chef de l'IGGN, le général Pierre Renault, a précisé qu'« il reviendra à l'enquête judiciaire de déterminer l'exacte responsabilité et le degré de responsabilité imputable au lanceur » de la grenade offensive à l'origine de la mort du manifestant. L'avocat de la famille de Rémi Fraisse, Me Arié Halimi, a estimé que« chaque phrase de cette audition est un mensonge »